Code du travail numérique : que faut-il en attendre ?

Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.

« Pour faire valoir ses droits ou respecter ses obligations encore faut-il les connaître » explique la ministre du travail lors du lancement du code du travail numérique (CTN) ce jeudi 16 janvier. Car c’est bien pour rendre le droit du travail plus accessible aux salariés et aux employeurs que le CTN tente de leur apporter des réponses les plus personnalisées possibles, et qui seront de surcroît, opposables. Quelle est cependant la véritable valeur des informations obtenues via le Code du travail numérique ? 

  • Qu’est-ce que le Code du travail numérique ?

Introduit par l’article 1 de l’ordonnance du 22 septembre 2017(1), le CTN est censé faciliter la connaissance du droit du travail, en répondant de façon claire et précise aux questions des salariés et des employeurs : 

– à partir de la question de l’usager, il répond synthétiquement, précisément et en langage simple aux 50 questions les plus fréquemment posées en droit du travail pour les 50 principales branches d’activité (soit 78% des salariés) : durée de la période d’essai, mentions obligatoires du contrat de travail, indemnités de fin de contrat, la durée des contrats courts, etc. L’idée étant de personnaliser, autant que possible, les réponses apportées aux usagers ; 

– quant aux autres questions, le CTN fournit les dispositions législatives, règlementaires ou, si elles prévalent, les stipulations conventionnelles de branche (voire à terme d’entreprise) ; 

– il propose également des outils et des ressources pratiques pour aider les usagers dans leurs recherches. 

 

  • Une volonté de sécurité juridique : l’opposabilité des informations

Pour le gouvernement, l’accès à ces informations étant le même pour les salariés et pour les employeurs, le dispositif devrait permettre d’éviter de nombreux conflits résultant de la « méconnaissance des textes ». Les réponses étant validées par les services du ministère du travail, le dispositif est « fiable ». 

Attention toutefois, le Code du travail numérique ne remplace pas le Code du travail. Il est lui-même un Code du travail mais sur un support numérique et c’est précisément parce qu’il rappelle la norme, que le CTN est, au même titre que le Code du travail, « opposable ». 

Seulement, le CTN ne se contente pas de donner une simple information, il donne une explication des règles au regard d’une situation donnée. Par conséquent, cette information est susceptible d’être erronée. C’est pour aussi pour prendre en compte ce risque d’erreur que le texte a expressément prévu qu’en cas de litige, l’employeur ou le salarié qui se prévaut des informations obtenues au moyen du CTN, est présumé de bonne foi. 

« Une présomption de bonne foi des usagers » 

Exemples du ministère : admettons le cas du salarié qui a obtenu une information erronée du CTN sur la durée de son préavis et dont l’employeur a saisi le conseil de prud’hommes pour demander réparation du préjudice subi du fait de cette erreur. Devant le juge l’intéressé pourra invoquer sa « bonne foi » et cette circonstance pourra alors, selon le ministère, être prise en compte. 

Cela peut aussi s’appliquer aux sanctions administratives auxquelles s’exposent les employeurs : en cas d’erreur du CTN, l’autorité administrative, sous le contrôle du juge du juge administratif, sera tenue de prendre en compte la bonne foi de l’employeur et faire preuve d’indulgence. En revanche, la reconnaissance de cette bonne foi n’empêchera pas le salarié de faire valoir ses droits, selon Yves Strillou, Directeur général du travail. 

Par exemple, l’entreprise qui détache des salariés sur notre territoire et qui, pour rémunérer les salariés, s’est basée sur des indications inexactes (ou pas à jour) du CTN, n’empêchera ni ces derniers de faire valoir leurs droits, ni l’administration d’exiger de l’employeur qu’il régularise leur situation. En revanche, l’administration sera tenue de prendre en compte cette circonstance dans le cadre de son pouvoir de sanction. 

Dans sa version initiale, le projet d’ordonnance renvoyait à un décret les modalités dans lesquelles les personnes pouvaient se prévaloir de ces informations devant l’administration. Cette disposition n’a pas été reprise dans la version définitive. 

Quelle est donc la valeur de cette information ? On le voit bien, sans être considérée comme un rescrit(2), la réponse de l’administration, constitue bien plus qu’un simple avis. L’ordonnance qui a introduit le CTN, lui confère un effet juridique : elle rend la réponse opposable et instaure une présomption de bonne foi à l’égard des usagers. 

  • Dans quelle mesure ce contenu s’opposera-t-il au juge ?

Cette présomption de bonne foi ne met ni l’employeur ni le salarié à l’abri d’une action en justice, et le salarié conserve la possibilité de faire constater un manquement de l’employeur. 

Mais si le contenu est opposable à l’administration – qui devra, en cas d’erreur, prendre en compte la bonne foi de l’administré – difficile d’imaginer qu’il sera directement opposable au juge. Le contenu risque en effet d’avoir évolué entre le moment où l’usager a obtenu son information et le jour où il a besoin de prouver sa bonne foi. Alors certes, le ministère garantit que toutes les versions du site seront enregistrées et disponibles pour permettre d’acter la bonne foi, mais, à moins d’avoir fait une capture d’écran de la réponse obtenue, cette preuve risque d’être difficile à apporter. 

La présomption n’entâche donc pas la souveraineté des juges et la réponse de l’administration ne lie pas le juge en cas de litige. En revanche, elle fait peser sur le salarié la charge de la preuve de la mauvaise foi de l’employeur. Alors oui, cette présomption est une présomption simple dans le sens où elle est susceptible d’être renversée, mais il n’en reste pas moins que cette mesure va potentiellement limiter l’indemnisation du salarié. 

  • Des usagers présumés de bonne foi à condition d’avoir correctement renseigné leur situation

Attention, la ministre du travail(3) est venue préciser la mesure : si l’usager (employeur ou salarié) est présumé de bonne foi, c’est à la condition qu’il ait correctement renseigné sa situation. 

Et c’est précisément cette condition qui pourrait faire tomber le jeu de la présomption de bonne foi introduite par le gouvernement. Si la personne ne parvient pas à démontrer les informations qu’elle a renseigné pour obtenir l’information, la présomption de bonne foi ne jouera pas. Or, on l’a vu, le CTN a vocation à évoluer au rythme des évolutions législatives et jurisprudentielles, difficile donc pour les usagers d’en prouver le contenu à une date donnée. D’autant plus que la loi ne précise pas les modalités dans lesquelles la présomption joue.  

Oui c’est vrai, le droit du travail n’est pas toujours accessible, les sources sont dispersées et leur articulation entre elles n’est pas toujours aisée. Pour ces raisons, la création d’un Code du travail numérique qui simplifie la compréhension des règles est la bienvenue. Toutefois, le dispositif présente quelques limites, notamment : 

– les relations de travail sont souvent complexes et il est difficile d’imaginer pouvoir anticiper toutes les situations possibles ; 

– dans de très nombreux domaines, c’est l’accord collectif d’entreprise qui prime sur la convention de branche, or le logiciel n’a, à ce jour, pas intégré les dispositions issues des accords d’entreprise ; 

– enfin quelle sera la valeur d’une telle information parmi celles qui sont, par ailleurs délivrées par l’administration (l’inspection du travail ou par les CPRI) ? comment trancher, en cas de divergences de réponses, dans la mesure où seul le CTN fait bénéficier les usagers d’une présomption de bonne foi ? 

En bref, si utile soit-il, le Code du travail numérique ne remplacera jamais les conseils directs tant la dimension humaine est indispensable dans une matière où les relations ne se résument pas à l’application stricte de normes objectives et impersonnelles. Heureusement, nous sommes (encore) loin de la justice prédictive. 

 

(1) Ordonnance n°2017-1387 du 22.09.17 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, Art.1 : « I. – Le dispositif intitulé « code du travail numérique » est mis en place au plus tard le 1er janvier 2020. Celui-ci permet, en réponse à une demande d’un employeur ou d’un salarié sur sa situation juridique, l’accès aux dispositions législatives et réglementaires ainsi qu’aux stipulations conventionnelles qui lui sont applicables. L’accès à ce dispositif se fait, de manière gratuite, au moyen du service public de la diffusion du droit par l’internet.II. – L’employeur ou le salarié qui se prévaut des informations obtenues au moyen du « code du travail numérique » est, en cas de litige, présumé de bonne foi. » 

(2) Le rescrit est une prise de position formelle de l’administration sur l’application d’une norme à une situation de fait décrite de manière loyale dans sa demande. Cette réponse lui étant opposable. Il était initialement réservé au domaine fiscal et de la sécurité sociale, mais a ensuite été étendu à d’autres sujets (cotisations ou contributions sociales, consommation, propriété des personnes publiques, etc). 

(3) Voir dossier de presse du 16 janvier 2020 

 

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