Badinter doit aujourd’hui remettre son rapport définissant les grands principes fondamentaux de l’ordre public social auxquels les entreprises ne pourront déroger par accord (même majoritaire). Contrairement à l’oeuvre du maître sur la peine de mort, les conclusions du rapport ne devraient pas être abolitionnistes: le président de la République a déjà indiqué que les 35 heures et le salaire minimum demeureraient intacts. L’exercice Badinter est donc contraint.
Ce que devrait contenir le rapport Badinter
Selon l’AFP, qui a pu lire le document, les innovations du rapport Badinter seraient donc limitées, et le rapport lui-même énumèrerait 61 principes essentiels. Soyons clairs: 61 principes relevant de la loi, c’est réduire à la portion congrue ce qui relèvera de l’entreprise.
Sur la question centrale de la durée du travail, par exemple:
“la durée normale du travail est fixée par la loi”
La simple lecture de cette phrase justifie qu’on referme immédiatement le rapport dont l’odeur de naphtaline prend aux narines. Alors que le télétravail et la dématérialisation des procès au sein des entreprises rend stérile la notion de “durée normale” et explose la notion même de travail, on voit bien que Badinter est mobilisé ici pour endiguer les évolutions et non pour les penser ou les anticiper. C’est dommage.
Selon l’AFP:
Mais la loi, aussi, pourra toujours “déterminer les conditions dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent retenir une durée différente”.
On pressent ici que la loi fera la part belle aux accords majoritaires pour tout ce qui concerne l’exception. Elle laissera une fois de plus de côté les TPE et les PME qui ne pourront guère y déroger.
Le rapport sacralisera également le CDI, le SMIC, et quelques autres idées:
Parmi les droits fondamentaux et principes retenus figurent aussi l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, le droit de grève, l’interdiction de discrimination ou de harcèlement, ou encore celle d’employer un mineur de moins de 16 ans, “sauf exceptions prévues par la loi”.
Les salariés sont-ils gagnants?
Sur le fond, et à un an des présidentielles, il y a peu de doutes sur le fait que l’actuelle majorité, déjà déchirée sur des sujets connexes (notamment les déréglementations prévues par la loi Macron), ne prendra guère de risque sur un sujet aussi sensible que la refonte du droit du travail. D’ailleurs, rien ne devrait voir le jour avant… 2018! autant dire après que des trombes torrentielles auront coulé sous les ponts.
Les salariés sortent-ils gagnants de ces tergiversations?
En apparence oui, bien sûr, puisqu’aucun des “acquis” du Code ne devrait être remis en cause, sauf à la marge ou selon des règles de formalisme extrêmement limitatives. Le cas du travail du dimanche à la FNAC montre en effet que l’accord majoritaire constitue une importante protection pour les salariés contre des innovations importantes dans l’organisation du travail.
Reste à savoir dans quelle mesure la rareté et la cherté du travail que le Code organise et continuera à organiser demain sert à long terme les intérêts de la population active, au-delà des seuls détenteurs d’un contrat à durée indéterminée. Dans la perspective d’une numérisation de l’économie où la notion de travail physique a de moins en moins de sens, les règles attachées à cette forme historique de travail risque de constituer un puissant levier d’éviction pour toute entreprise directement confrontée à la concurrence internationale.
Entre un système éducatif qui peine à fournir une main-d’oeuvre adaptée aux besoins et un code du travail qui limite la flexibilité des organisations, l’économie française risque de comprendre trop tard qu’elle a mis toutes les malchances de son côté pour affronter le monde de demain.