Le conseil constitutionnel valide les ordonnances travail. La pilule a du mal à passer pour la CFDT

Ces articles sont initialement parus sur le site du syndicat de salariés CFDT

 

Le Conseil constitutionnel a donné son feu vert à la promulgation de la loi de ratification des ordonnances “pour le renforcement du dialogue social”. Si la CFDT a obtenu gain de cause sur la mixité proportionnelle, la déception prévaut sur la place du dialogue social. 

Neuf mois. C’est le temps qu’il aura fallu entre la présentation en Conseil des ministres du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social et la promulgation au Journal officiel du texte qui ratifie les six ordonnances, leur donnant ainsi force de loi. Le 21 mars, le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi par soixante députés sur quinze points, a validé l’essentiel de la loi. « C’est sur la place du dialogue social, en net recul dans certains espaces, que la déception est la plus grande », souligne la CFDT. 

Le Conseil constitutionnel a refusé de censurer le contournement de la négociation collective dans les plus petites entreprises (jusqu’à 20 salariés), où il n’existe ni délégué syndical ni élu. 

Des espaces où le dialogue social recule 

Le dispositif créé par les ordonnances permet à l’employeur de proposer directement au vote des salariés un texte élaboré par lui seul, sans négociation. Une « négociation unilatérale » qui porte directement atteinte au droit à la participation des travailleurs par l’intermédiaire de leurs représentants, a pointé la CFDT, principe pourtant garanti par la Constitution. Un argument qui n’a pas convaincu les juges constitutionnels : ils ont estimé que la vocation naturelle des syndicats à négocier ne signifiait pas monopole de la négociation et que ce dispositif de validation des « accords » ne portait pas atteinte au principe de participation. 

Concernant la négociation dans les entreprises de moins de 50 salariés, le recours dénonçait l’absence de priorité donnée au salarié mandaté par une organisation syndicale face à un élu sans accompagnement syndical. Là encore, les juges n’ont pas vu de motif d’inconstitutionnalité. 

Même analyse en ce qui concerne les réseaux de franchisés. La loi de ratification a abrogé l’article de la loi Travail de 2016 qui instaurait une instance de dialogue social dans les réseaux de franchisés d’au moins 300 salariés. C’était une revendication forte de la CFDT, les instances classiques n’étant pas adaptées aux réels lieux de pouvoir de ces réseaux. Cette suppression, que la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a officiellement déplorée, revient à priver ces salariés de toute possibilité de faire valoir leurs droits par l’intermédiaire de délégués aptes à intervenir au niveau utile. Une atteinte au principe de participation que le Conseil constitutionnel a, encore une fois, refusé de reconnaître. 

Les Sages valident également l’instauration du barème d’indemnités aux prud’hommes en cas de licenciement abusif, fondé sur le seul critère de l’ancienneté du salarié. Tout comme le plafonnement des heures de délégation pour les réunions passées en commissions du comité social et économique (CSE) ou le cofinancement de certaines expertises. Des dispositions qui, selon les juges, ne « privent pas les représentants du personnel des moyens nécessaires à l’exercice de leur mission ». Enfin, la rue de Montpensier est venue éclairer la notion de fraude, qui peut être invoquée pour élargir le périmètre d’appréciation de la situation économique, en cas de licenciement économique dans un groupe transnational. Selon les Sages, celle-ci peut « notamment » recouvrir celle de difficultés artificielles. « Une précision utile », selon la CFDT. 

Victoire sur la mixité proportionnelle 

Une victoire émerge toutefois de cette décision ; elle est à mettre à l’entier actif de la CFDT et de son réseau militant, qui l’a alertée. Il s’agit de la mixité proportionnelle aux élections professionnelles. Le Conseil constitutionnel a admis une faille dans le dispositif, dont il a censuré une disposition. Il rétablit ainsi l’obligation d’organiser des élections partielles lorsque le non-respect de la mixité proportionnelle des listes aux élections aboutit à ce que les postes d’élus soient supprimés en trop grand nombre. 

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel apporte quelques réserves d’interprétation jugées « bienvenues » par la CFDT sur le délai de recours réduit à deux mois pour invoquer la nullité d’un accord collectif. Ainsi, si l’accord en question n’est pas correctement notifié aux organisations syndicales ou publié dans la base de données nationale des accords, le délai de deux mois ne commencera pas à courir. Des satisfactions qui n’empêchent pas la CFDT de rester sur sa faim quant à la décision globale du Conseil constitutionnel. 

 

L’interprétation sans concession de la CFDT

 

Qu’y a-t-il de positif dans la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de ratification des ordonnances ? A priori et spontanément, pas grand-chose ! Surtout sur le front de la négociation collective, au vu des espaces de « non dialogue social » ouverts dans les plus petites entreprises. Pourtant, à bien y regarder, un point de la décision, relatif à la mixité proportionnelle, a de quoi nous réjouir et certaines précisions sont plus que bienvenues. C.Const. 21.03.18, n°2018-761 

Le sentiment qui domine est bien entendu celui de la déception, voire de l’amertume, à la lecture des 30 pages de la décision du Conseil constitutionnel validant en grande partie les ordonnances réformant le Code du travail (lire article les ordonnances ont désormais force de loi). 

D’abord et avant tout, pour la CFDT, la validation du recours direct au référendum et du contournement du dialogue social dans les entreprises jusqu’à 20 salariés est difficile à approuver.Le Conseil constitutionnel a en effet validé la faculté, pour les employeurs, de soumettre à la consultation des salariés un projet « d’accord », ou un avenant de révision élaboré unilatéralement sans négociation. 

Ce n’est pas faute pour la CFDT et les députés, d’avoir diffusé des arguments soulevant l’anti constitutionnalité de la mesure, au regard notamment du principe de participation des travailleurs par l’intermédiaire de leurs délégués. Argument que les Sages ont balayé. 

  • Référendum patronal : protection minimale des principes généraux du droit électoral

A relever tout de même une précision apportée par le Conseil constitutionnel, qui a son importance : « Les principes généraux du droit électoral pour ce qui est de la consultation des salariés doivent en tout état de cause être respectés ». 

Une garantie qui ne figure pas dans la loi – ce que la CFDT n’a eu pourtant de cesse de réclamer. La seule disposition existante est de niveau réglementaire, avec le décret d’application qui prévoit que « le caractère personnel et secret de la consultation est garanti ». Ce qui est bien moins large que le respect des principes généraux du droit électoral. On peut donc y voir une réserve d’interprétation bienvenue, qui devrait garantir, à tout le moins, qu’au moment du vote, les salariés soient en mesure de voter le plus « librement possible », au moins sur le plan matériel, sauf à encourir l’annulation.  

L’introduction de la notion de respect des principes généraux du droit électoral implique selon nous (dans la mesure du possible selon le nombre de salariés) : 

– l’obligation de neutralité de l’employeur ; 

– la mise à disposition d’un local fermé, d’une urne ou d’un site sécurisé, afin que la confidentialité du vote soit respectée ; 

– l’impossibilité, pour tel ou tel salarié, de participer à la consultation de par sa proximité avec l’employeur (familiale, délégation de pouvoir etc.) ; 

– la désignation d’un « bureau de vote » resserré ou d’un représentant des salariés chargé d’organiser le vote et de recueillir le résultat. Il en va de la sincérité et confidentialité du scrutin. 

  • Rectification de la sanction en cas de non-respect de la mixité proportionnelle

Rare motif de réelle satisfaction de cette décision, qui est à mettre à l’actif de la CFDT : le rétablissement de l’obligation d’organiser des élections partielles en cas de non-respect du principe de mixité proportionnelle par une liste électorale ( à lire dans Vos droits Mixité proportionnelle : recul final des ordonnances sur la sanction).  

L’article L2324-22-1 du Code du travail impose le respect de la mixité proportionnelle dans la composition des listes aux élections professionnelles (DP, CE et demain CSE). La règle est ainsi formulée dans le Code :« pour chaque collège électoral, les listes mentionnées à l’article L. 2324-22 qui comportent plusieurs candidats sont composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d’un candidat de chaque sexe jusqu’à épuisement des candidats d’un des sexes.(…) Le présent article s’applique à la liste des membres titulaires du comité d’entreprise et à la liste de ses membres suppléants ». 

A défaut pour une liste de respecter cette mixité, ou l’ordre d’apparition des candidats, les postes d’élus étaient supprimés. 

Or la dernière version de la loi ne prévoyait plus l’obligation d’organiser des élections partielles, dans le cas précis où la disparition des postes d’élus découlait du non-respect de la règle de la mixité. Ce qui impliquait que le nombre de représentants du personnel restait diminué pour toute la durée du mandat, sans remplacement prévu. 

Pourtant, l’application de la sanction, sans organisation d’élections partielles, aboutissait à la suppression d’un ou de plusieurs, voire de la totalité des mandats d’élus. Il était donc directement porté atteinte au droit des salariés à être représentés, et de participer à la détermination collective de leurs conditions de travail et à la gestion des entreprises. 

Une conséquence aussi injustifiable que dangereuse, pointée très tôt par la CFDT. Lors des débats entourant les ordonnances, l’organisation avait rappelé ce point et demandé la rectification de la loi. 

Le Conseil constitutionnel a finalement reçu nos arguments et reconnu le fait que ces dispositions peuvent conduire à ce que le fonctionnement normal du comité social et économique soit affecté dans des conditions remettant en cause le principe de participation des travailleurs et qu’elles y portent une atteinte disproportionnée. 

  • Dans les entreprises de 11 à 20 salariés : absence de protocole négocié ne signifie pas absence de candidature aux élections

Dans les entreprises de 11 à 20, l’employeur est dispensé de négocier un protocole d’accord préélectoral lorsqu’aucun salarié ne s’est déclaré candidat dans les 30 jours suivant l’annonce de l’élection. 

Le Conseil constitutionnel précise que l’absence de convocation obligatoire des organisations syndicales à négocier le protocole fixant le déroulement du scrutin ne signifie pas que les élections ne doivent pas être organisées du tout. Les Sages rappellent que ces dispositions ne limitent pas la faculté pour les salariés de déclarer leur candidature, « qui n’est pas conditionnée à l’existence d’un tel protocole ».  

Ce qui est heureux, puisque dans un document Cerfa adjoint au PV de carence, la Direction générale du travail livre une interprétation contraire, que la CFDT conteste (lire CSE: les entreprises de 11 à 20 doivent rester une terre d’élection). 

  • Recours en nullité des accords : précisions utiles sur les délais

Le Conseil constitutionnel, sans censurer, apporte des réserves d’interprétation ou des précisions au détour d’une motivation qui peuvent s’avérer intéressantes à relever. 

Si le Conseil constitutionnel refuse de recevoir l’argument selon lequel le délai de recours en nullité contre les accords collectifs, réduit à 2 mois, porte atteinte au droit au recours des justiciables, en revanche il apporte trois éclairages extrêmement bienvenus, notamment sur le point de départ à prendre en compte. 

Le délai de 2 mois est censé courir à l’égard des organisations syndicales représentatives à qui il a été notifié. Ce qui signifie que le délai n’est pas opposable aux organisations syndicales non représentatives, même si elles disposent par ailleurs d’une section syndicale dans l’entreprise. 

Le délai ne commence à courir qu’à compter de la publication de l’accord collectif dans une base de données nationale. Ce qui signifie que si cet accord n’était pas publié dans cette base (possibilité ouverte par la loi en cas d’accord entre les parties ou pour certains accords, si l’employeur le décide) ce délai ne court pas ! De même en cas de publication partielle de l’accord. Le point de départ ne courra pas, mais uniquement concernant les dispositions obérées. 

Ce qui est critiquable en soi, un accord collectif étant un « tout indivisible », la connaissance d’une partie seulement ne permet pas d’en saisir l’équilibre ou le déséquilibre. 

Enfin, dernière précision qui semblait aller de soi, mais qu’il n’est pas inutile de rappeler, le recours par voie d’exception demeure toujours possible. C’est-à-dire qu’un salarié pourra invoquer l’inopposabilité d’un accord illégal ou irrégulier à sa situation (sans toutefois pouvoir obtenir son annulation).  

  • Licenciement économique : les contours de la fraude

Par ailleurs, le Conseil précise utilement la notion de fraude, qui peut être invoquée pour élargir le périmètre d’appréciation de la situation économique, en cas de licenciement économique dans un groupe transnational. Selon les Sages, celle-ci peut, entre autres (cf. le « notamment »), recouvrir celle de difficultés artificielles. 

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