Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat FO.
Le 25 mars 2015, le gouvernement a demandé au DRH d’Orange, Bruno Mettling, d’établir une analyse sur les principaux enjeux et conséquences des évolutions liées au numérique sur les modes et organisations du travail. En parallèle, Force Ouvrière a établi des réflexions générales concernant l’impact du numérique sur le travail et a été auditionnée durant l’été lors de la phase de concertation afin de transmettre ses points de vigilance et ses positionnements (voir Annexe n°1 : L’impact du numérique sur le travail).
Le rapport finalisé, intitulé « Transformation numérique et vie au travail » et officialisé le 15 septembre 2015, cherche à travers ses 36 préconisations, à poser des éléments diagnostics et à proposer des solutions face aux transformations inhérentes au développement des Technologies de l’Information et de la Communication.
Les bouleversements économiques que nous connaissons, les nouveaux usages professionnels, souvent peu maîtrisés et mal encadrés, justifient à eux seuls l’ensemble des domaines abordés par ce rapport. Cependant, alors qu’il aurait été nécessaire d’utiliser le numérique comme une opportunité permettant d’améliorer les conditions de travail, de réduire la pénibilité, de créer des emplois, de sécuriser les parcours professionnels et de renforcer les droits collectifs des salariés, l’orientation générale du rapport « Transformation numérique et vie au travail », sous la pression évidente du gouvernement notamment du côté de Bercy, semble utiliser le numérique comme un cheval de Troie ce qui a poussé Force Ouvrière à analyser avec précision l’ensemble des 36 préconisations (voir Annexe N°2 : Analyse des 36 préconisations du Rapport « Transformation numérique » et « Vie au travail » et Positions de Force Ouvrière).
L’attention de FO porte essentiellement sur trois grandes tendances dangereuses qui apparaissent clairement : la destruction des droits sociaux collectifs au profit d’une individualisation sans précédent, l’inscription dans une logique d’inversion de la hiérarchie des normes au profit d’une régulation au niveau des entreprises et enfin, le transfert de la responsabilité des employeurs vers celle des salariés.
Est promu dans ce texte, un glissement du salarié en travailleur indépendant, artisan de ses qualifications et compétences, coupé de l’entreprise, occupant plusieurs emplois, avec pour unique recours un soi-disant « filet de sécurité » que le rapport se garde bien d’ailleurs de définir. On assiste ainsi, à travers des doses homéopathiques distribuées ci-et-là, à une véritable injonction de devenir « entrepreneur de soi-même ». Cette individualisation qui prend forme à travers la construction d’un socle de droits attachés à la personne au détriment de droits collectifs, peut conduire également à remettre en cause le fonctionnement et le financement de la Sécurité sociale collective et généralise une inégalité de droits en renvoyant sur le salarié devenu indépendant la responsabilité de s’en sortir et de se protéger seul.
Force Ouvrière s’oppose fortement à cette vision et dénonce en parallèle l’utilisation croissante et parfois frauduleuse tant du statut d’autoentrepreneur que de travailleur indépendant, permettant à l’employeur de transformer la relation salarié/employeur en prestataire individuel/donneur d’ordre, l’entrepreneur individuel supportant alors les dépenses fiscales et sociales de son nouveau statut pour une rémunération similaire voire inférieure le conduisant injustement dans la précarité.
De manière générale, le rapport évite de préconiser toute législation ou tout cadre national au profit d’un traitement au cas par cas, entreprise par entreprise. C’est le cas par exemple de nouveaux enjeux tels que « le droit à la déconnexion » ou de la mise en place de chartes d’entreprises visant à réguler l’usage des outils numériques.
Or, on ne peut renvoyer sur le niveau de l’entreprise au détriment d’un encadrement national, la responsabilité de préciser les droits et obligations des salariés ; cela répondrait d’une inversion de la hiérarchie des normes conduisant à une inégalité généralisée pour les salariés.
La troisième grande tendance du rapport consiste à transférer les responsabilités de l’employeur notamment en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail vers les salariés, en tant qu’individus. Les préconisations visant à instaurer un « devoir de déconnexion » individuel, à développer l’évaluation de la performance individuelle, à adapter la politique de rémunération dans l’entreprise à la notion d’efforts personnels d’adaptation, ou encore à mesurer la charge de travail de chaque salarié, s’inscrivent toutes dans cette logique de transfert de responsabilité.
Enfin, l’utilisation d’outils, qui devraient être destinés à assurer de manière collective des droits nouveaux aux salariés, à l’instar du Compte Personnel d’Activité ou du forfait-jours, tout comme l’utilisation de notions floues non définies juridiquement, comme le droit à la déconnexion ou la charge de travail, risquent de servir de colonne vertébrale afin d’accroître la flexibilité, de déroger davantage aux durées de travail maximales ainsi qu’aux temps de repos des salariés et d’individualiser ainsi les droits au détriment du collectif, en utilisant comme prétexte les évolutions du numérique et ses spécificités.
En sortie de ce rapport et des inquiétudes qu’il génère, il est essentiel de suivre attentivement l’écho qui sera donné par le gouvernement à l’ensemble de ces préconisations, notamment dans la « feuille de route sociale » du gouvernement à l’issue de la Conférence sociale du 19 Octobre 2015, qui consacre une table ronde au sujet du numérique et à l’occasion de laquelle FO fera valoir ses positions, analyses et revendications. Par ailleurs, en lien avec les Fédérations, la Confédération a entamé un travail tant réactif que prospectif sur les évolutions liées au numérique afin que celui-ci demeure un vecteur de progrès social.
Synthèse des Positions de Force Ouvrière sur le Rapport « Transformation numérique et vie au travail » :
– Revendiquer une consultation des branches pour mesurer les besoins en formation
– Demander une étude prospective générale permettant une évaluation concrète des effets du numérique sur l’emploi
– Faire établir par l’Etat (France Stratégie) une stratégie d’orientation des priorités liées au numérique
– Rappeler l’obligation de l’employeur d’accompagner ses salariés durant cette transformation et de répondre a leurs besoins de formation
– Proposer une régulation de l’usage des outils numériques au niveau des branches
– Diffuser les bonnes pratiques d’organisation du travail à distance par une nouvelle négociation interprofessionnelle
– Remettre le dialogue social au centre dans la construction des conditions de santé au travail dans la branche et au sein de chaque CHSCT
– Encadrer strictement et légalement l’usage des données relatives aux salariés
– Utiliser les outils numériques en complément des cours mais non en tant que palliatif tentant de masquer les restrictions budgétaires
– Faire bénéficier l’effort d’éducation au numérique à tous sans l’imputer au manager de proximité
– Veiller à ce que les espaces de travail répondent en priorité aux besoins des salariés et que les télétravailleurs et salariés nomades disposent d’un espace dédié
– Faire figurer dans le Code de la Sécurité Sociale, la présomption d’imputabilité à l’employeur en cas d’accident du télétravailleur
– Combattre les trois tendances du Rapport faisant du numérique un Cheval de Troie
– S’opposer à toute transformation du salarié en travailleur indépendant Dénoncer l’utilisation frauduleuse tant du statut d’autoentrepreneur que de travailleur indépendant
– Condamner la tentative de généralisation du forfait-jour
– S’opposer à la construction d’un socle de droits attachés à la personne au détriment du droit collectif
– Refuser de rompre avec le cadre légal de durée du travail pour le remplacer par la notion de charge de travail
– S’opposer à ce que le numérique serve de prétexte à de nouvelles exonérations fiscales et sociales