Dans un paysage politique au bord de l’implosion, menacé par une nouvelle dissolution et paralysé par la perspective des examens et votes budgétaires, l’idée lancée par le Premier ministre Sébastien Lecornu de suspendre la – très contestée – dernière réforme des retraites n’a pas vraiment agi comme un facteur d’apaisement politique et social.

Loin de créer un consensus, cette proposition sur les retraites est venue raviver les fractures profondes qui traversent tant les partenaires sociaux que l’échiquier politique. Entre ceux qui y voient une manœuvre, une ouverture ou un casus belli, la proposition a creusé les lignes de front.
Entre les partenaires sociaux, un dialogue de sourds ravivé
La suggestion gouvernementale a immédiatement ravivé les souvenirs du conflit social de 2023, cristallisant des positions qui demeurent irréconciliables. Pour les organisations de salariés, la proposition a été accueillie avec un mélange d’intérêt et de méfiance, chacune y plaçant son propre curseur d’exigence. À la CFDT, la secrétaire générale Marylise Léon voit dans cette option la “seule voie possible” pour sortir de la crise, posant la suspension comme une condition sine qua non à toute discussion constructive. Cette position vise à obtenir un premier recul concret du gouvernement sur une réforme qui n’a jamais été acceptée par les syndicats.
Plus offensives, la CGT et FO considèrent cette simple mise en pause comme largement insuffisante. Sophie Binet, pour la CGT, martèle que seule l’abrogation pure et simple pourra refermer la “blessure démocratique et sociale” ouverte par le passage en force de la loi. Elle attend du Premier ministre des “actes de rupture immédiats”. Un point de vue partagé par Frédéric Souillot de FO, qui exige “l’abandon du recul de l’âge légal” à 64 ans, se montrant confiant dans la capacité du Parlement à défaire la loi si elle lui était de nouveau soumise. Pour les syndicats campant traditionnellement des positions contestataires, la suspension ne serait donc qu’une étape vers l’objectif final : l’annulation totale.
Du côté des employeurs, la réaction est unanime et sans ambiguïté, et tout à fait inverse à celle des syndicats : pas question de toucher à la réforme. Le président du MEDEF, Patrick Martin, a fermement fermé la porte à toute discussion qui viendrait “dégrader le rendement” du texte. Pour le patronat, la réforme des retraites n’est pas une variable d’ajustement politique, mais une réforme structurelle indispensable pour assurer la pérennité des régimes sociaux. Toute marche arrière est perçue comme un signal négatif pour la stabilité économique du pays et un reniement dangereux d’un effort jugé nécessaire. La ligne rouge est claire : la réforme a été votée et doit être appliquée.
Sur les retraites, des politiques toujours divisés au-delà des clivages traditionnels
Si la division entre syndicats et patronat était attendue, celle survenue, dans le champ politique, au sein même des forces composant le camp présidentiel l’était moins. On ne s’étonnera, certes, guère du fait que Les Républicains (LR) ont réaffirmé leur opposition totale à une suspension du texte. Bruno Retailleau comme Laurent Wauquiez ont clairement défendu cette position. De la même manière, les sénateurs LR jugent “inacceptable” l’idée d’une suspension de la dernière réforme des retraites.
L’état d’esprit qui prévaut du côté des écuries macronistes – celles qui, du moins, l’étaient la semaine dernière encore – est plus surprenant. Le malaise s’y est installé. À l’origine de la proposition de suspension de la réforme des retraites, Sébastien Lecornu et l’ex-Première ministre Élisabeth Borne défendent une approche pragmatique visant à “stabiliser le pays” et à trouver une majorité pour le budget. Pour eux, il s’agit d’un geste politique nécessaire pour éviter le blocage institutionnel. Hélas, tout le monde au sein de la nébuleuse macroniste ne partage pas tout à fait leur avis. Le parti Horizons d’Édouard Philippe a ainsi opposé un “non” catégorique à tout détricotage de la réforme. Plus encore, la présidente de l’Assemblée Nationale, Yaël Braun-Pivet, a elle-même exprimé sa “gêne”, estimant qu’une telle concession ne pouvait être cédée sans un “deal global” avec les oppositions. Pour ces responsables, céder sur les retraites reviendrait à invalider leur propre action politique passée et à ouvrir une boîte de Pandore.
Finalement, c’est du côté des oppositions au pouvoir que la proposition gouvernementale de suspension de la dernière réforme des retraites a le plus séduit. A gauche, la perspective d’une suspension a été accueillie favorablement, bien que sans naïveté. Raphaël Glucksmann s’est par exemple félicité du fait que cette option devienne “possible”, tandis qu’Olivier Faure a qualifié cette éventualité d'”avancée”. De l’autre côté de l’échiquier politique, Marine le Pen, pour le Rassemblement National (RN) s’est dite “heureuse” de la possibilité d’une suspension de la dernière réforme des retraites. Il reste à connaître le sort exact de cette proposition formulée dans un contexte politique très singulier.