Cet article est initialement paru sur le site du syndicat de salariés CFDT
Une fois la rupture conventionnelle conclue, les parties disposent d’un délai pour se rétracter. De quelle durée est-il ? De 15 jours, nous dit le Code du travail. Mais est-ce la date d’envoi du courrier de rétractation qui est susceptible de l’interrompre ou bien est-ce celle de sa réception par l’autre partie ? C’est à cette sensible question que, pour la première fois, la Cour de cassation est venue répondre dans un arrêt récent. Cass. soc. 14.02.2018, n° 17-10.035.
- Le souci du libre consentement des parties
Lorsqu’il y a 10 années de cela, les partenaires sociaux signataires de l’Accord national interprofessionnel (Ani) modernisation du marché du travail – au premier rang desquels la CFDT – portèrent la toute nouvelle rupture conventionnelle sur les fonts baptismaux, ils l’entourèrent d’un nombre conséquent de règles ayant pour objet de garantir le libre consentement des parties qui décideraient d’y recourir.
Il faut dire qu’à l’époque, ce mode encore inédit de rupture du contrat de travail détonnait dans le cadre d’une législation qui, jusqu’alors, avait tout du jardin à la française avec, d’un côté, le droit du salarié de démissionner et, de l’autre, le droit de l’employeur de licencier.
Ce qu’il s’agissait de construire là, c’était un mode de rupture « exclusif de la démission et du licenciement » trouvant son fondement sur un accord passé entre un employeur et un salarié : la convention de rupture.
Bien entendu, pour qu’une telle convention puisse être considérée comme juridiquement recevable, encore fallait-il qu’aucun doute ne plane sur la volonté libre et éclairée des parties – et singulièrement sur celle de la partie “salariés” – à y consentir.
Parmi ces règles « protectrices », nous y retrouvions pêle-mêle : d’indispensables «discussions préalables à la rupture », un possible droit à l’assistance, pour le salarié « par une personne de son choix », une information du salarié sur « la possibilité qui lui est ouverte de prendre les contacts nécessaires, notamment auprès du service public de l’emploi, pour être en mesure d’envisager la suite de son parcours professionnel avant tout consentement », « un droit de rétractation pendant un délai de 15 jours suivant la signature de la convention actant l’accord des parties » et, enfin, « l’homologation, à l’issue du délai de rétractation, de l’accord définitif des parties par le directeur départemental du travail » (1).
Via la transcription législative du 25 juin 2008, la plupart d’entre-elles furent intégrées au Code du travail. Et parmi celles-ci, ce fameux droit de rétractation qui venait décliner un type de disposition qui, à l’époque, n’avait effectivement cours qu’en matière de droit de la consommation.
– Droit qui n’avait pas nécessairement vocation à être largement utilisé dans le sens où, comme on peut assez facilement l’imaginer, le salarié qui le fait valoir risque court un risque réel de ne plus pouvoir « bénéficier » d’un tel mode de rupture.
– Mais droit qui n’en était pas moins fondamental à reconnaître. En effet, il revient à donner une arme à la partie qui se serait vue forcer la main lors de la signature d’une convention de rupture.
- Le délai de 15 jours pour se rétracter : ce que disent les textes
En ce début d’année 2018, certains aspects de la mise en œuvre de ce droit n’avaient pas encore été complètement précisés par la jurisprudence. Ainsi en était-il des contours du délai de 15 jours au cours duquel les parties ont la possibilité de faire valoir leur droit à rétractation. Et plus exactement, du moment jusqu’auquel elles ont la faculté d’agir.
Il faut dire qu’à première vue, les textes de loi applicables en la matière semblaient être particulièrement clairs.
S’agissant du temps de la rétractation et de son mode opératoire :
En son troisième alinéa, l’article L. 1237-13 du Code du travail précise, d’une part, qu’ « à compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d’entre elles dispose d’un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit à rétractation » et que, d’autre part, « ce droit est exercé sous la forme d’une lettre adressée par tout moyen attestant de sa réception par l’autre partie ».
S’agissant de la computation du délai de rétractation :
Elle obéit elle aux principes des articles 641 et 642 du Code de procédure civile et R. 1231-1 du Code du travail (2).
L’article 641 du Code de procédure civile précise, en son premier alinéa, que « lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de le décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas ».
L’article 642 du Code de procédure civile précise, en son premier alinéa, que « tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures » et, en son second alinéa, que « le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant ».
L’article R. 1231-1 du Code du travail vient quant à lui simplement confirmer que les dispositions de cette dernière disposition du Code de procédure civile s’appliquent bien aux dispositions relatives à la rupture du CDI (dont la rupture conventionnelle).
S’agissant de la démarche à effectuer une fois le délai de rétractation passé :
En son premier alinéa, enfin, l’article L. 1237-14 du Code du travail précise qu’ « à l’issue de délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d’homologation à l’autorité administrative avec un exemplaire de la convention de rupture ».
- Le délai de 15 jours pour se rétracter : ce qu’est venu préciser l’arrêt du 14 février 2018
Rien, dans ces textes, n’est par contre venu expressément préciser si c’est la date d’envoi du courrier de rétractation ou celle de sa réception qui est à prendre en compte. Et c’est assez logiquement, dans une affaire où un salarié avait tardivement pris l’initiative de se rétracter, que cette question a fini par être posée aux juges.
En l’espèce, c’est le jeudi 12 mars 2009 que le salarié et l’employeur de la société Digital Graphic, avaient signé leur convention de rupture. 15 jours plus tard, jour pour jour, le vendredi 27 mars 2009, le salarié, pris de remords, envoie une lettre recommandée avec accusé de réception afin de faire part à l’employeur de sa décision de se rétracter.
C’est donc l’ultime jour du délai qui lui était imparti (et qui, en application de l’article 641 du Code de procédure civile, avait commencé à courir le lendemain du 12 mars 2009) que le salarié a expédié son courrier. Et délais postaux obligent, l’employeur ne l’a reçu que le mardi 31 mars 2009, soit 19 jours que le Cerfa, qui avait acté la rupture conventionnelle, ait été paraphé par chacune des deux parties.
De ce fait, la réaction du salarié a été considérée comme trop tardive, non seulement par l’employeur qui, le mardi 31 mars 2009, avait déjà transmis la convention de rupture à l’administration, mais aussi par cette dernière qui, le 2 avril 2009, n’hésita pas à l’homologuer.
Dépité, le salarié forma un recours « en nullité de la convention de rupture » devant le conseil de prud’hommes puis devant la cour d’appel (de Versailles). En vain puisque cette dernière le débouta purement et simplement de sa demande. Pour ce faire, elle considéra que la date à laquelle le droit de rétractation devait être pris en compte était non pas celle de l’envoi du courrier mais celle de sa réception.
Fin du film ? Heureusement non puisque, le 14 février dernier, c’est cette décision des juges du fond que la cour de cassation est venue casser ! Ce faisant, la Haute-juridiction laisse clairement entendre que, pour chacune des deux parties, pouvoir jouir de la plénitude du délai légal de rétractation de 15 jours était bel et bien constitutif d’une garantie essentielle du consentement des parties. Et qu’en conséquence, il n’était pas acceptable d’en défalquer les jours inhérents à l’expédition du courrier de rétractation. Ce d’autant plus que les aléas qui sont susceptibles d’advenir lors de cet acheminement postal, au-delà du fait qu’ils échappent complètement à la volonté des parties, peuvent selon les circonstances ni plus ni moins annihiler le droit à rétractation dont la loi consacre pourtant l’existence.
Qu’adviendrait-il par exemple d’un droit à rétractation rapidement mis en œuvre par un salarié mais dont le courrier ne parviendrait à l’employeur que 10 à 15 jours après son expédition du seul fait d’un dysfonctionnement des services postaux ?
On comprend aisément, à l’aune de cette question, que la solution retenue par la Cour d’appel de Versailles n’était vraiment pas tenable…
- Les conséquences pratiques de l’arrêt rendu le 14 février 2018
Il nous semble que la date envisagée pour la rupture du contrat de travail telle qu’elle doit être portée au Cerfa doit désormais, dans sa fixation, tenir compte du sens de la décision qui vient d’être rendue par la Cour de cassation.
Pour ce faire, il ne faut pas (ou plus) se contenter d’additionner le délai de rétractation de 15 jours au délai d’instruction par la Direccte, lui-même de 15 jours. Mais il convient, à tout le moins, d’ajouter 5 à 10 jours à ces deux délais afin de tenir compte du fait que la rétractation de l’une des parties peut être portée à la connaissance de l’autre après la fin du délai.
Rappelons en effet que si l’article L. 1237-14 du Code du travail précise qu’ « à l’issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d’homologation à l’autorité administrative avec au exemplaire de la convention de rupture », il ne paraît cependant guère prudent d’adresser cette demande dès le lendemain du quinzième jour puisqu’à ce moment-là, la partie qui procéderait à l’envoi pourrait ne pas encore avoir reçu le courrier lui annonçant la rétractation « tardive » de l’autre.
Ce d’autant plus que si le dernier jour devait tomber un samedi, un dimanche ou un jour férié, le délai de rétractation pourrait, en application du second alinéa de l’article 642 du Code de procédure civile, être porté à 16 jours ou 17 jours. Et ce, hors délai d’expédition du courrier de rétractation qui pourrait bien se surajouter si le courrier de rétractation devait être posté le dernier jour de la période de rétractation.