Clause de mobilité : la CFDT critique la Cour de cassation

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.

 

Si le 14 février est le jour des amoureux, pour la Cour de cassation ce n’est manifestement pas celui de la célébration de la vie familiale. C’est en effet ce jour-là, que la Chambre sociale a choisi pour décider que la mutation d’une salariée ayant 2 enfants adolescents à 400 km de son domicile (et du travail de son époux) ne portait pas une atteinte excessive à la vie familiale. De sorte que son refus d’accepter la mutation en application de la clause de mobilité contenue dans son contrat de travail justifiait son licenciement pour faute grave. Cass.soc.14.02.18, n°16-23042. 

  • Faits, procédure et prétentions

Dans cette affaire, une salariée, dont le contrat de travail comportait une clause de mobilité prévoyant la possibilité de la muter dans l’un des établissements actuels ou futurs en France, a été licenciée pour faute grave à la suite de son refus de rejoindre Toulouse. 

A la suite de quoi, elle a saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement. A cette fin, elle a prétendu que la clause n’était pas valable car elle ne définissait pas précisément sa zone géographique d’application. De plus, elle a fait valoir que son mari travaillait à La Rochelle, qu’ils avaient deux enfants et que cette mutation à 400 km perturbait sa familiale. 

Les juges du fond ont pourtant rejeté son appel et considéré non seulement que la clause était valable, sa zone géographique étant suffisamment définie, mais aussi que le fait d’avoir deux enfants, de 12 et 17 ans, ne pouvait « conduire à considérer que sa mutation à une distance d’environ 400 kilomètres aurait porté atteinte à sa vie personnelle et familiale ». 

Sur ce, la salariée a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, qui dut donc répondre sur les deux terrains : celui de la validité de la clause de mobilité et celui de la justification et de la proportionnalité de sa mise en œuvre au regard du droit de la salariée de mener une vie familiale normale. 

  • La clause prévoyant une mobilité « en France » est suffisamment précise

C’est tout d’abord sur le terrain de la validité de la clause de mobilité que la Haute juridiction était amenée à statuer. 

Depuis une dizaine d’années, la Cour de cassation décide que la clause de mobilité doit, à peine de nullité, définir précisément sa zone géographique d’application afin de ne pas avoir pour effet de conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée (1). 

En l’espèce, la clause stipulait la possibilité pour l’employeur de muter la salariée dans les établissements « actuels et/ou futurs en France » de l’entreprise. Une parenthèse précisait ensuite la liste des établissements existants au moment de l’embauche de la salariée, liste qui se terminait par des points de suspension… 

Aussi, la salariée faisait-elle valoir que comme l’entreprise avait une activité internationale sa mutation pouvait, aux termes de la clause, intervenir de manière totalement imprévisible pour elle, soit dans un établissement en France métropolitaine, soit dans un département ou une région d’Outre-mer. De sorte que, selon elle, la clause ne définissait pas précisément sa zone géographique d’application. 

Toutefois, la Cour de cassation n’accueille pas cette argumentation et approuve les juges du fond qui avaient repris une solution posée par la Chambre sociale dès 2014 (2) selon laquelle la référence aux établissements situés en France est suffisante pour considérer que la clause définit précisément sa zone géographique d’application. 

Pour la Chambre sociale en effet, « le contrat de travail comportait une clause de mobilité dans les établissements situés en France, dont il se déduisait une définition précise de la zone géographique d’application ». Soit. 

  • Une atteinte à la vie familiale strictement conçue

Restait néanmoins à trancher le second point : la mise en œuvre de la clause portait-elle atteinte au droit de la salariée de mener une vie familiale normale ? 

Pour mémoire, la Haute juridiction a déjà décidé que la mise en œuvre d’une clause de mobilité ne peut porter d’atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale. 

Une telle atteinte doit être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnelle au but recherché. Les juges doivent alors rechercher concrètement si la mise en œuvre de la clause ne porte pas atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale (3). 

Selon l’article L. 1121-1 du Code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. Or, l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales protège le droit de mener une vie familiale normale.  

En l’espèce, la salariée reprochait au juge du fond de ne pas avoir fait cette recherche concrète des incidences sur sa vie familiale, alors qu’elle faisait valoir qu’elle avait 2 enfants et que son époux travaillait à 400 kms de son lieu de mutation, ce que les juges du fond avaient qualifié de « circonstances parfaitement ordinaires pour une femme de 43 ans ». 

Sur ce terrain également, la Cour rejette le pourvoi pour deux raisons. 

Tout d’abord, « l’employeur justifiait de la nécessité de procéder à la mutation de la salariée en raison de la réduction considérable et durable de l’activité à laquelle elle était affectée ». 

Ensuite, pour la Haute juridiction, les juges du fond avaient fait ressortir que « l’atteinte à la vie familiale de l’intéressée était justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ». 

Formellement, la Cour de cassation s’assure que les juges ont suivi les prescriptions de l’article L.1121-1 du Code du travail qui exige un double contrôle, de justification et de proportionnalité. 

Pourtant, il est permis de se demander si l’on peut bien qualifier ce contrôle, consistant pour les juges du fond à porter une appréciation sur la « normalité » de la situation de la salariée et à conclure que l’éloignement quotidien de ses enfants sont « des circonstances parfaitement ordinaires pour une femme de 43 ans » est bien un contrôle de proportionnalité de l’atteinte au droit à une vie familiale ?! 

On est donc loin de l’époque où la Cour de cassation estimait juste d’exclure le licenciement pour faute grave (et de ne retenir qu’un licenciement pour cause réelle et sérieuse) quand le refus du salarié de se plier à la mise en œuvre de la clause pouvait être considéré comme intervenant pour des raisons légitimes (4)! 

  • Enjeux: tour de “passe passe”

En réalité, en l’espèce l’employeur paraissait disposer d’un motif économique pour licencier la salariée puisque c’est une raison économique qui est mise en avant pour justifier la mise en œuvre de la clause (la réduction considérable et durable de l’activité à laquelle la salariée était affectée). 

La solution rendue par la Cour de cassation conduit donc en fait à admettre un glissement commode pour les employeurs du terrain économique au terrain disciplinaire. Y compris dans des circonstances, disons-le, un peu choquantes. 

Seul moyen de contrer ce que l’on peut qualifier de dérive : s’emparer de la possibilité de négocier des accords sur la « performance collective » (5) et en profiter pour encadrer ce genre de situations !  

(1) Cass.soc.7.06.06, n°04-45846. 

(2) Cass.soc.9.07.14, Revue de jurisprudence sociale 2014.576, n°667. 

(3) Cass.soc.14.10.08 ; Cass.soc. 13.01.09, Revue de jurisprudence sociale 200.206, n°228. 

(4) Cass.soc.23.02.05, n°03-42018. 

(5) Article L.2254-2 du Code du travail. Un numéro d’Action juridique traitant de ces accords nouvelle formule est actuellement sous presse. 

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