Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Lorsqu’un juge prive d’effet une convention de forfait jours, le salarié peut prétendre à ce que toutes ses heures de travail soient décomptées et rémunérées selon les règles classiques. Et, à ce titre, réclamer le paiement d’éventuelles heures supplémentaires. Mais que deviennent alors les jours de RTT dont a bénéficié le salarié au titre de cette convention litigieuse ? L’employeur est-il en droit de lui en réclamer le remboursement ?
C’est à cette question inédite qu’a récemment répondu la Cour de cassation. Cass.soc. 06.01.21, n°17-28234
- Les faits et la procédure
Le salarié, responsable de recherche et de développement, travaillait depuis plus de 2 ans sous le statut de cadre au forfait jours, a été licencié pour faute grave. Il a alors saisi le conseil de prud’hommes pour contester la validité de cette convention de forfait puisque, selon lui, l’employeur n’avait pas mis en oeuvre les dispositions de l’accord collectif relatives aux modalités de contrôle de son temps de travail et de suivi de sa charge de travail.
Et il a bien fait ! Car les juges du fond lui ont donné raison et ont déclaré sans effet la convention de forfait. En d’autres termes, celle-ci est inopposable au salarié. L’employeur est ainsi condamné à verser au salarié un rappel des heures supplémentaires effectuées.
L’employeur a fait appel. Il n’a contesté ni la remise en cause de la convention, ni sa condamnation à payer des heures supplémentaires au salarié. En réalité, ce qu’il a réclamé, c’est le remboursement par le salarié des jours de réduction du temps de travail (RTT) qu’il lui avait accordés au titre de la convention de forfait jours, désormais privée d’effet.
Le dispositif de forfait jours permet de décompter le temps de travail des salariés non pas en heures mais en jours. Dans ce cadre, le salarié signe une convention individuelle de forfait, qui fixe le nombre prédéterminé de jours qu’il va travailler dans l’année (1). Ce nombre ne peut pas dépasser 218 jours (2).
En contrepartie de cette forfaitisation du temps de travail, le salarié a droit à un certain nombre de jours de RTT.
Son raisonnement est simple : les jours de RTT étant la contrepartie de la forfaitisation, ils constituent un tout avec le régime du forfait et un avantage indissociale de son application. Dès lors que le forfait est supprimé, les jours de RTT perdent tout objet et les compteurs sont, en quelque sorte, remis à zéro. Si le salarié peut ainsi réclamer le paiement des heures supplémentaires qu’il a de ce fait exécutées, l’employeur est en droit de demander la restitution les sommes versées au titre de jours de repos découlant du forfait jours.
La cour d’appel de Rennes n’a pas suivi l’employeur (3) : la convention de forfait n’est pas nulle, mais simplement privée d’effet. Et selon elle, l’inopposabilité de cette convention entraîne non seulement le décompte du temps de travail et des heures supplémentaires, mais elle permet également au salarié de conserver le bénéfice des jours de RTT. En d’autres termes, le fait que la convention soit privée d’effet parce que l’employeur n’a pas assuré l’effectivité des règles relatives à la protection de la sécurité et de la santé du travailleur ne peut avoir pour conséquence de priver le salarié du bénéfice des jours de RTT.
L’employeur se pourvoit en cassation.
Privation d’effet ou nullité de la convention ?
Lorsque les conditions d’une convention de forfait jours ne sont pas réunies, celle-ci pourra être soit annulée, soit privée d’effet par les juges selon le manquement invoqué par le salarié. La distinction entre ces deux sanctions est essentielle !
– La nullité d’une convention de forfait jours entraîne sa disparition rétroactive et définitive. On considère qu’elle n’a jamais existé et les parties se retrouvent placées dans la situation où elles se trouvaient avant sa conclusion. La nullité est par exemple prononcée lorsque les conditions de mise en place d’une convention de forfait ne sont pas réunies. C’est le cas lorsque le forfait jours est prévu par un accord collectif qui ne respecte pas les exigences légales et jurisprudentielles (ex : absence de garanties en matière de charge de travail, etc).– En revanche, une convention de forfait jours privée d’effet est simplement inopposable au salarié, elle n’est pas nulle (4). La convention est alors suspendue jusqu’à ce que l’emloyeur rectifie l’irrégularité. C’est une inopposabilité temporaire au salarié.C’est le cas lorsque la convention de forfait remplit bien les conditions de validité fixées par la loi et la jurisprudence, mais que l’employeur ne respecte pas les dispositions légales ou conventionnelles garantissant par exemple la protection de la sécurité et de la santé du salarié (modalités de contrôle des jours travaillés, défaut d’entretien annuel sur la charge de travail, respect des temps de repos, etc), ou encore lorsque le salarié n’a signé aucune convention écrite ou s’il ne dispose pas de l’autonomie requise pour être en forfait jours (5).
Que la convention soit nulle ou inopposable, le salarié peut prétendre à :
– ce que ses heures de travail soient décomptées et rémunérées selon les règles de droit commun (sur la base de 35h/semaine) et non plus en jours.
S’il a exécuté des heures supplémentaires, il pourra en obtenir le paiement à condition d’apporter des éléments permettant de justifier qu’il les a effectuées tels que :
– un rappel d’indemnité de congé payés, de primes ;
– des dommages-intérêts pour violation des dispositions légales ;
– une éventuelle indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
La convention de forfait étant déclarée sans effet, l’employeur peut-il demander le remboursement des jours de RTT octroyés au salarié au titre de cette convention ?
- Les RTT sont la contrepartie du forfait jours
La Cour de cassation a malheureusement censuré le raisonnement de la cour d’appel.
Elle a commencé par rappeler un principe issu du Code civil, celui de la répétition de l’indu : « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment perçu »(6).
Elle ajoute que lorsque la convention de forfait est privée d’effet, les jours de repos octroyés aux salariés durant la période de suspension de la convention deviennent sans objet. Le paiement des jours de RTT accordés en exécution de la convention est donc indu (7). L’employeur est en droit de demander au salarié le remboursement de ces jours de RTT.
- Un intérêt à agir qui se trouve limité pour les salariés
Cet arrêt est important, car il précise de manière inédite les conséquences indemnitaires pour les salariés du non-respect par l’employeur des dispositions légales et jurisprudentielles relatives aux forfaits jours. Il est d’ailleurs dans la lignée d’arrêts rendus en 2019 concernant le forfait annuel en heures (8).
Cet arrêt doit surtout amener les salariés qui envisagent de contester la validité de leur convention à une grande vigilance ! Car ils ne pourront obtenir le paiement des heures supplémentaires tout en conservant le bénéfice des jours de RTT acquis au titre d’une convention de forfait finalement privée d’effet. Une compensation s’opérera entre les éventuelles heures supplémentaires qui leur sont dues (ou autres sommes dues) et le remboursement des jours de RTT dont ils ont pu bénéficier.
Or cela peut tout de même représenter une dizaine de jours dans l’année, il n’est donc pas certain que les salariés rentrent finalement dans leurs comptes….
Il faut par ailleurs rappeler que la preuve de l’exécution d’heures supplémentaires suppose que le salarié présente des éléments suffisamment précis sur les heures de travail effectivement réalisées (9), ce qui n’est pas toujours aisé….
Cette décision va permettre dans certains cas d’atténuer la condamnation de l’employeur par une opération de compensation et limitera mécaniquement les actions en justice des salariés. Mais n’oublions pas que les heures supplémentaires ne sont pas les seules indemnités auxquelles peuvent prétendre les salariés en cas de convention de forfait nulle ou privée d’effet ! Il peut par exemple obtenir :
– des dommages-intérêts pour défaut de contrepartie obligatoire repos pour les heures supplémentaires qu’il aurait exécutées au-delà du contingent annuel (art D.3121-19 C.trav.) ;
– un rappel des congés payés, d’une prime ;
– une indemnisation des journées qu’il aurait éventuellement travaillées au-delà du nombre de jours prévu par la convention de forfait sur la base de sa rémunération (10) ;
– une indemnisation du préjudice subi pour les repos non pris – à charge pour le juge d’évaluer le préjudice (11) ;
– des dommages-intérêts pour violation des dispositions légales : non-respect du repos quotidien de 11 heures (12), rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées ;
– la rupture du contrat aux torts exclusifs de l’employeur (prise d’acte ou résiliation judiciaire du contrat) (13)
– une éventuelle indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, même si cette condamnation de l’employeur est plus rare (14).
(1) Art. L.3121-55 C.trav.
(2) Art. L 3121-64, I 3° C.trav.
(3) CA, 27.09.17, n°16/033344.
(4) Cass.soc.2.07.14, n°13-11940.
(5) Cass.soc.28.02.12, n°10-27839 ; Cass.soc.21.03.12, n°10-20237.
(6) Art. 1376 C.civ. : répétition de l’indu.
(7) Attendu de la Cour de cassation : « […]la convention de forfait à laquelle le salarié était soumis était privée d’effet, en sorte que, pour la durée de la période de suspension de la convention individuelle de forfait en jours, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention était devenu indu ».
(8) Soc,13.03.19, n°18-12.926 : les juges ont considéré que lorsque les salariés n’étaient pas éligibles à une convention de forfait en heures à laquelle ils étaient soumis, le paiement des jours de RTT accordés en exécution de la convention devenait indu; Cass.soc.4.12.19, n° 18-16.942.
(9) Cass.soc.18.03.20, n°18-10919.
(10) Cass.soc.24.10.18, n°17-12535.
(11) Cass.soc.7.12.10, n°09-42626; Art.L.3121-61 C.trav: assure au salarié le droit à une rémunération en rapport avec les sujétions imposées.
(12) Cass.soc.23.05.13, n°12-13015.
(13) Cass.so.26.09.12, n°11-14540; Cass.soc.10.10.18, n°17-10248.
(14) Art. L.8221-5 et L. 8223-1 C.trav. : le salarié doit apporter la preuve du caractère intentionnel de la dissimulation d’heures.