Depuis 2012, le Code du Travail définit et encadre le télétravail (art. L 1222-9). Mais la loi Warsmann est restée très générale, ce qui laisse le soin aux entreprises de fixer par accord les modalités pratiques de sa mise en œuvre…
L’accord d’entreprise permet d’affiner la définition du télétravail et les salariés éligibles
Le recours au télétravail n’est pas conditionné à la conclusion d’un accord (contrairement aux forfaits en jours, par exemple), mais il permet de fixer un cadre « sur-mesure » pour chaque société. C’est pourquoi, même si certaines branches ont conclu des accords, l’entreprise reste clairement le niveau privilégié de la négociation sur le télétravail, sujet qui touche le cœur de leur organisation.
En ce sens, l’accord d’entreprise pourra affiner la définition légale du télétravail, en excluant notamment de son champ les salariés itinérants. Il conviendra de rappeler que le télétravail vise le travail régulier depuis le domicile (notion à préciser) grâce aux technologies de l’information et de la communication, en excluant expressément toute autre organisation du travail à distance ne s’exécutant pas au domicile du salarié (travail « nomade »), ou tout travail occasionnel au domicile répondant à une situation d’urgence ou exceptionnelle.
En se basant sur cette définition, l’accord pourra envisager les collaborateurs éligibles au télétravail. Les critères retenus pourront être tout à fait objectifs (ancienneté minimale, possession de locaux aux normes, exclusion des stagiaires et apprentis …), en partie subjectifs (compatibilité de l’emploi avec le télétravail, autonomie et capacité d’organisation de son travail, connaissance de l’informatique, appréciation lors du dernier entretien individuel …), ou bien un mélange des deux. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit que de critères d’éligibilité et l’entreprise devra conserver la main: il incombera à la Direction d’accepter ou non la demande qui émanerait du salarié. Certains accords ajoutent toutefois une obligation à la charge de l’entreprise, en prévoyant une motivation obligatoire du refus par le supérieur hiérarchique.
La procédure de mise en place du télétravail sera également prévue dans l’accord (à titre d’exemple, l’accord conclu par La Banque Postale [1] prévoit une demande écrite du salarié, suivie d’un entretien avec son manager, qui demandera l’avis de la DRH avant de rendre une réponse motivée dans un délai d’un mois). Par ailleurs, les entreprises cherchent généralement à se ménager une certaine souplesse au sein de ces accords, en prévoyant la possibilité d’une suspension temporaire du télétravail (« en cas de nécessité du service » : réunion importante, formation, tâches nécessitant la présence du salarié concerné [2] …), ou occasionnellement un retour sur site en lieu et place du télétravail (modification du planning), en contrepartie d’un délai de prévenance suffisant.
Enfin, même si les entreprises concernées ont fait le choix de faire évoluer leur organisation, elles restent vigilantes face aux risques d’isolement et au maintien d’un lien social. Ainsi, les accords conclus prévoient deux à trois jours maximum par semaine en télétravail: cette limite devra être respectée dans les avenants signés ultérieurement.
L’accord collectif doit préciser le contenu de l’avenant et l’étendue des obligations réciproques
Le Code du Travail exige la conclusion d’un avenant pour le passage d’un salarié au télétravail, sans en préciser son contenu. Dès lors, les accords d’entreprise se sont emparé de ce sujet, en listant les mentions obligatoires : rattachement hiérarchique, lieu de télétravail, plages horaires de contact, matériel octroyé au salarié et restrictions d’utilisations, nombre de jours de télétravail par semaine …
L’accord d’entreprise pourra également prévoir le principe d’une « période d’adaptation » durant laquelle chaque partie pourra mettre fin librement au télétravail. Cette période « d’essai » est généralement fixée à trois mois (son existence et sa durée devront être rappelées dans l’avenant). Au-delà, l’accord pourra rappeler le principe de la réversibilité, permettant en principe à chaque partie d’exiger un retour aux conditions initiales (sous respect d’un délai de prévenance). Même prévu dans l’accord, cela risque toutefois de s’analyser comme une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié.
Si l’entreprise veut être prudente sur la portée de son engagement, il faudrait privilégier la conclusion d’avenants à durée déterminée uniquement (avec une nouvelle étude des conditions à leur terme). Les parties devront également envisager dans l’accord le cas d’une modification du domicile du salarié ou de ses fonctions. En toute logique, l’accord peut prévoir que ce changement implique un nouvel examen de la situation du salarié.
Ensuite, l’accord d’entreprise effectue généralement une piqûre de rappel des obligations du salarié en télétravail, sans vraiment innover par rapport aux dispositions légales. L’art. L 1222-9 prévoit d’ailleurs que les modalités de contrôle du temps de travail seront prioritairement précisées par accord collectif (et à défaut dans le contrat/avenant).
Par contre, l’accord d’entreprise détaille nécessairement les obligations de l’employeur en matière de fourniture, installation et entretien du matériel professionnel, en tenant compte des spécificités de son activité. En plus de la liste du matériel fourni (ordinateur portable, casque, chaise de bureau …), l’accord devrait en principe prévoir la prise en charge intégrale des dépenses d’équipement du domicile du salarié (puis de maintenance) ainsi que des dépenses d’énergies afférentes au télétravail (par le biais d’une indemnisation forfaitaire). Certains accords prévoient en plus le versement d’une indemnité « d’occupation du domicile » lorsque le télétravail est effectué à la demande de l’employeur …
L’accord d’entreprise pourrait, en contrepartie, contenir des exigences quant au domicile du salarié, notamment sur la conformité de l’installation électrique (en demandant une attestation en ce sens, quitte à prendre en charge le coût du diagnostic effectué par un prestataire), ou la justification d’une assurance multirisques habitation intégrant l’exercice à domicile d’une activité professionnelle sans accueil de public. D’autres entreprises ont néanmoins fait le choix de souscrire une assurance au nom et pour le compte de leurs collaborateurs.
Enfin, nombreux accords collectifs prévoient une durée d’application de deux années, à titre d’expérimentation, afin de jauger les effets de cette nouvelle organisation du travail, tout en prévoyant une nouvelle négociation à ce terme. La prudence est donc de mise : tant qu’il n’aura pas fait ses preuves, le télétravail reste en période d’essai dans la grande majorité des entreprises…
[1] Accord du 10 janvier 2014 portant sur le télétravail au sein de l’UES La Banque Postale. [2] Accord sur le télétravail à domicile au sein de la société AIR LIQUIDE FRANCE INDUSTRIE du 14 juin 2014.