Par décision du 23 juillet 2015, huit Sages de la rue Montpensier ont partiellement validé la loi relative au renseignement qui complète le code de la sécurité intérieure.
Ils étaient saisis par Le Président de la République, le président du Sénat et plus de soixante députés qui demandaient au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité au droit au respect de la vie privée et à la liberté d’expression, à la liberté de communication et au droit à un recours juridictionnel effectif des dispositions de la loi relative au renseignement.
Rappelons que cette loi vise à donner aux services de renseignement des moyens à la hauteur de la menace à laquelle ils sont confrontés en les autorisant à recourir à des techniques d’accès à l’information.
Les arguments essentiels des parties
Les députés s’interrogeaient sur la définition large et peu précise des missions pouvant donner lieu à enquêtes administratives ; sur les moyens techniques considérables de collectes massives de données ; ainsi que sur la proportionnalité, par rapport aux objectifs recherchés, de la mise en œuvre de ces techniques intrusives et attentatoires au respect de la vie privée, à l’ère où le numérique est présent à chaque instant de notre vie. Selon eux, la concentration des pouvoirs aux seules mains de l’Exécutif est d’autant plus préoccupante, qu’à aucun moment il n’existe un véritable droit de recours du citoyen auprès du juge judicaire, garant des libertés individuelles selon notre Constitution. Les saisissants critiquaient également le côté « si vague » et la « sémantique trop relâchée » des dispositions attaquées et ajoutaient que le législateur a laissé le gouvernement déterminer arbitrairement les critères lui permettant de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens, sans que la présente loi ne le limite d’aucune façon, échouant à « prémunir les sujets de droit […] contre le risque d’arbitraire »,
Quant au gouvernement, il affirme que la loi assure la nécessaire conciliation entre la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, à laquelle contribue l’action des services de renseignement, et la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis, notamment le respect de la vie privée. Pour l’exécutif, ces nouveaux recours à des techniques d’information s’inscrivent dans le strict respect du principe de proportionnalité et pour le seul exercice de la défense et la promotion, des intérêts fondamentaux de la Nation.
La motivation des juges constitutionnels
Dans sa décision le Conseil rappelle à titre liminaire que le législateur doit assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figurent le droit au respect de la vie privée, l’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Le Conseil constitutionnel juge que le recueil de renseignement au moyen des techniques définies par la loi relève de la seule police administrative. Il ne peut ainsi avoir d’autre finalité que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions. Il ne peut être mis en œuvre pour constater des infractions à la loi pénale, en rassembler les preuves ou en rechercher les auteurs.
S’agissant de la disposition relative aux autorisations de mesures de police administrative délivrées par le Premier ministre après consultation d’une autorité administrative indépendante, les Sages considèrent qu’elle ne porte pas d’atteinte à la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution. Eu égard aux garanties qu’il prévoit, le Conseil constitutionnel a jugé conforme l’article L. 821-5 du code de la sécurité intérieure qui traite de « l’urgence absolue ».
Le Conseil constitutionnel a, en revanche, censuré les dispositions traitant de l’« urgence opérationnelle ». Il a relevé qu’il s’agit de la seule procédure qui permet de déroger à la délivrance préalable d’une autorisation par le Premier ministre ou par l’un de ses collaborateurs directs habilités au secret de la défense nationale auxquels il a délégué cette attribution ainsi qu’à la délivrance d’un avis préalable de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Les juges de la rue Montpensier ont également indiqué que la procédure ne prévoit pas non plus que le Premier ministre et le ministre concerné doivent être informés au préalable de la mise en œuvre d’une technique dans ce cadre. Ils en ont déduit que les dispositions de l’article L. 821-6 portent une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances.
L’article L. 821-7 du code de la sécurité intérieure qui soulève la polémique parmi les magistrats, avocats et journalistes est quant à lui déclaré conforme à la Constitution. D’une part, les juges relèvent qu’une demande de mise en œuvre d’une technique de renseignement concernant un membre du Parlement, un magistrat, un avocat ou un journaliste ou leurs véhicules, bureaux ou domiciles, fait l’objet d’un examen systématique par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement siégeant en formation plénière, ce qui est de nature à présenter des garanties suffisantes. D’autre part, ils confirment qu’une telle demande de mise en œuvre de renseignement ne peut intervenir à raison de l’exercice du mandat ou de la profession des intéressés. Enfin, le Conseil précise qu’il incombe à la commission, destinataire de l’ensemble des transcriptions de renseignement, de veiller, sous le contrôle juridictionnel du Conseil d’État, à la proportionnalité tant des atteintes portées au droit au respect de la vie privée que des atteintes portées aux garanties attachées à l’exercice de ces activités professionnelles ou mandats.
Sur les traitements automatisés permettant de détecter, sur leurs réseaux, des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste, les juges estiment les dispositions législatives conformes, de même que celles relatives à la transmission en temps réel de données techniques permettant la géolocalisation et les interceptions administratives de correspondances émises par la voie des communications électroniques ou encore des techniques de sonorisation de certains lieux et véhicules et de la captation d’images et de données informatiques.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a estimé qu’en ne définissant dans la loi ni les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés, ni celles du contrôle par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de la légalité des autorisations délivrées et de leurs conditions de mise en œuvre, le législateur ne déterminait pas les règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l’exercice des libertés publiques, en conséquence l’article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure, relatif aux mesures de surveillance internationale est déclaré contraire à la Constitution.
En conclusion, certes la loi relative au renseignement comprend de nouvelles mesures particulièrement intrusives tendant à la prévention des atteintes à l’ordre public et des infractions, mais les garanties prévues par le législateur contribuent à la rendre pour l’essentiel conforme à la Constitution. Gageons toutefois que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ainsi que le juge administratif contrôleront la mise en œuvre des nouvelles mesures, dans le respect des Droits et libertés fondamentaux.