Alors que le 52ème congrès confédéral de la CGT doit se tenir du 12 au 17 mai prochain à Dijon, Philippe Martinez n’apparaît pas être dans une position tout à fait confortable.
Non seulement l’aile radicale cégétiste entend profiter du grand raout confédéral pour dénoncer la posture réformiste du secrétaire général mais en outre, Bernard Thibault lui-même vient de s’inviter dans les débats afin de lui rappeler certains des enjeux actuels pour l’organisation.
La CGT vers “l’idéologie dominante”
En début de semaine dernière, dans un texte publié sur le Grand Soir, Jean-Pierre Page, “ancien responsable du département international de la CGT” et Pierre Lévy, “ancien responsable CGT au sein d’un groupe de la métallurgie”, s’en sont pris de manière fort virulente au document préparatoire proposé par l’actuel secrétaire général de la CGT en vue du prochain congrès de l’organisation. MM. Page et Lévy dénoncent notamment les positions de M. Martinez en matière de politique internationale : ils jugent que Philippe Martinez a tout à fait tourné le dos aux analyses historiques de la CGT en matière de politique internationale.
S’appuyant sur plusieurs passages du document préparatoire – “l’Europe doit être identifiée comme protectrice et pas comme une menace pour les travailleurs”, par exemple – ils considèrent que le patron de la CGT roule pour l’Union européenne (UE). Outre cette attaque, les auteurs du texte dénoncent vivement l’absence de réflexion géopolitique de M. Martinez. Il ne mentionnerait d’abord plus “l’impéralisme” dans son document, se contententant de lister certains des malheurs actuels du monde : “guerres”, “interventions militaires, milliers de morts, déplacement de millions de personnes” sans s’intéresser aux responsabilités de ces malheurs. Pire encore, plutôt que de lutter contre ces problèmes et leurs causes, M. Martinez jugerait simplement nécessaire de “se préparer avec réalisme à ces évolutions comme une chance à saisir”.
Jean-Pierre Page et Pierre Lévy profitent de leur tribune pour dire tout le mal qu’ils pensent de la position de M. Martinez sur le thème de l’immigration. “Le pompon réside dans l’affirmation selon laquelle « les femmes et les hommes en quête d’une vie meilleure doivent pouvoir circuler librement, pas seulement les plus privilégiés ». Mais ce dont rêvent les millions de déshérités en errance, ce n’est sûrement pas de la « liberté de circuler », mais bien plutôt du droit élémentaire de travailler et de vivre décemment dans leur pays !” rappellent-ils en effet – très justement d’ailleurs !
“La CGT dans le syndicalisme européen”
A l’opposé de cette prise de position venue de la gauche de l’appareil cégétiste, une autre vient d’être formulée par Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT (1999-2013) aujourd’hui membre du conseil d’administration du bureau international du travail (BIT). Dans une tribune qui circule en interne, intitulée “la CGT dans le syndicalisme européen” et reproduite ci-dessous, M. Thibault défend l’engagement de la CGT au sein de la confédération européenne des syndicats (CES).
S’il reconnait que la CES n’est “pas assez revendicative et combative”, il considère néanmoins qu’afin de “peser sur les évènements” et de faire “face aux directions d’entreprises et aux gouvernements organisés et coordonnés au-delà des frontières”, il faut être “présent sur la scène internationale et donc européenne”. M. Thibault considère que cette option est la seule conforme au parti pris “internationaliste” de la CGT et va jusqu’à considérer que ceux qui défendent l’idée selon laquelle il faut prendre ses distances avec la CES sont en réalité tentés par “un repli national” – ceci “d’autant que le “nationalisme politique” progresse en de nombreux endroits en Europe comme en France”.
Dans son texte, qui peut en premier lieu être considéré comme une réponse aux tenants de la ligne radicale à la CGT, Bernard Thibault ne cite pas Philippe Martinez et ne partage pas ses états d’âme sur la politique de l’actuel secrétaire général de l’organisation. Ceci étant dit, le simple fait que l’ancien patron de la CGT en soit venu à juger utile d’intervenir dans les débats internes de l’organisation en dit long sur sa perception du fonctionnement de cette dernière. M. Thibault estimerait que M. Martinez ne tient pas la centrale qu’il ne s’y serait en effet pas pris autrement…
Si ces diverses prises de position ne semblent pas être adossées, en interne, à des forces qui soient suffisamment organisées et puissantes pour remettre en cause la place de Philippe Martinez, toujours est-il qu’à quelques semaines du congrès confédéral, ce dernier apparaît fragilisé. Sans ligne politique clairement identifiée, il devrait se contenter de naviguer à vue afin de conserver son poste.