ACS: comment l’Etat empêche la solidarité de tourner rond

La publication au Journal Officiel des dix offres retenues dans le cadre de l’aide à la complémentaire santé a offert une nouvelle bonne tranche de rire (parfois jaune) aux acteurs de la protection sociale complémentaire. L’arrêté de Marisol Touraine marque en effet la fin de la procédure d’appel d’offres destinées à “agglomérer” le dispositif jusqu’ici disparate d’aide à la complémentaire santé. Comme dans le cas de la généralisation du tiers payant, l’opération a donné lieu à une diffusion de propagande administrative hallucinante sur le sujet. 

La ministre qui a vu le fonctionnaire qui a vu l’étude que personne n’a vue

Derrière cette opération d’agglomération, chacun a bien compris les ressorts à l’oeuvre: l’angoisse que l’existence d’un marché organisé par la seule concurrence suscite parmi les fonctionnaires de la direction de la sécurité sociale, au ministère des affaires sociales. Que le champ d’action de la protection sociale soit encore occupé par des acteurs privés qui ne sont pas aux ordres est un facteur d’inconfort dans les bureaux de l’avenue de Ségur, frustrés de ne pouvoir régenter le bout de protection sociale qui leur échappe encore. Il fallait donc profiter de l’arrivée d’une nouvelle majorité pour s’attaquer à ce village d’irréductibles qui résistent encore et toujours à l’envahisseur. 

Comme cette peur du vide administratif est un argument peu vendeur, la direction de la sécurité sociale a diligenté une étude dont l’inspiration idéologique n’existe plus qu’en France: elle vise à prouver scientifiquement que la concurrence est mauvaise pour les prix et que seul un marché réglementé et cartellisé permet de baisser les tarifs. Depuis l’invention de la patate communiste qui ne gelait pas en hiver, à l’époque de Staline, personne n’avait osé un exercice de ce genre.  

La publication de l’arrêté s’est donc accompagnée d’une campagne de presse consistant à faire fuiter auprès d’un seul journal, Le Parisien Aujourd’hui en France, une étude de la DREES qui démontre que l’arrêté de la ministre (qui entrera en vigueur au 1er juillet…) permet de faire baisser les prix des contrats de 15 à 40%. Dans certains cas, les bénéficiaires du dispositif économiseraient jusqu’à 500 euros par an. Au moment où le gouvernement annonce un nouveau gel des retraites, on voit tout l’intérêt de cette communication annonçant plusieurs centaines d’euros de gain de pouvoir d’achat parmi les plus démunis. 

Le problème est évidemment que, en dehors des journalistes du Parisien, qui sont d’excellents professionnels mais pas forcément d’excellents actuaires connaisseurs du marché, personne n’a eu accès à cette étude ad hoc qui tombe à pic. On aurait pourtant trouvé intéressant que le gouvernement appuie son discours sur des éléments vérifiables… 

Une procédure opaque

Officiellement, l’allottissement de l’aide à la complémentaire santé devrait donc permettre un effondrement des prix et une amélioration des garanties grâce au choix des meilleurs contrats. Il n’en reste pas moins que la liste finale rendue publique a suscité plusieurs questions.  

On notera que la plupart des grands acteurs du marché ont décroché la timbale, généralement à l’occasion de regroupements qui permettent de préserver un statu quo. C’est l’une des ambiguïtés de la procédure qui prétend diminuer le nombre d’offres, mais qui la maintient en réalité. 

On félicitera tout particulièrement le Crédit Agricole qui est allé au feu sous l’étiquette commerciale Pacifica (une exception dans le panel), et qui est demeuré présent sur la ligne d’arrivée. Bravo donc! Mais ce n’est pas faire injure au Crédit Agricole que d’affirmer qu’il n’a pas brillé jusqu’ici comme spécialiste de l’ACS. Pour la marque Crédit Agricole (par ailleurs chouchoutée par une partie de la gauche de la gauche, dont la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann), l’opération est donc très positive. 

Mais alors pourquoi écarter AG2R? Nos lecteurs savent que nous ne ménageons pas toujours le groupe du boulevard Haussmann mais, pour le coup, la mise à l’écart d’AG2R apparaît vraiment comme un mauvais coup fait à l’assuré qui a besoin de solidarité. AG2R est de toutes les opérations à caractère social, et n’a plus guère à faire ses preuves en matière d’efficacité de gestion sur ce genre de dossiers. 

On en ressort donc avec le sentiment d’une procédure opaque où l’intérêt final de l’assuré n’a pas constitué le seul critère de choix. Chacun est prêt à se rassurer en se convainquant du contraire, mais une communication un peu moins tonitruante de la DSS sur les méfaits de la concurrence, et un peu plus pédagogique sur la logique de la procédure constituerait un bon exercice démocratique. 

Quant à la question de la baisse des tarifs, on fera les comptes dans deux ans. Il est bien hasardeux de promettre avant cette date un effet durable sur les prix.  

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