L’hilarant projet de nationalisation de l’AGIRC et de l’UNEDIC déposé par le Sénat

Nationaliser l’AGIRC et l’UNEDIC ? C’est l’objet d’une proposition de loi organique déposée, dans l’indifférence générale, par Jean-Marie Van Lerenberghe, sénateur démocrate-chrétien du Nord bien connu des initiés de la protection sociale, et quelques autres. Ce n’est pas tant l’ambition du projet que son mode de raisonnement qui fait rire, puisque les sénateurs se proposent d’étendre aux régimes AGIRC et ARRCO qui sont aujourd’hui en situation financière saine les méthodes qui ont provoqué l’effondrement de nos finances publiques.

 

Nationaliser l’AGIRC et l’UNEDIC, l’idée n’est pas nouvelle. Elle était proposée clairement par la Cour des Comptes depuis… décembre 2014 ! Le mécanisme de cette nationalisation (qui constituerait plus une finlandisation, pour remettre des termes empruntés à l’histoire) est simple: il suffit d’inclure dans le périmètre de la loi de financement de la sécurité sociale les comptes des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO, et de l’UNEDIC. Une loi organique, et le tour est joué… 

L’AGIRC et l’UNEDIC victimes de leurs choix

D’une certaine façon, cette mécanique est relativement inévitable, puisque, dans les années 90, ces régimes ont refusé leur ouverture à la concurrence, au contraire de ce que l’Allemagne a pu faire à la même époque. La logique des partenaires sociaux était simple : refusant les conséquences du traité de Maastricht fraîchement approuvé par referendum, les « partenaires sociaux » (patronat compris…) ont souhaité garder leur monopole « obligatoire » qu’ils ont figé par une loi de généralisation des régimes.  

Ce faisant, ils ont fait basculer les comptes de ces régimes dans les « finances publiques », signant alors leur arrêt de mort à terme. Comment imaginer que des partenaires sociaux aient la main sur les finances publiques, sans que le Parlement ne les domestique tôt ou tard ? 

Grâce au « bordel » français, la décision n’a jamais été prise officiellement par les parlementaires de contrôler ces régimes complémentaires. Cette faiblesse du Parlement a laissé libre cours à la direction de la sécurité sociale pour prendre de fait le contrôle des opérations sans que personne ne pipe mot.  

Les arguments hilarants du Sénat

Au lieu de rappeler cette réalité simple (que les partenaires sociaux ont renoncé à leur liberté pour garder leur monopole après Maastricht), la proposition de loi Van Lerenberghe se lance dans une explication sinueuse et tordante

« Ainsi, une « règle d’or » serait mise en place fin 2024 pour garantir un équilibre sur cinq ans des comptes de la sécurité sociale. En évitant de transmettre aux générations futures le financement des droits des générations actuelles, les auteurs de la proposition de loi entendent assurer la pérennité de notre modèle social et la confiance des plus jeunes en son avenir. » 

L’intégration de l’AGIRC-ARRCO et de l’UNEDIC dans une loi annuelle de financement de la protection sociale permettrait donc de faire respecter une « règle d’or » garantissant leur retour à l’équilibre à partir de 2025 ? On n’a jamais autant ri depuis l’appel au front républicain de Chirac, en 2002, qui a permis de berner la gauche dans les grandes largeurs.  

En effet, les comptes de la sécurité sociale sont déficitaires de façon quasiment constante depuis 1975. Et l’invention des lois de financement de la protection sociale par Juppé en 1995 n’y a absolument rien changé.  

Imaginer que l’intégration des régimes complémentaires dans ce dispositif leur sera bénéfique relève donc d’un humour sans limite.  

Van Lerenberghe enfonce le clou

La lecture du texte signé par les sénateurs ne fait que confirmer ce sentiment de parlementaires qui ont fumé la moquette et vivent dans un monde déconnecté du réel.  

Ainsi, ces sénateurs consacrent un chapitre III à leur dispositif, intitulé : « Reproduire le chaînage vertueux des lois de finances »… 

Le chaînage vertueux des lois de finances… On ne savait pas que Van Lerenberghe carburait aux champignons hallucinogènes. Car il faut vraiment chercher loin pour trouver un quelconque « chaînage vertueux » dans des lois de finances qui constatent, sans discontinuer depuis plus de trente ans, un déficit annuel de l’Etat, généralement non contrôlable. Rappelons que, depuis la crise de 2009, aucune loi de finances n’a ramené le déficit budgétaire sous les 3% de PIB exigés par Maastricht, alors qu’à peu près tous nos autres partenaires européens y parvenaient.  

Désastre social en vue

Si l’on comprend bien que les sénateurs aient envie d’étendre le champ de leur pouvoir au contrôle de régimes complémentaires qui échappent pour l’instant à leur regard, l’argumentation « d’intérêt général » mobilisée pour justifier ce projet ne tient évidemment pas la route. Les assurés sociaux ont otut intérêt à méditer longuement la leçon. 

Alors que la crise du coronavirus vient de confirmer le naufrage du service public et la ruine programmée de notre système de protection sociale obligatoire, les parlementaires vivent encore dans le monde d’avant, et ne proposent que des solutions périmées qui ont montré non seulement leur inefficacité, mais même leur toxicité. 

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