Clause Molière : la CFDT dénonce une nouvelle autorisation par le Conseil d’Etat

Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.

La clause « Molière » continue à faire parler d’elle. Le Conseil d’État en précise la définition, ou plutôt vient dire une nouvelle fois ce qu’elle n’est pas. Une clause « Molière » n’est pas une clause qui impose la langue française pour les opérations préalables à l’attribution d’un marché public ni pour son exécution. Pour la haute juridiction administrative, cette clause ne s’applique pas aux travailleurs puisqu’une autre clause prévoit expressément la possibilité de recourir à des sous-traitants étrangers. Il la valide donc et annule la suspension du marché. CE.08.02.19, n°420296. 

Encore une clause « Molière » validée ! À force de dire ce qu’elle n’est pas et de réduire ainsi à peau de chagrin son contenu, le Conseil d’État autorise encore une fois une clause « Molière »… 

  • Rappel de la définition

La clause Molière peut se définir comme une clause qui vise à imposer aux entreprises intervenant sur les chantiers publics l’obligation, pour leurs salariés, de comprendre et de parler le français, ou à défaut, de recourir à un interprète pour traduire notamment les consignes de sécurité. Il n’existe pas une, mais des clauses « Molière ». 

Une instruction ministérielle d’avril 2017 interdit expressément ces clauses et demande aux préfets de les dénoncer. Ce que firent notamment les préfets de la région des Pays de Loire et d’Auvergne Rhône Alpes, ou encore en l’espèce, la préfète d’Ile de France. 

Pourtant en décembre 2017, cela n’a pas empêché le Conseil d’État de préciser que les clauses « d’interprétariat » – celles obligeant le titulaire du marché à faire appel à ses frais à des traducteurs pour les travailleurs étrangers – ne doivent pas être confondues avec les clauses dites « Molière », qui visent à imposer l’usage exclusif du français sur les chantiers. 

Pour la CFDT, les clauses qui obligent à recourir à un interprète correspondent bel et bien à des clauses Molière, en ce qu’elles imposent, indirectement mais sûrement, l’usage exclusif du français. 

Dans notre affaire, c’est malheureusement une nouvelle fois le cas… 

  • Faits, procédure

La préfète de la région Ile de France a décidé de saisir en référé la justice administrative afin d’obtenir la suspension de l’exécution d’un marché public d’épuration obtenu par Véolia en raison d’une clause « Molière » inscrite dans le contrat de marché. Cette clause impose la langue française « pour les opérations préalables à l’attribution d’un marché public et pour son exécution » et restreint ainsi les libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne, comme la liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats, de libre prestation de services et de libre circulation des travailleurs. 

Le tribunal administratif décide alors de suspendre le contrat si celui-ci n’est pas régularisé dans un certain délai. La préfète ne veut pas en rester là et fait appel. La cour d’appel suspend quant à elle le marché sur-le-champ. Elle considère que cette clause « avec les libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’UE, est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la validité du contrat ».  

Un recours devant le Conseil d’État est formé. 

  • Une clause validée par le Conseil d’État

Contrairement aux juges du fond, le Conseil d’État ne reconnaît pas l’existence d’une clause « Molière ». Il valide cette clause et annule la suspension du marché d’épuration. 

Pour la Haute juridiction administrative, cette clause est légale, car elle ne s’applique qu’aux parties au contrat et non au personnel de l’usine d’épuration, puisqu’une autre clause admet la sous-traitance étrangère à la condition de remettre une attestation sur l’honneur qui indique son intention « de faire appel pour l’exécution des prestations, objet du contrat à des salariés de nationalité étrangères ». 

En outre, le Conseil d’État considère que « ces stipulations contractuelles permettent le recours à des sous-traitants et des salariés de nationalité étrangère pour l’exécution des prestations objet du contrat et n’imposent pas davantage, ni directement ni indirectement, l’usage ou la maîtrise de la langue française par les travailleurs étrangers susceptibles d’intervenir ». 

  • Une clause « Molière » déguisée…

Comme il l’avait déjà fait avec la clause « d’interprétariat », le Conseil d’État valide ainsi une clause « Molière ». 

Cette solution a certes le mérite de rappeler qu’une clause ne doit pas obliger le personnel à parler français, mais le Conseil d’État semble oublier qu’une clause « Molière » ne consiste pas seulement à interdire l’accès au personnel étranger, freinant de ce fait le détachement. C’est aussi limiter la possibilité d’y recourir même indirectement – et ici c’est clairement le cas ! Les parties au contrat devaient parler français et en cas de recours à la sous-traitance étrangère, une attestation sur l’honneur était obligatoire, ce qui peut clairement jouer dans l’attribution ou non du marché et limiter les candidatures possibles. 

Une fois encore, cette clause, qui est bel et bien une clause « Molière », est autorisée par le Conseil d’État alors qu’elle contrevient aux libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne, comme l’a si justement rappelé la préfète d’Ile de France… 

 

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