Retraites-chapeau: les Sages censurent le gouvernement

Les retraites-chapeaux font-elles l’objet d’une fiscalité confiscatoire? C’est en partie ce que le Conseil Constitutionnel a considéré dans sa décision “SIACI Saint-Honoré” de vendredi dernier, 20 novembre, rendue en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité qui portait sur le taux de prélèvement à 45% pour les fractions de rentes supérieures à huit fois le plafond de la sécurité sociale. 

La question posée sur les retraites-chapeau

Le Conseil Constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société SIACI Saint-Honoré SAS et l’Association interentreprises d’épargne et de retraite, et par la société Air Liquide SA, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II bis de l’article L. 137-11 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l’article 17 de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015. La question avait été transmise le 11 septembre 2015 par le Conseil d’Etat. 

Le paragraphe du Code la Sécurité Sociale en question prévoyait ceci: 

II bis.-S’ajoute à la contribution prévue au I, indépendamment de l’option exercée par l’employeur mentionnée au même I, une contribution additionnelle de 45 %, à la charge de l’employeur, sur les rentes excédant huit fois le plafond annuel défini à l’article L. 241-3. 

 

Pour mémoire, le paragraphe I prévoit, pour les régimes de retraite à prestations définies, des contributions allant de 24 à 48% des rentes ou des primes, à la charge de l’employeur. 

Les requérants arguaient du caractère confiscatoire de ces prélèvements. 

Une disposition intelligible et accessible

Les requérants avaient soulevé un premier moyen dans leur question prioritaire: ils considéraient que la modification de la fiscalité applicable aux retraites chapeau, en prévoyant une mise en oeuvre dès le 1er janvier 2015, nuisait à l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la Loi. Les Sages ont considéré ce moyen comme “inopérant”. 

Qu’est-ce qu’une fiscalité confiscatoire?

Le Conseil des Sages a utilement défini la notion de fiscalité confiscatoire dans ses attendus. 

“l’appréciation du caractère confiscatoire de la contribution additionnelle instituée par les dispositions contestées s’opère en rapportant le total des impositions que l’employeur doit acquitter à la somme de ce total et des rentes versées” 

 

La remarque est intéressante, dans la mesure où elle rappelle que l’appréciation de la fiscalité repose sur la masse des contributions qui sont imposées à l’assujetti, comparée à la somme des montants versés. Sur ce point, et de façon assez curieuse, le Conseil a considéré que les taux de contribution institués par la loi n’instauraient pas de “charge excessive” et ne pouvaient donc être taxés de “confiscatoires”… 

Objectivité de la contribution

Autre élément surprenant dans le décision du Conseil: la contribution décidée par la loi de financement de la sécurité sociale se fonde sur des éléments objectifs qui sont conformes à la Constitution. 

“en prévoyant que la contribution additionnelle s’applique au versement des rentes excédant huit fois le plafond annuel défini à l’article L. 241-3 du code de la sécurité, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport direct avec l’objet de la loi” 

 

On retrouve ici la doctrine des caractères objectives sur lesquelles la loi doit s’appuyer pour établir des régimes fiscaux. 

Effets de seuil et rupture d’égalité

L’argumentation du Conseil Constitutionnel, après ces mises en bouche qui ont préservé le texte du gouvernement, a saisi la balle au bond lancée par les requérants sur une question assez inattendue: celle des effets de seuil. L’imposition à 45% des fractions de rente supérieures à 8 plafonds de sécurité sociale impose en effet un passage brutal vers un régime fiscal lourd. Ce motif a retenu l’attention du Conseil: 

“‘aucun mécanisme n’atténue l’effet de seuil provoqué par l’application de ce taux”. 

 

Le Conseil a poursuivi son raisonnement en constatant que, en rapportant “cet effet au total de cette imposition additionnelle et de l’imposition principale”, l’effet de seuil est ici excessif. Le Conseil en a déduit que l’excès constituait une rupture d’égalité devant les charges publiques: 

“les dispositions contestées créent une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques”. 

 

Pour ces motifs, les Sages ont donc censuré la disposition prévue par la loi de financement de la sécurité sociale. 

Une décision qui ouvre des perspectives

L’inconstitutionnalité des effets de seuil mérite une analyse “politique” en profondeur. Elle repose en effet sur l’idée que ne peuvent coexister dans un système fiscal donné une logique de progressivité pour les uns, et de palier pour les autres. Cette distorsion rompt avec le principe d’égalité. 

Le Conseil n’a donc pas disqualifié une fiscalité plus lourde pour les revenus importants, mais bien l’absence de progressivité de celle-ci. La décision méritera donc d’être confrontée aux dispositions à venir du projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2016 et du projet de loi de finances, qui durcissent l’imposition des indemnités de licenciement. 

Dans la pratique, le Conseil a ouvert la voie à leur validation, faute de pouvoir arguer d’un montant d’impôt trop élevé. 

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