Lorsque l’employeur déplore une erreur de recrutement, ou bien que la formation (théorique ou pratique) n’est pas conforme aux attentes du salarié, la question de la sortie du contrat de professionnalisation peut se poser de manière anticipée. Il faudra alors jongler avec les obstacles légaux, à moins de faire perdurer cette situation inconfortable jusqu’au terme du contrat …
A en croire diverses enquêtes (menées par exemple par l’AGEFOS-PME ou le FPSPP), le contrat de professionnalisation satisferait en grande majorité employeurs comme salariés, soulignant notamment ses avantages en termes d’apprentissage et d’insertion dans l’emploi. Venant combler certaines lacunes de l’enseignement supérieur (notamment des formations universitaires), le contrat de professionnalisation continue ainsi de s’étendre dans un marché du travail pourtant au ralenti (+ 3% en 2014 selon la DARES). Attirés par des chiffres encourageants en matière d’insertion professionnelle (72% des salariés auraient un emploi dans les six mois qui suivent la fin du contrat), les bénéficiaires ont d’ailleurs tendance à se diversifier (âge, niveau d’étude …).
Néanmoins, près d’un contrat sur six ne serait pas mené à son terme, selon ces mêmes statistiques [1]. Or, le contrat de professionnalisation n’est pas un contrat de travail classique, résumé à l’échange d’un travail subordonné contre le paiement d’un salaire. En vue d’une qualification ou d’un diplôme, il engage à une relation contractuelle tripartite formalisée par la signature d’un contrat de travail et d’une convention de formation, qui peuvent difficilement survivre l’un sans l’autre (la rupture du contrat de travail entraîne sept fois sur dix l’abandon total du diplôme ou de la qualification).
Tout est donc fait pour maintenir la relation de travail jusqu’au terme de la formation. Dès lors, une fois la période d’essai expirée, il semble que seul un commun accord permette de sortir sans heurts du contrat. Or, la DARES estime que moins d’une rupture anticipée sur deux serait réellement le fruit d’une volonté commune des parties …
La fin de la période d’essai, point de non-retour
En principe, la période d’essai doit permettre à l’employeur « d’évaluer les compétences du salarié dans son travail ». En la matière, les contrats en alternance ne sont pas logés à la même enseigne. En apprentissage, on se refuse à utiliser le terme “période d’essai”: l’acquisition des compétences étant l’objet même du contrat, l’employeur ne pourrait valablement procéder à une évaluation à son démarrage. Hypocrisie notable puisque l’article L. 6222-18 permet à chaque partie de rompre librement le contrat durant les quarante-cinq premiers jours passés en entreprise.
En professionnalisation, le droit commun s’applique (art. L. 1221-19 et L. 1242-10). S’agissant généralement de CDD supérieurs à 6 mois, la période d’essai sera limitée à un mois calendaire, périodes scolaires incluses. Durant ce (court) délai, la rupture est libre : en cas de doute sur l’apport ou l’investissement dans l’entreprise du bénéficiaire, la décision devra être bien pesée. Ensuite, la rupture devient très encadrée : on s’engage donc sur une durée quasi-certaine.
Pas de précipitation toutefois. Tout d’abord, l’existence de la période d’essai n’est pas automatique et doit être expressément prévue au contrat (d’où l’importance de remplir le CERFA avec soin). Ensuite, les dispositions conventionnelles devront être examinées, puisqu’elles peuvent prévoir des mesures plus favorables pour le salarié. Il faudra également respecter le délai de prévenance fixé. Enfin, le droit de rompre librement le contrat ne doit pas dégénérer en abus. L’employeur marche sur des œufs: l’évaluation des compétences durant la période d’essai doit tenir compte de l’expérience du salarié. Difficile donc de lui reprocher son incompétence alors qu’il débute justement l’apprentissage d’un métier : à l’écrit, l’employeur gagnerait à se montrer évasif. Dans tous les cas, il faudra bien évidemment éviter tout motif discriminatoire (absences maladies répétées, par exemple).
La période d’essai est de toute manière relativement courte, et il est souvent difficile d’émettre un jugement éclairé. La violence que constitue une rupture si rapide peut aussi refroidir certains employeurs qui préféreront “attendre et voir”, sans forcément mesurer le risque.
Le « commun accord », seule porte de sortie ?
Si la rupture du contrat de professionnalisation est si difficile, c’est essentiellement parce que 94% des contrats signés sont à durée déterminée, selon la DARES. Il faut donc composer avec les contraintes de l’article L. 1243-1, qui pose que le CDD « ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail », sauf accord des parties.
Ainsi, contrairement à un salarié en CDI, le bénéficiaire d’un contrat de professionnalisation ne pourra pas démissionner. On sait pourtant que la poursuite contrainte d’une relation de travail n’est jamais productive pour personne. Cette rupture d’égalité pourra entraîner des situations ridicules où le salarié qui souhaite partir provoque son licenciement en misant sur la faute grave, ou bien multipliera les absences maladies en espérant, à terme, que son inaptitude au poste soit prononcée. Cela peut également freiner ses démarches pour trouver une autre entreprise qui prendrait le relai …
L’employeur, quant à lui, ne peut prononcer un licenciement qu’en démontrant l’existence d’une faute grave, avec le fort risque contentieux que cela comporte. Il faudra donc se montrer mesuré et la réserver à des cas extrêmes : on pense notamment à des retards et absences répétés et injustifiés. Par exemple, la Cour de Cassation a estimé que des absences à des réunions commerciales importantes désorganisant le service caractérisaient une faute grave de la part du salarié en contrat de professionnalisation (Soc., 25 juin 2013, n° 11-30.298). Oublions d’emblée, par contre, le cas de force majeure : il a été écarté même dans l’hypothèse où le salarié était renvoyé de son organisme de formation, sans possibilité de la poursuivre ailleurs [2].
Rompre le contrat ne sera donc une formalité que si les deux parties sont d’accord pour conclure une « convention de rupture anticipée » (et non pas une rupture conventionnelle, réservée aux CDI). Il est évidemment préférable que l’initiative vienne du salarié, puisque toute approche de l’employeur pourrait être interprétée ultérieurement comme une tentative de pression, en cas de contentieux : les cas de prise d’acte ou résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur pour des faits qualifiés de harcèlement moral ne manquent pas.
Une fois la rupture actée, l’employeur sera tenu de la signaler dans un délai de trente jours à son OPCA, à l’URSSAF, ainsi qu’à la DIRECCTE (art. D 6325-5).
Cette rigidité participe indéniablement à la naissance de contentieux où le salarié cherche à qualifier la rupture aux torts de l’employeur, notamment sur le terrain de son obligation particulière de formation. Les conséquences ne sont pas neutres financièrement, puisque l’entreprise peut être amenée à rembourser les sommes financées par son OPCA. A l’inverse, quand bien même la rupture serait entièrement imputable au salarié, l’employeur n’est pas fondé à demander le remboursement des dépenses de formation engagées à celui-ci (art. L. 6325-15).
1.On oscille entre 13% et 18% selon les études menées par la DARES en 2012 et 2014.
2.Cf. Soc., 31 oct. 2012, n° 11-21.734.