Affaire Beaudet : la mutualité française est-elle une marque lucrative comme les autres ?

Thierry Beaudet, président de la Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF), président de la MGEN après avoir été instituteur au début de sa carrière, vient de commettre, dans le Journal du Dimanche, une tribune favorable à l’euthanasie qui sème le trouble, y compris parmi les adeptes de l’économie sociale et solidaire. Il y fait une offre de services, au titre de la mutualité, pour faciliter la liberté de se suicider en pariant sur les mutuelles comme “pionnières en créant les lieux et les conditions permettant d’exercer cette liberté.”. Cette approche mercantile du sujet choque, mais elle interroge sur la vraie nature de ce qu’est aujourd’hui la mutualité.

 

Thierry Beaudet n’a pas été très inspiré dans sa tribune du Journal du Dimanche de ce week-end (ou alors le conseiller en communication de la FNMF qui a rédigé la tribune est à congédier d’urgence), intitulée “l’aide active à mourir, un débat nécessaire”, où une longue argumentation sur l’éthique du suicide conçu comme liberté s’achève par une nouvelle offre de services mutualistes dans ce domaine. Le journal La Croix, pourtant enclin à caresser l’économie sociale et solidaire dans le sens du poil, a écrit des mots cruels sur cette maladresse. Le quotidien catholique de gauche cite la psychologue Marie de Hennezel à l’appui de sa charge toute en subtilité : « On peut légitimement se demander si les mutuelles ne pourraient pas avoir des intérêts financiers à défendre une telle évolution ». 

Et c’est vrai que la tribune de Thierry Beaudet ne comporte aucune ambiguïté sur le sujet : les positions du président favorables à l’euthanasie confondent les arguments philosophiques et la proposition commerciale, comme si la mutualité française considérait que l’euthanasie est un nouveau marché à conquérir et que l’argent justifie, en mode pharisien ou jésuite, toutes les orientations philosophiques imaginables. 

Thierry Beaudet vient de tuer les dernières illusions sur l’économie sociale et solidaire

Dans de nombreuses publicités financées sur des médias prestigieux et coûteux, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, et notamment les mutuelles (mais le crédit coopératif ne fait pas mieux), aiment à rappeler que, eux, ils sont désintéressés, parce qu’ils n’ont pas d’actionnaires à rémunérer et qu’ils n’ont pas d’objectifs lucratifs. On retiendra par exemple le slogan de la MAIF, l’assureur militant, ou la récente campagne sur ce que sont vraiment les mutuelles, affichée dans de nombreux abribus. 

Chacun sait que, en communication, on a besoin de n’énoncer que ce qui ne coule pas de source. Et c’est vrai que la course au gigantisme chez des acteurs mutualistes, avec l’émergence de groupes comme Vyv ou Aesio, interroge sur le sens de cette évolution profonde que connaît la mutualité. Entre l’esprit mutualiste originel où des assurés se regroupaient spontanément pour s’assurer eux-mêmes et conserver le contrôle de leur propre assurance santé, et la constitution d’énormes machines mutualistes où le pouvoir est détenu par des “permanents” de plus en plus éloignés de l’assuré, l’authenticité de l’inspiration mutualiste paraît bien difficile à préserver. 

Sur ce point, la conclusion de la tribune signée par Thierry Beaudet est terrible, car elle ruine en une seule phrase toutes les campagnes publicitaires qui proclamaient le contraire. En réalité, les mutuelles ne cachent plus guère leurs objectifs lucratifs et commerciaux, et montrent comment les prises de position philosophique qu’elles peuvent prendre sont d’abord dictées par le bénéfice qu’elles peuvent en retirer en termes de chiffre d’affaires. 

Thierry Beaudet réagit comme un Pharisien oint du seigneur

Le plus amusant, dans cette affaire, tient à la réaction angélique de Thierry Beaudet lui-même. Interrogé par La Croix, l’intéressé ne semble pas prendre la mesure de la gaffe qu’il vient de commettre, insistant sur le fait que : “Sur cette nécessité d’en débattre, les mutualistes sont unanimes. En revanche, sur l’aide active à mourir, la question renvoie à la liberté absolue de conscience de chacun”. Thierry Beaudet, selon la Croix, n’a pas éprouvé le besoin de “rectifier le tir” en reconnaissant une maladresse. 

On sait pourquoi certains dirigeants mutualistes ne voient plus en quoi le mélange permanent des genres entre objectifs non lucratifs et stratégie de chiffres d’affaires scient la planche sur laquelle ils sont assis. C’est parce qu’ils se considèrent, comme beaucoup de bobos p(h)arisiens, comme ce que Charles Gave appelle des “oints du seigneur”. Pour des raisons quasi-religieuses, ils estiment que toutes leurs positions sont bénies et non critiquables, et que seuls des malotrus ou des mauvais coucheurs peuvent mettre en doute leur sincérité ou leur désintéressement. 

Dans leur vision du monde, il y a d’un côté les horribles capitalistes taxés de “dérive néo-libérale dangereuse” et permanente (comme l’écrivait de façon peu élégante à notre propos le cédétiste Gaby Bonnand reconverti dans la sphère Vyv). De l’autre, il y a les gentils acteurs de l’économie sociale et solidaire qui ont le droit d’annoncer dans une même tribune leur soutien à l’euthanasie et leur offre commerciale sur le sujet sans avoir à être inquété pour leur conflit d’intérêt. 

Mais en dehors d’eux, qui y croit encore? 

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