Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Dans une décision publiée le 11 février 2020, le Comité européen des droits sociaux a déclaré contraires à l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée (sur le droit à une protection en cas de licenciement) les dispositions d’une législation italienne visant à plafonner les indemnités versées au salarié en cas de licenciement illégal. Cette décision, qui fait suite à une réclamation collective déposée par le syndicat italien CGIL, laisse-t-elle présager une décision similaire pour le barème français ? CGIL c. Italie, Réclamation n° 158/2017.
« C’est une grande victoire pour les travailleurs italiens mais aussi pour les travailleurs européens ! » a déclaré la CGIL. La récente décision du Comité européen des droits sociaux (CEDS) concernant le système de plafonnement italien sonne ici comme un avertissement pour le barème prud’homal français.
Pour rappel, le Comité européen des droits sociaux est un organe du Conseil de l’Europe dont la mission est de veiller à la bonne application de la Charte sociale européenne qui proclame des droits sociaux. Il peut être saisi par une organisation syndicale nationale dans le cadre d’une réclamation collective pour faire déclarer une législation nationale contraire aux dispositions de la Charte.
- Le droit italien
Les dispositions de la loi italienne de 2015 en cause prévoient qu’en cas de licenciement illégal dans le secteur privé, le salarié victime perçoit une indemnisation dont le montant est plafonné. Ce plafond est fixé en fonction de l’ancienneté dans le service et du nombre de salariés dans l’unité de production (établissements) ou l’entreprise, et diffère selon la cause de l’illégalité :
En cas de licenciement individuel illégal en raison de l’absence d’un motif valable (c’est-à-dire selon le droit italien, le motif objectif (licenciement économique), le motif subjectif (un motif disciplinaire), ou la juste cause font défaut), le plafond des indemnités est fixé à :
– 36 mensualités pour les établissements employant plus de 15 salariés ou les entreprises qui emploient plus de 60 salariés ; – 6 mensualités pour les établissements employant moins de 16 salariés ou les entreprises qui emploient 60 salariés en tout.
En cas de vices de forme et de procédure (absence d’indication des raisons du licenciement ou violation des règles de procédure disciplinaire), le montant des indemnités est plafonné à 12 mensualités.
Toutefois, le plafonnement des indemnités est écarté pour les manquements les plus graves de l’employeur tels qu’un licenciement discriminatoire, pour lequel le droit à la réintégration s’applique.
- Les arguments avancés par la CGIL
L’argumentation de la CGIL repose en partie sur trois principaux éléments.
– Tout d’abord, le plafonnement conduit à exclure toute possibilité pour le juge d’apprécier et de reconnaître le préjudice intégral – autrement dit, le préjudice réellement subi par le salarié en raison du licenciement.
– Ensuite, la faculté pour l’employeur de proposer au salarié une conciliation extrajudiciaire, dont le montant de l’indemnité peut aller de 3 à 27 mensualités, ne dissuade pas l’employeur de recourir aux licenciements illégaux.
Plutôt que de les dissuader, les licenciements abusifs sont ici facilités du fait que cette voie extrajudiciaire permet à l’employeur d’économiser environ 50 % des coûts, puisque le montant de l’indemnité n’est ni soumis à taxation, ni assujetti aux cotisations sociales.
– Enfin, bien que les nouvelles mesures contestées aient été adoptées par le Gouvernement dans le but de favoriser la croissance de l’emploi, au vu des statistiques, « rien ne prouve qu’une réglementation sur le licenciement moins protectrice a entraîné » des embauches. Une telle restriction d’un droit social fondamental n’est par conséquent pas proportionnée au but poursuivi.
- Le système italien de plafonnement des indemnités viole la Charte sociale européenne
Dans sa décision, le CEDS déclare que la législation italienne viole l’article 24 de la Charte sur le droit à la protection en cas de licenciement.En effet, le CEDS considère que « ni les voies de droit alternatives offrant au travailleur victime de licenciement illégal une possibilité de réparation au-delà du plafonnement prévu par la loi en vigueur, ni le mécanisme de conciliation, tels qu’établis par les dispositions contestées, ne permettent dans tous les cas de licenciement sans motif valable d’obtenir une réparation adéquate, proportionnelle au préjudice subi et de nature à dissuader le recours aux licenciements illégaux ».
- Qu’en est-il du barème prud’homal français ?
Il est important de relever que dans cette affaire italienne, le gouvernement français a présenté ses observations. Tout en rappelant que le dispositif français de plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse fait l’objet d’une réclamation collective (1), le Gouvernement français avance qu’il ne ressort pas du raisonnement du CEDS, dans ses précédentes décisions, « que le plafonnement de l’indemnisation serait en soi contraire à la Charte ». Pour lui, « d’autres éléments sont à prendre en considération, notamment le cadre juridique pertinent et en particulier la possibilité d’obtenir réparation du préjudice en dehors de l’indemnisation plafonnée ».
Or, quand bien même la législation italienne prévoyait la possibilité d’obtenir réparation intégrale du préjudice, notamment en cas de licenciement discriminatoire, cela n’a pas empêché le Comité de déclarer le système de plafonnement italien contraire à la Charte.
Rappelons également que la législation finlandaise, qui avait instauré un système de plafonnement des dommages-intérêts auxquels le salarié pouvait prétendre en cas de licenciement abusif, a été reconnue comme non conforme à l’article 24 de la Charte (2)…
Autant de décisions de mauvais augure pour le Gouvernement français !
Il est donc fort à parier que, dans le cadre de la réclamation collective déposée par FO en 2018, le Comité reconnaisse également une violation par la France de l’article 24 de la Charte sociale européenne.
En effet, la réparation intégrale du préjudice n’est prévue que dans de rares exceptions, telles que la discrimination ou la violation de libertés fondamentales.
De plus, l’effet dissuasif de la sanction pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est questionné. Plutôt que de dissuader l’employeur de prononcer un licenciement sans causr réelle et sérieuse, le dispositif français vise à dissuader le salarié d’aller devant les tribunaux !
Certes, la décision que le Comité pourrait rendre n’est pas contraignante juridiquement, mais présenterait toutefois un poids politique non négligeable à l’égard du Gouvernement français…
(1) Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO) c. France, réclamation n° 160/2018.
(2) Finnish Society of Social Rights c. Finlande, reclamation n° 106/2014