Cession d’entreprises en difficulté : la CJUE s’en mêle

Le droit européen prévoit un principe : celui de la protection des travailleurs lors de transfert d’entreprise. Pourtant, une dérogation est admise pour les entreprises en faillite. Cette dérogation est lourde de conséquences, de telle sorte que la CJUE ne badine pas avec son application. Les tribunaux néerlandais recourant à l’opération de pre-pack pour les entreprises en difficulté en ont ainsi fait les frais. 

Le 22 juin 2017 la CJUE a été saisie par une juridiction des Pays-Bas. Cette juridiction était en proie à des difficultés d’interprétation des articles 3 et 5 de la directive 2001/23/CE, prévoyant respectivement le principe de protection des travailleurs lors de transfert d’entreprise, et son régime dérogatoire. 

 

Entreprises en difficulté, qu’est-ce qu’un pre-pack ?

Aux Pays-Bas, le pre-pack est une opération préparée antérieurement à une déclaration de faillite dans les entreprises en difficulté. Celle-ci est, par la suite, directement mise en œuvre après le prononcé de ladite faillite. A ce titre, cette déclaration se fait avec le concours d’un curateur désigné par un tribunal. Celui-ci examine et prépare les possibilités de transfert des activités des entreprises en difficulté à un tiers. 

 

Licenciement de salariés suite à une cession, dans les entreprises en difficultés

Le litige concernait une importante société de garderie d’enfants aux Pays-Bas nommée Estro Groep BV. Celle-ci a procédé à un pre-pack, opération dévolue aux entreprises en difficulté, afin d’être mise en faillite. 

La loi néerlandaise ne prévoit pas cette procédure : sa mise en place, son organisation et ses résultats sont uniquement issus de la pratique. 

Après la déclaration de faillite de l’entreprise et la signature du pre-pack au terme duquel une société tierce achetait 250 établissements d’Estro Groep BV, le curateur a licencié tous les travailleurs de la société. 

Une organisation syndicale et 4 salariés d’Estro Groep BV ont saisi la justice afin que puisse être reconnue l’application des dispositions de la directive 2001/23 au pre-pack ayant été conclu. Aux termes de ces dispositions, les 4 salariés devaient, en effet, être considérés comme travaillant de plein droit dans l’entreprise cessionnaire. 

Le tribunal saisi a, par la suite, décidé d’interroger la CJUE sur différentes questions. 

 

Protection des salariés des entreprises en difficulté cédées : applicable au pre-pack ?

La CJUE est saisie de différentes questions relatives à l’interprétation de la directive 2001/23. La protection des travailleurs garanties par les articles 3 et 4 de la directive est-elle maintenue lorsqu’une société est transférée suite à une déclaration de faillite et dans le contexte d’un pre-pack ? 

Il est indéniable que la pratique du pré-pack, telle qu’entendue par Estro Groep BV et l’entreprise cessionnaire comporte un avantage non négligeable : la possibilité de licencier les travailleurs dans les entreprises en difficulté sans prendre la peine de chercher à les transférer. La CJUE va décortiquer le pré-pack et en dégager les contradictions vis à vis de la directive 2001/23. 

L’article 3 de cette directive assure le maintien des droits des travailleurs dans les entreprises en difficultés ayant été cédées : les droits et obligations de l’entreprise cédante sont, de fait, transférés au cessionnaire. Cette directive protège les travailleurs contre le licenciement fondé sur le seul transfert d’entreprise et prononcé par le cédant ou le cessionnaire. 

L’article 5 de la même directive prévoit cependant une dérogation à ce régime de protection : l’article 3 susvisé ne s’applique pas lorsque le cédant de l’entreprise transférée fait l’objet d’une procédure de faillite. Néanmoins la directive laisse la possibilité aux Etats membres de faire fi de cette dérogation et d’appliquer la protection de l’article 3 même en cas de procédure de faillite de l’entreprise. 

La CJUE relève que les Pays-Bas sont, selon leur volonté, soumis au principe dérogatoire de l’article 5, autrement dit les salariés d’une entreprise en faillite ne profitent pas, dans ce pays, de la protection de l’article 3 de la directive. 

La problématique se pose ici : la procédure de faillite initiée par l’entreprise Estro Groep BV répond-elle aux critères de la faillite retenue par la CJUE ? 

Si oui, la protection des salariés prévue par l’article 3 ne peut être applicable car l’entreprise considérée en faillite est soumise au régime dérogatoire de l’article 5 de la directive. Si non, la protection des salariés prévue par l’article 3 s’applique, les salariés ne peuvent être licenciés sur le seul motif du transfert d’entreprise. 

 

La CJUE est claire : aucune dérogation aux règles de protection des travailleurs cédés lors de pre-pack

La CJUE procède à un décorticage minutieux de ce qu’est, selon le droit de l’UE, une procédure de faillite dans les entreprises en difficulté. L’article 5 de la directive prévoit, sur ce point, les différents critères à prendre en compte. 

Premier critère : le cédant doit faire l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue. La CJUE remarque que cette définition ne peut être étendue à une procédure qui n’aboutit pas à une faillite. 

L’opération de pre-pack qui implique effectivement la faillite répond, selon la CJUE, au premier critère de l’article 5 de la directive. 

Second critère de la directive : cette procédure de faillite doit donner lieu à une liquidation des biens du cédant. La CJUE avait, dans des précédents arrêts, souligné qu’une procédure visant à la poursuite de l’activité de l’entreprise ne pouvait être considérée comme une procédure de faillite visant à une liquidation des biens. 

Le pre-pack, tel que le souligne la CJUE, vise à la cession de l’entreprise afin que les établissements cédés puissent vite redémarrer après le prononcé de la faillite. Le but est donc d’éviter une cessation brutale de l’activité de l’entreprise et permettre une sauvegarde de celle-ci. 

En ce sens, le pre-pack ne vise pas la liquidation de l’entreprise mais la poursuite de l’activité. Le régime dérogatoire de l’article 5 de la directive ne peut donc être applicable. L’objectif économique et social poursuivi par l’entreprise ne peut justifier que des salariés soient privés de protection lors du transfert de l’entreprise. 

La CJUE examine tout de même le troisième critère permettant la qualification d’une procédure de faillite : le contrôle d’une autorité publique. 

Il en ressort que le pre-pack -qui est une pratique sans fondement législatif- n’est en fin de compte géré que par la direction de l’entreprise qui mène les négociations et adopte les décisions en préparation de la faillite. Le curateur et le juge commissaire n’ont aucun pouvoir, et à ce titre, aucune autorité publique n’exerce de contrôle sur eux. 

Le pre-pack ne remplit donc pas, ici encore, la condition prévue par la directive. 

En conclusion, la protection des travailleurs prévue par l’article 3 et 4 de la directive 2001/23 est bel et bien maintenue lorsque la déclaration de faillite intervient dans une procédure de pre-back, celle-ci ne pouvant être considérée comme une procédure de faillite à proprement parler. 

Cette décision de la CJUE est en tout point protectrice pour le travailleur cédé. Celui-ci doit être repris par le cessionnaire, et toute dérogation à ce principe est appliquée de manière restrictive. Il ressort de cet arrêt que la CJUE semble décidée à limiter drastiquement l’utilisation du pre-pack. 

 

Vous trouverez ci-dessous l’arrêt rendu par la CJUE.

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3 à 5 de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 2001, L 82, p. 16). 

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Federatie Nederlandse Vakvereniging (ci-après la « FNV »), une organisation syndicale néerlandaise, ainsi que Mmes Karin van den Burg-Vergeer, Lyoba Tanja Alida Kukupessy, Danielle Paase-Teeuwen et Astrid Johanna Geertruda Petronelle Schenk à Smallsteps BV au sujet de la constatation d’un transfert des relations de travail vers cette société. 

Le cadre juridique 

Le droit de l’Union 

3 La directive 2001/23 constitue la codification de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 1977, L 61, p. 26), telle que modifiée par la directive 98/50/CE du Conseil, du 29 juin 1998 (JO 1998, L 201, p. 88). 

4 Le considérant 3 de la directive 2001/23 est libellé comme suit : 

« Des dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise en particulier pour assurer le maintien de leurs droits. » 

5 L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2001/23 dispose : 

« La présente directive est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion. » 

6 L’article 3, paragraphe 1 de cette directive énonce : 

« Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire. » 

7 L’article 4, paragraphe 1, de ladite directive prévoit : 

« Le transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi. » 

8 Aux termes de l’article 5 de cette même directive : 

« 1. Sauf si les États membres en disposent autrement, les articles 3 et 4 ne s’appliquent pas au transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement lorsque le cédant fait l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d’une autorité publique compétente (qui peut être un syndic autorisé par une autorité compétente). 

2. Lorsque les articles 3 et 4 s’appliquent à un transfert au cours d’une procédure d’insolvabilité engagée à l’égard d’un cédant (que cette procédure ait ou non été engagée en vue de la liquidation des biens du cédant), et à condition que cette procédure se trouve sous le contrôle d’une autorité publique compétente (qui peut être un syndic désigné par la législation nationale), un État membre peut prévoir que : 

a) nonobstant l’article 3, paragraphe 1, les obligations du cédant résultant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail, qui sont dues avant la date du transfert ou avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, ne sont pas transférées au cessionnaire, à condition que cette procédure entraîne, en vertu de la législation de cet État membre, une protection au moins équivalente à celle prévue dans les situations visées par la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur [JO 1980, L 283, p. 23], 

et, ou sinon, que 

b) le cessionnaire, le cédant ou la ou les personnes exerçant les pouvoirs du cédant, d’une part, et les représentants des travailleurs, d’autre part, peuvent, dans la mesure où la législation ou pratique actuelle le permet, convenir de modifier les conditions de travail du travailleur pour préserver l’emploi en assurant la survie de l’entreprise, de l’établissement ou de la partie d’entreprise ou d’établissement. 

3. Un État membre peut appliquer le paragraphe 2, point b), à tout transfert lorsque le cédant est dans une situation de crise économique grave définie par la législation nationale, à condition que cette situation soit déclarée par une autorité publique compétente et ouverte à un contrôle judiciaire en vigueur dans la législation nationale le 17 juillet 1998. 

[…] 

4. Les États membres prennent les mesures nécessaires en vue d’éviter des recours abusifs à des procédures d’insolvabilité visant à priver les travailleurs des droits découlant de la présente directive. » 

Le droit néerlandais 

9 Les dispositions qui régissent, en droit néerlandais, les droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises sont les articles 7 :662 à 7 :666 et l’article 7 :670, paragraphe 8, du Burgerlijk Wetboek (code civil, ci–après le « BW »). 

10 L’article 7 :662, paragraphe 2, point a), du BW énonce : 

« Aux fins de l’application de cette section, on entend par : 

a) transfert : le transfert, à la suite d’un accord, d’une fusion ou d’une scission, d’une unité économique qui conserve son identité ; 

[…] » 

11 Plus particulièrement, l’article 7 :663 du BW dispose : 

« Le transfert d’une entreprise emporte d’office transfert, au cessionnaire, des droits et obligations qui résultent, à ce moment-là pour l’employeur, de cette entreprise d’un contrat de travail entre lui-même et un travailleur actif au sein de l’entreprise. Néanmoins, pendant un an après le transfert, cet employeur et le cessionnaire restent solidairement liés pour ce qui est du respect des obligations découlant du contrat de travail et nées avant ce moment. » 

12 L’article 7 :666 du BW prévoit : 

« Les articles 7 :662 à 7 :665 et l’article 7 :670, paragraphe 8, ne s’appliquent pas au transfert d’une entreprise lorsque : 

a) l’employeur est déclaré en état de faillite et que l’entreprise appartient à la masse […] » 

13 Aux termes de l’article 7 :670 du BW : 

[…] 

8. L’employeur ne peut résilier le contrat de travail avec le travailleur actif dans son entreprise en raison du transfert de cette entreprise tel que visé à l’article 7 :662, paragraphe 2, point a) ; 

[…] » 

14 À partir de l’année 2012, plusieurs tribunaux néerlandais recourent au pre-pack. Il s’agit d’une opération sur actifs préparée avant la déclaration de faillite avec le concours du curateur pressenti, désigné par un tribunal, et est mise en œuvre par celui-ci immédiatement après le prononcé de la faillite. Dans le cadre de ce pre‑pack, un juge commissaire pressenti est également désigné par ce tribunal. 

15 À ce jour, aux Pays-Bas, ni la phase préparatoire ni le pre-pack en tant que tel ne sont encadrés par la loi, mais ils sont le résultat de la pratique. 

Le litige au principal et les questions préjudicielles 

16 Jusqu’à sa faillite, Estro Groep BV était la plus grande société de garderie d’enfants aux Pays-Bas. Elle comptait près de 380 établissements sur l’ensemble du territoire néerlandais et employait environ 3 600 travailleurs. 

17 À compter du mois de novembre 2013, l’on pouvait prévoir que, à défaut de nouveau financement, Estro Groep ne serait plus en mesure de satisfaire à ses obligations pour l’été de l’année 2014. 

18 À la recherche d’un tel financement, Estro Groep s’est, dans un premier temps, concertée avec ses bailleurs de fonds et ses actionnaires principaux ainsi qu’avec d’autres bailleurs de fonds ou d’éventuels autres investisseurs pour obtenir de nouveaux financements. Cette concertation, appelée le « Plan A » par Estro Groep, n’a cependant pas été fructueuse. 

19 Parallèlement aux négociations dans le cadre du Plan A, Estro Groep a élaboré un plan alternatif appelé le « Projet Butterfly ». Celui-ci prévoyait un redémarrage d’une partie importante de l’entreprise Estro Groep à la suite d’un pre-pack. Ce redémarrage devait intervenir sur la base du redémarrage de 243 centres sur les 380, du maintien de l’emploi pour près de 2 500 travailleurs sur un total d’environ 3 600 et de la continuité du service dans tous les établissements au mois de juillet 2014. 

20 Lors de la mise en œuvre du projet Butterfly, Estro Groep a contacté uniquement comme acheteur potentiel H.I.G. Capital, société sœur de son actionnaire principal Bayside Capital. Aucune autre option potentielle n’a été examinée. 

21 Le 5 juin 2014, Estro Groep a saisi le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) d’une requête en désignation d’un curateur pressenti. Celui-ci a été désigné le 10 juin 2014. 

22 Le 20 juin 2014, Smallsteps a été constituée pour reprendre comme entreprise de redémarrage, pour le compte de H.I. G. Capital, une grande partie des centres de garderie d’enfants d’Estro Groep dans le cadre du projet Butterfly. 

23 Le 3 juillet 2014, l’ensemble du personnel d’Estro Groep a reçu un courrier électronique indiquant que la demande en déclaration de faillite serait présentée le 4 juillet 2014 et précisant que le personnel serait éventuellement convoqué à une réunion avant cette demande. 

24 Le 4 juillet 2014, Estro Groep a saisi le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) d’une demande en surséance de paiement. Le 5 juillet 2014, cette demande a été transformée en demande en déclaration de faillite, laquelle a été prononcée le même jour. 

25 Toujours le même jour, le 5 juillet 2014, un pre-pack a été signé entre le curateur et Smallsteps aux termes duquel cette dernière a acheté environ 250 établissements et s’est engagée à offrir un emploi à près de 2 600 travailleurs d’Estro Groep au jour du prononcé de la faillite. 

26 Le 7 juillet 2014, le curateur a licencié tous les travailleurs d’Estro Groep. Près de 2 600 travailleurs précédemment employés par Estro Groep se sont vu offrir un nouveau contrat de travail par Smallsteps tandis que plus d’un millier ont finalement été licenciés. 

27 La FNV et les quatre codemanderesses, qui travaillaient dans des centres repris par Smallsteps, mais qui, après le prononcé de la faillite d’Estro Groep, ne se sont pas vu offrir de nouveaux contrats de travail, ont introduit, devant la juridiction de renvoi, un recours afin, à titre principal, de faire constater que la directive 2001/23 s’applique au pre-pack conclu entre Estro Groep et Smallsteps et que, ainsi, ces quatre codemanderesses devaient être considérées comme travaillant désormais de plein droit pour Smallsteps, tout en conservant leurs conditions de travail. À titre subsidiaire, leur demande tendait à faire constater que les articles 7 :662 et suivants du BW s’appliquent dès lors que le transfert de l’entreprise est intervenu avant le jour du prononcé de la faillite d’Estro Groep. Smallsteps conteste les demandes des requérantes. 

28 Dans ces conditions, le Rechtbank Midden-Nederland (tribunal des Pays-Bas centraux) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : 

« 1) En cas de cession de l’entreprise déclarée en faillite, intervenant dans le contexte d’une faillite précédée d’un pre-pack sous le contrôle du juge, et visant explicitement à maintenir (des parties de) l’entreprise, la procédure de faillite néerlandaise est-elle conforme à l’objectif et à la finalité de la directive 2001/23 et l’article 7 :666, paragraphe 1, initio et sous a), du BW est-il à cet égard (toujours) bien conforme à cette directive ? 

2) La directive 2001/23 est-elle d’application au cas où, avant même le début de la faillite, le “curateur pressenti” désigné par le tribunal s’informe de la situation du débiteur, examine les possibilités d’un éventuel redémarrage des activités de l’entreprise par un tiers et se prépare également à passer des actes juste après la faillite afin de réaliser ce redémarrage dans une opération sur actifs comportant cession de l’entreprise du débiteur ou d’une partie de celle-ci à la date de la faillite ou juste après étant entendu que ces activités sont poursuivies en tout ou en partie de manière (pratiquement) ininterrompue ? 

3) Y a-t-il une différence à cet égard selon que le pre-pack a pour objectif principal la poursuite de l’entreprise ou que, à travers le pre-pack et la vente des actifs sous la forme d’une “continuation d’entreprise” directement après la faillite, le curateur (pressenti) vise principalement à maximiser le produit de la cession pour l’ensemble des créanciers ou que le concours de volonté pour céder les actifs est intervenu avant la faillite dans le cadre d’un pre-pack (poursuite de l’entreprise) et son exécution est officialisée ou réalisée après la faillite ? Et comment doit-on l’analyser si tant la poursuite de l’entreprise que la maximalisation du produit d’une cession sont visées ? 

4) Dans le cadre d’un pre-pack préalable à la faillite de l’entreprise, le moment du transfert de l’entreprise se détermine‑t-il, aux fins de l’application de la directive 2001/23 et des articles 7:662 et suivants BW qui en découlent, par le concours effectif de volonté, intervenu avant la faillite, pour céder l’entreprise ou ce moment est-il déterminé par la date à laquelle intervient effectivement la transmission, du cédant au cessionnaire, de la qualité de chef d’entreprise responsable de l’exploitation de l’entité en cause ? » 

Sur la demande de réouverture de la procédure orale 

29 À la suite du prononcé des conclusions de M. l’avocat général, Smallsteps a, par acte déposé au greffe de la Cour le 25 avril 2017, demandé la possibilité de réagir à celles-ci au besoin après réouverture de la phase orale de la procédure. Smallsteps fait valoir, à l’appui de cette demande, en substance, que les conclusions de M. l’avocat général comportent des malentendus s’agissant de la procédure du pre-pack. 

30 À cet égard, il convient, toutefois, de rappeler que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure ne prévoient pas la possibilité, pour les intéressés visés à l’article 23 de ce statut, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (voir, notamment, arrêt du 4 septembre 2014, Vnuk, C‑162/13, EU:C:2014:2146, point 30). 

31 En vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles-ci (arrêt du 3 décembre 2015, Banif Plus Bank, C‑312/14, EU:C:2015:794, point 33). 

32 Par conséquent, le désaccord d’un intéressé avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la procédure orale (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 26). 

33 Cela étant, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les intéressés (voir, arrêt du 9 juin 2016, Pesce e.a., C‑78/16 et C‑79/16, EU:C:2016:428, point 27). 

34 Cependant, dans la présente affaire, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer. 

35 Eu égard à cette considération, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de rouvrir la phase orale de la procédure. 

Sur les questions préjudicielles 

Sur les première à troisième questions 

36 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 1er février 2017, Município de Palmela, C‑144/16, EU:C:2017:76, point 20 et jurisprudence citée). 

37 En l’occurrence, il y a lieu de comprendre les première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, comme visant, en substance, à savoir si la directive 2001/23, et notamment son article 5, paragraphe 1, doit être interprétée en ce sens que la protection des travailleurs garantie par les articles 3 et 4 de cette directive est maintenue, dans une situation, telle que celle en cause au principal, où le transfert d’une entreprise intervient à la suite d’une déclaration de faillite dans le contexte d’un pre-pack, préparé antérieurement à celle-ci et mis en œuvre immédiatement après le prononcé de la faillite, dans le cadre duquel, notamment, un « curateur pressenti », désigné par un tribunal, examine les possibilités d’une éventuelle poursuite des activités de cette entreprise par un tiers et se prépare à passer des actes juste après le prononcé de la faillite afin de réaliser cette poursuite, et, par ailleurs, s’il est pertinent, à cet égard, que l’objectif poursuivi par l’opération de pre-pack vise tant la poursuite des activités de l’entreprise en cause que la maximalisation du produit de la cession pour l’ensemble des créanciers de cette entreprise. 

38 Il convient, d’emblée, de relever que la directive 2001/23 vise à protéger, ainsi qu’il découle de son considérant 3, les travailleurs, en particulier en assurant le maintien de leurs droits en cas de changement de chef d’entreprise. 

39 À cet effet, l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive prévoit que les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert d’une entreprise sont, de ce fait, transférés au cessionnaire. En ce qui concerne l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, celui-ci protège les travailleurs contre tout licenciement effectué par le cédant ou par le cessionnaire sur la seule base dudit transfert. 

40 Par dérogation, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23 énonce que le régime de protection, visé auxdits articles 3 et 4, ne s’applique pas aux transferts d’entreprises effectués dans les conditions précisées par cette disposition, sauf si les États membres en disposent autrement. 

41 Or, ledit article 5, paragraphe 1, en tant qu’il rend, en principe, inapplicable le régime de protection des travailleurs dans le cas de certains transferts d’entreprise et s’écarte ainsi de l’objectif principal sous-jacent à la directive 2001/23, doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, s’agissant de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 77/187, telle que modifiée par la directive 98/50, arrêt du 4 juin 2002, Beckmann, C‑164/00, EU:C:2002:330, point 29). 

42 S’il ressort du libellé même du premier membre de phrase de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23 que les États membres ont la faculté, dans les circonstances qui justifient l’application de cette disposition, de mettre en œuvre le régime de protection des travailleurs, établi aux articles 3 et 4 de cette directive, dans l’affaire au principal, toutefois, l’État membre en cause n’a pas fait usage d’une telle faculté, ainsi que l’a confirmé le gouvernement néerlandais, au cours de l’audience. 

43 Il s’ensuit que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23, en ce qu’il permet de déroger au régime de protection des travailleurs, est applicable à une affaire telle que celle en cause au principal, à condition, toutefois, que la procédure visée satisfasse aux conditions énoncées à cette disposition. 

44 À cet égard, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23 précise, à titre cumulatif, que le cédant doit faire l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue. Par ailleurs, cette procédure doit être ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant et se trouver sous le contrôle d’une autorité publique compétente. 

45 Concernant, en premier lieu, la condition selon laquelle le cédant doit faire l’objet d’une procédure de faillite ou d’insolvabilité analogue, celle-ci ne saurait s’étendre, eu égard à l’exigence d’interprétation stricte, rappelée au point 41 du présent arrêt, à une opération préparant la faillite mais n’aboutissant pas à celle-ci, tel que cela a été envisagé par M. l’avocat général au point 76 de ses conclusions. 

46 Toutefois, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort du point 14 du présent arrêt, l’opération de pre-pack en cause au principal est, certes, préparée avant la déclaration de faillite, mais elle est mise en œuvre après celle-ci. Une telle opération, impliquant effectivement la faillite, est, partant, susceptible de relever de la notion de « procédure de faillite » au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23. 

47 En deuxième lieu, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23 exige que la procédure de faillite ou d’insolvabilité analogue soit ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant. À cet égard, il est entendu, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, que ne satisfait pas à cette condition une procédure visant la poursuite de l’activité de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 1991, d’Urso e.a., C‑362/89, EU:C:1991:326, points 31 et 32, ainsi que du 7 décembre 1995, Spano e.a., C‑472/93, EU:C:1995:421, point 25). 

48 S’agissant des différences entre ces deux types de procédure, ainsi que M. l’avocat général l’a précisé, aux points 57 et 58 de ses conclusions, une procédure vise la poursuite de l’activité lorsqu’elle tend à sauvegarder le caractère opérationnel de l’entreprise ou de ses unités viables. En revanche, une procédure tendant à la liquidation des biens vise à maximiser le désintéressement collectif des créanciers. S’il n’est pas exclu qu’un certain chevauchement puisse exister entre ces deux objectifs que poursuit une procédure donnée, l’objectif principal d’une procédure visant la poursuite de l’activité de l’entreprise demeure, en tout état de cause, la sauvegarde de l’entreprise concernée. 

49 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi qu’une opération de pre-pack, telle que celle en cause au principal, vise à préparer la cession de l’entreprise dans ses moindres détails afin de permettre le redémarrage rapide des unités viables de l’entreprise après le prononcé de la faillite dans le souci d’éviter ainsi la rupture qui résulterait de la cessation brutale des activités de cette entreprise à la date du prononcé de la faillite, de manière à préserver la valeur de ladite entreprise et l’emploi. 

50 Dans ces conditions, et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il doit être considéré qu’une telle opération ne visant pas, en définitive, à la liquidation de l’entreprise, l’objectif économique et social qu’elle poursuit ne saurait expliquer ni justifier que, lorsque l’entreprise concernée fait l’objet d’un transfert total ou partiel, ses travailleurs soient privés des droits que leur reconnaît la directive 2001/23 (voir, par analogie, arrêt du 7 décembre 1995, Spano e.a., C‑472/93, EU:C:1995:421, points 28 ainsi que 30). 

51 Eu égard au constat, effectué au point 48 du présent arrêt, la seule circonstance que ladite opération de pre-pack puisse viser également la maximisation du désintéressement des créanciers n’est pas susceptible de la transformer en une procédure ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23. 

52 Il s’ensuit qu’une telle opération doit être considérée comme ayant pour objectif principal la sauvegarde de l’entreprise en faillite, si bien qu’elle ne saurait relever de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23, conformément à la jurisprudence citée au point 47 du présent arrêt. 

53 En troisième lieu, s’agissant de la condition selon laquelle la procédure visée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit se trouver sous le contrôle d’une autorité publique, il convient de relever que la phase de l’opération de pre-pack, telle que celle en cause au principal, précédant la déclaration de faillite, n’a aucun fondement dans la législation nationale en cause. 

54 Dans cette mesure, cette opération est donc gérée non pas sous le contrôle du tribunal, mais, ainsi qu’il découle du dossier soumis à la Cour, par la direction de l’entreprise qui mène les négociations et adopte les décisions préparant la vente de l’entreprise en faillite. 

55 En effet, bien que nommés par le tribunal, sur demande de l’entreprise en faillite, le curateur pressenti ainsi que le juge commissaire pressenti ne disposent formellement d’aucun pouvoir. Partant, aucun contrôle exercé par une autorité publique ne pèse sur eux. 

56 En outre, dans la mesure où, très rapidement après l’ouverture de la faillite, le curateur demande et reçoit l’autorisation du juge commissaire pour la cession de l’entreprise, ce dernier doit avoir été informé et, en substance, n’avoir pas marqué d’opposition à cette cession, avant la déclaration de faillite. 

57 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 82 de ses conclusions, cette manière de procéder est susceptible de vider largement de son contenu tout éventuel contrôle de la part d’une autorité publique compétente sur la procédure de faillite et, partant, ne saurait satisfaire à la condition de contrôle d’une telle autorité énoncée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23. 

58 Il découle de ce qui précède qu’une opération de pre-pack telle que celle en cause au principal ne satisfait pas à l’ensemble des conditions prévues à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23 et que, par conséquent, il ne saurait être dérogé au régime de protection prévu aux articles 3 et 4 de cette directive. 

59 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à troisième questions posées que la directive 2001/23, et notamment son article 5, paragraphe 1, doit être interprétée en ce sens que la protection des travailleurs garantie par les articles 3 et 4 de cette directive est maintenue dans une situation, telle que celle en cause au principal, où le transfert d’une entreprise intervient à la suite d’une déclaration de faillite dans le contexte d’un pre-pack, préparé antérieurement à celle-ci et mis en œuvre immédiatement après le prononcé de la faillite, dans le cadre duquel, notamment, un « curateur pressenti », désigné par un tribunal, examine les possibilités d’une éventuelle poursuite des activités de cette entreprise par un tiers et se prépare à passer des actes juste après le prononcé de la faillite afin de réaliser cette poursuite, et, par ailleurs, qu’il n’est pas pertinent, à cet égard, que l’objectif poursuivi par cette opération de pre-pack vise également la maximalisation du produit de la cession pour l’ensemble des créanciers de l’entreprise en cause. 

Sur la quatrième question 

60 Eu égard à la réponse apportée aux première à troisième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la quatrième question. 

Sur les dépens 

61 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit : 

La directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, et notamment son article 5, paragraphe 1, doit être interprétée en ce sens que la protection des travailleurs garantie par les articles 3 et 4 de cette directive est maintenue dans une situation, telle que celle en cause au principal, où le transfert d’une entreprise intervient à la suite d’une déclaration de faillite dans le contexte d’un pre-pack, préparé antérieurement à celle-ci et mis en œuvre immédiatement après le prononcé de la faillite, dans le cadre duquel, notamment, un « curateur pressenti », désigné par un tribunal, examine les possibilités d’une éventuelle poursuite des activités de cette entreprise par un tiers et se prépare à passer des actes juste après le prononcé de la faillite afin de réaliser cette poursuite et, par ailleurs, qu’il n’est pas pertinent, à cet égard, que l’objectif poursuivi par cette opération de pre-pack vise également la maximalisation du produit de la cession pour l’ensemble des créanciers de l’entreprise en cause. 

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