Accident du travail : l’employeur peut être inquiété même en cas de faute manifeste du salarié

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT

 

Dans un arrêt récent, publié au bulletin, la Cour de cassation rappelle qu’en cas d’accident du travail, la faute de la victime ne peut exonérer l’employeur de sa responsabilité que si elle est la cause exclusive du dommage. Tel n’est pas le cas lorsque des manquements aux règles de sécurité ont été relevés à l’encontre d’autres personnes. Cass.soc. 07.05.2019, n° 18-80.418. 

  • Faits et procédure

Dans cette affaire, un salarié travaillant sur un chantier de construction de logements sociaux est victime d’un accident mortel, en chutant d’une hauteur de 6 mètres sans qu’il ne soit équipé d’une quelconque protection collective ou individuelle. Il se trouvait en appui sur une corniche de 80 cm de largeur dépourvue de garde-corps. 

L’enquête a permis d’établir plusieurs éléments : 

– d’une part, les garde-corps ont été déplacés par les ouvriers d’une autre société en raison de retards pris par les travaux ; 

– d’autre part, le coordonnateur en matière de sécurité des travailleurs ne participait pas, selon la fréquence prévue, aux réunions organisées par la personne en charge de la mission d’ordonnancement, de pilotage et de coordination, destinée à organiser le travail des différents intervenants du chantier (13 réunions sur 67). De ce fait, il n’a « pas été en situation de pouvoir analyser les phases critiques du chantier ». En particulier, le jour de l’accident, le coordonnateur n’a pas procédé à une visite du deuxième étage de l’immeuble où les ouvriers se trouvaient et n’a donc pu constater le déplacement des garde-corps et l’absence de protection collectives ou individuelles des salariés. 

Pour tout chantier de bâtiment ou de génie civil où sont appelés à intervenir plusieurs travailleurs indépendants ou entreprises, un coordonnateur en matière de sécurité et de protection de la santé est désigné par le maître d’ouvrage.(1) Ce coordonnateur organise, sous l’angle de la sécurité, les activités simultanées ou successives des entreprises sur le chantier. A noter : sa présence ne décharge pas l’employeur de ses responsabilités légales. Plus généralement, dans une opération de construction, la personne en charge de l’OPC (Ordonnancement, Pilotage, Coordination), en tant que maître d’œuvre, le maître d’ouvrage et le coordonnateur en matière de sécurité et de protection de la santé sont fortement impliquées dans la démarche de prévention. Ils doivent mettre en œuvre les 7 principes généraux de prévention énoncés à l’article L. 4121-2 du Code du travail.(2) 

– enfin, il a également été constaté que des harnais étaient disponibles dans le véhicule de l’entreprise sous-traitante mais que la victime n’en avait pas fait usage. D’ailleurs, le maître d’œuvre ainsi que la personne en charge de l’OPC, ont bien constaté la situation de danger et ont donné instruction aux ouvriers de quitter les lieux mais, après avoir obtempéré, ces derniers ont repris le travail. 

C’est ainsi que le dirigeant de la société sous-traitante et le coordonnateur de sécurité sont mis en examen pour homicide involontaire dans le cadre du travail par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité. 

Cependant, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu. Les parties civiles font appel de cette décision. 

  • Une absence de lien de causalité entre les manquements des prévenus et l’accident ?

La cour d’appel ne retient ni la responsabilité du coordonnateur de sécurité, ni celle du dirigeant de la société sous-traitante. Pour le premier, elle considère qu’il n’existe pas de lien de causalité entre ses fautes et le décès de la victime. Pour le second, elle s’appuie curieusement sur son absence le jour des faits pour le disculper, affirmant sommairement qu’ « il n’est nullement démontré qu’il ait eu connaissance » de la situation. 

Pour les juges du fond, c’est bien le non-respect par la victime des consignes de sécurité données en début de journée et l’absence d’utilisation des équipements à disposition dans le véhicule de l’entreprise qui sont les causes de l’accident. 

Les parties civiles se pourvoient en cassation. 

  • La faute du salarié, causes exclusives de l’accident ?

La chambre criminelle censure le raisonnement des juges et casse l’arrêt d’appel. Pour les hauts magistrats, « en se prononçant ainsi, d’une part, par des motifs inopérants relatifs à l’absence » du dirigeant de l’entreprise, « d’autre part, sans mieux expliquer en quoi la faute de la victime aurait été la cause exclusive de l’accident alors qu’elle avait relevé des manquements à l’encontre notamment du coordonnateur de sécurité et de l’employeur, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision ». 

La chambre criminelle confirme ainsi sa jurisprudence : la faute du salarié n’est pas de nature à exonérer l’employeur de sa responsabilité dès lors que cette faute n’a pas été la cause exclusive du dommage. 

Dans cette affaire,LES JUGES DU FOND AURAIENT DÛ DÉMONTRER EN QUOI LA FAUTE DE LA VICTIME CONSTITUAIT LA CAUSE EXCLUSIVE DE L’ACCIDENT, D’AUTANT QUE DES MANQUEMENTS ONT ÉTÉ RELEVÉS À L’ENCONTRE DU COORDONNATEUR DE SÉCURITÉ ET DE L’EMPLOYEUR. 

En tout état de cause, en matière d’accident du travail, la faute du salarié est rarement considérée comme cause exclusive. Elle est le plus souvent symptomatique d’une carence de l’employeur dans la mise en œuvre des actions de prévention (manque d’information, de formation, d’organisation en matière de sécurité au travail notamment). 


(1) Art. L.4532-2 C.trav. 

(2) Art. L.4531-1 C.trav. 

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