BI&T a interrogé Bernard Devy, président de l’OCIRP et ancien président de l’ARRCO, sur l’avenir du paritarisme.
BI&T: La Cour des Comptes préconise de fusionner l’AGIRC et l’ARRCO pour améliorer la gestion des régimes. Que pensez-vous de cette idée?
En premier lieu les partenaires sociaux n’ont pas attendu le rapport de la Cour des Comptes pour mettre en œuvre des dispositions de rationalisation des coûts de gestion et des mesures pour améliorer le fonctionnement de nos régimes. Les décisions adoptées par les accords paritaires de 2011 et 2013 vont dans le sens des préconisations de la Cour s’agissant d’une part de la recherche d’un meilleur équilibre permettant d’assurer la pérennité des régimes complémentaires sur le long terme et d’autre part de mesures de simplification et d’efforts sur la gestion confiée aux institutions de retraite au sein des G.P.S. Venons en maintenant à la préconisation de fusion des deux régimes ARRCO et AGIRC. Ce sujet a déjà fait l’objet de nombreuses controverses. Elle peut comme le souligne la Cour des Comptes être source d’économies et de simplification administrative. En revanche elle ne peut avoir véritablement de sens que si les partenaires sociaux trouvent les solutions pour assurer la consolidation des régimes. Cet éventuel rapprochement ne doit pas être le “cache misère” des difficultés financières sérieuses que rencontre actuellement de manière plus spécifique le régime de l’AGIRC. La mutualisation des dettes n’a jamais solutionné les problèmes. Sur un plan plus opérationnel on est en droit de s’interroger si l’on veut conserver la maîtrise du pilotage des régimes s’il est pertinent de les fusionner ! On y perdra en souplesse et quid du statut des cadres !
BI&T: La Cour des Comptes préconise par ailleurs d’intégrer les retraites complémentaires dans une loi de financement de la protection sociale. Quelle réaction cette idée vous inspire-t-elle ?
C’est un élément nouveau qui répond à la préoccupation de la Cour mais par voie de conséquence à celle du gouvernement de réduire les déficits sociaux contraint par les exigences européennes. Il intègre dans cette problématique le fait que nos régimes complémentaires depuis 2008 constatent des déficits techniques. De là à imaginer qu’ils doivent être positionnés comme partie intégrante d’une grande réflexion sur une nouvelle architecture de la protection sociale, il y a un pas que certains ont très vite franchi. Ce serait un tournant inacceptable. Ce schéma conduirait à la remise en cause du pilotage des régimes et de la gestion paritaire au travers de leur intégration dans le PLFSS avec pour conséquence de fait, la perte de l’autonomie des partenaires sociaux dans le cadre des missions d’intérêt général que l’Etat leur a confiées. Autre réflexion déjà soulignée à l’occasion de la sortie du rapport: les résultats des régimes ne contribuent pas au déficit de la dette publique. La prudence des partenaires sociaux et le sens des responsabilités les ont conduits depuis les accords de 1996 à constituer des réserves prélevées sur le montant des cotisations et qui permettent d’annuler chaque année depuis 2008 l’impact du déficit des régimes sur la dette publique. Laisser supposer que nous serions responsables au travers de notre gestion de l’aggravation des dérives des déficits publics relève de la manipulation qui ne peut qu’accréditer les thèses de ceux qui n’ont de cesse de jeter le discrédit sur la gestion paritaire.
BI&T: Quel intérêt y a-t-il à préserver un système paritaire ?
Nous sommes avec l’organisation syndicale Force Ouvrière à laquelle j’appartiens viscéralement attachés aux valeurs du paritarisme. Il est de bon ton de vilipender le modèle français et de sombrer dans la dépression généralisée des réalisations de notre pays. L’expérience de plus de cinquante ans de gestion paritaire et plus particulièrement dans le domaine de la retraite complémentaire témoigne de la capacité des partenaires sociaux à s’engager dans une œuvre collective de long terme, cela suppose le sens de responsabilités et un réalisme à tout épreuve. La retraite complémentaire constitue un enjeu majeur pour les salariés du secteur privé, elle représente près de 40 % en ARRCO de la pension globale servie à un non cadre et plus de 60% pour un cadre. Remettre en cause le paritarisme au nom du libéralisme économique car c’est bien de cela dont il est question, c’est tirer un trait sur un modèle de gestion entre le tout Etat et le marché. C’est aussi se priver d’un mode de régulation du dialogue social.
BI&T: Après l’étatisation de fait du régime des intermittents du spectacle, craignez-vous une dérive jacobine dans le domaine de la protection sociale ?
En l’espèce il ne s’agit pas de focaliser sur le régime des intermittents du spectacle. Le problème est beaucoup plus vaste et le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. La fiscalisation progressive d’une partie du financement de la protection sociale a conduit à cette dérive. Elle correspond à une implication plus forte de l’appareil de l’état et aux tentatives de mise sous tutelle des responsabilités assumées par les organisations patronales et syndicales. La fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC pour aboutir à la création de “Pôle Emploi” est l’exemple type de la perte d’autonomie des partenaires sociaux. La tentation existe de créer sur ce modèle un “Pôle retraite” au nom de la simplification et des incontournables économies de gestion. Rien ne prouve d’ailleurs que ce schéma conduirait aux résultats escomptés. La protection sociale représente un enjeu considérable, elle représente également un coût pour notre société et suscite des appétits du secteur marchand. Nous devons en tant que partenaires sociaux être conscients de la responsabilité que nous détenons dans le cadre de la gestion paritaire. Celle-ci n’exclut nullement le contrôle. Mais pour revenir aux considérations de la Cour des comptes, elle reconnaît – je cite – la qualité du pilotage paritaire des régimes qui contraste avec celles des régimes de base gérés par l’Etat, tout en soulignant la responsabilité dont ont su faire preuve les partenaires sociaux. Elle leur accorde sa confiance pour prendre les mesures qui s’imposent. Un challenge que nous avons toujours relevé.