Cet article est issu du site du syndicat de salariés CFDT.
Plus de 100 CDD pour remplacer des salariés absents sur une période de 3 ans : c’est la requalification en CDI assurée ?Ce n’est plus si sûr, au regard de l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 14 février 2018, qui vient quelque peu assouplir sa jurisprudence sur le sujet. Cass.soc., 14.02.2018, n° 16-17.966
- Rappel des faits
Après avoir conclu pas moins de 104 CDD sur une période de 3 ans environ, une salariée s’est décidée à saisir le conseil de prud’hommes afin d’en obtenir la requalification en CDI.
- Pour les juges du fond, remplacements permanents en CDD riment avec CDI…
Sans grande surprise, le conseil de prud’hommes, puis la cour d’appel, ont fait droit à sa demande, sur le fondement du principe selon lequel le recours au CDD successifs pour remplacer des salariés absents ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Les juges du fond ont en effet constaté que l’association mise en cause, qui dispose d’un nombre de salariés conséquent, est de fait confrontée à des périodes de congé de maladie, de stages, de maternité…
Les juges du fond en ont déduit que ces périodes d’absence impliquent un remplacement permanent des salariés absents, et que dès lors que les remplacements prévisibles et systématiques avaient été assurés par la salariée pendant 3 années, cela constituait un équivalent à plein temps pour faire face à un besoin structurel de l’association, justifiant la requalification des contrats en CDI. Et ceci, peu importe que les CDD en cause étaient formellement réguliers.
- En cohérence vec une jurisprudence stable de la Cour de cassation…
Cette interprétation dégagée par les juges du fond est conforme avec la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation au sujet des CDD de remplacement successifs : pendant de longues années, la Cour de cassation a rappelé le principe selon lequel le contrat de travail à durée déterminée ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Sur ce fondement, elle a validé notamment la requalification en CDI de CDD conclus avec un salarié pour effectuer des remplacements de plusieurs salariés absents, dont les absences étaient régulières et entraînaient un renouvellement systématique des engagements conclus avec le même salarié.
– Dans de telle situation, le salarié était engagé pour occuper durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
– Ses contrats devaient donc être requalifiés en CDI (voir par exemple Cass.soc., 29.09.04, n°02-43249).
- … qui vient de l’assouplir, à la lumière de celle de la CJUE
La Cour de justice de l’Union européenne a considéré, par un arrêt du 26 janvier 2012 (CJUE, 26 janv. 2012, Bianca Z… c/Land Nordrhein-Westfalen, n°C-586/10), que le seul fait qu’un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent également être couverts par l’embauche de salariés en CDI n’implique pas l’absence d’une raison objective au CDD, ni même un abus de l’employeur.
Sur le fondement de cette jurisprudence européenne, la Cour de cassation infléchit sa position, jusqu’alors relativement stricte sur le sujet des CDD de remplacement successifs ne pouvant pourvoir des besoins structurels de main d’œuvre.
Au visa des articles L. 1242-1 et L. 1242-2 du Code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l’accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en œuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000, la Cour de cassation rappelle les principes suivants :
– le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ;
– un contrat à durée déterminée peut être conclu pour le remplacement d’un salarié en cas d’absence ou de suspension du contrat de travail.
La Cour de cassation rappelle ensuite que l’employeur est « tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi ». Puis ajoute que « le seul fait, pour l’employeur, (…) de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d’œuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».
Elle en déduit la cassation de l’arrêt de la cour d’appel, qui n’a pas suffisamment caractérisé le fait que les contrats en question avaient pour objet, ou pour effet, de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’association, au regard de la nature des emplois successifs occupés par la salariée et de la structure des effectifs de l’association.
- Mais une évolution qui ne rime pas avec carte blanche pour les employeurs !
Cette jurisprudence, plus souple en ce qui concerne le recours aux CDD successifs pour pourvoir au remplacement de salariés absents, ne signifie pas néanmoins que les employeurs sont totalement libres dans l’usage des CDD.
– Le principe de l’article L1242-1 du Code du travail demeure, les entreprises ne peuvent recourir à un CDD, quel que soit son motif, qui aurait pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
– En revanche, en cas de demande de requalification en CDI de CDD conclus pour pourvoir au remplacement récurrent, voire systématique, de salariés absents, les juges du fond devront, pour faire droit à la demande, veiller à bien caractériser le fait que les CDD est de nature à pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, ceci compte tenu de la structure des effectifs de l’entreprise et aussi de la nature des emplois occupés successivement par le salarié.