Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.
La discrimination en raison du sexe n’est pas un domaine réservé aux femmes. Les hommes aussi peuvent en être victimes. Et, aussi curieux que cela puisse paraître, il se trouve même que, parfois, c’est la volonté patronale de ne pas écarter les femmes d’un processus de recrutement qui peut conduire à ce résultat ! Décryptage d’une décision très récemment rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation. Cass. soc. 30.09.15, n° 14-25.736.
Les faits
Dans cette affaire, tout commence par une candidature à un emploi. Celle d’un demandeur d’emploi auprès d’une association ayant pour objet de « favoriser l’embauche des personnes rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières ».
L’association proposait nombre de missions dans nombre de domaines : entretien de locaux et d’espaces verts, manutention, bricolage, mais aussi tâches administratives diverses, surveillance de cantine et aide de vie scolaire. En clair, des emplois à sociologie franchement masculine d’un côté et franchement féminine de l’autre.
Le demandeur d’emploi se montra intéressé. Il candidata donc, tout en précisant qu’il « opposait un refus catégorique à tout travail de manutention ou d’entretien ».
Une telle exigence ne fut pas sans mettre l’association dans l’embarras car, visiblement, elle ne parvenait guère à positionner des femmes sur des fonctions d’agent d’entretien de locaux et d’espace vert, de manutentionnaires ou de « bricoleuses ». Aussi, avait-elle tendance à leur « réserver » les fonctions de d’agent administratif, de surveillante de cantine ou d’aide de vie scolaire. Pratique aussi clivante que contestable bien sûr, mais qui visait tout de même à permettre à des femmes « rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières » de pouvoir effectivement accéder à l’emploi.
Après étude de la candidature, l’association décida de ne pas la retenir. Mais, soucieux de ne pas laisser le candidat malheureux dans l’incompréhension et dans le sentiment d’échec, l’un des responsables de l’association prit la peine de décrocher son téléphone afin de tenter de lui expliquer les raisons de son infortune. Ne parvenant pas à le joindre, il se décida à lui laisser un message téléphonique.
Et c’est bien là que tout se joua, car l’intention était aussi louable que le message fût maladroit. Si dans un premier temps, il y fut simplement précisé qu’il n’était pas possible de donner suite du fait que le candidat ne souhaitait pas intervenir en manutention alors que c’était là « le type d’activité » que l’association « avait en plus grand nombre », il fut également, par la suite, précisé que « les emplois d’aide à la vie scolaire » que l’association proposait également étaient « réservés plutôt au personnel féminin ». Ce, du fait que, était-il précisé en conclusion, qu’« il n’y avait pas assez de propositions ou de missions pour les femmes ».
« Emplois réservés », le mot était lâché ! Et venant de la bouche même d’un représentant de l’employeur, il y aurait tout lieu de le considérer comme un aveu, dès lors qu’une procédure judiciaire serait par la suite engagée.
Des propos révélateurs d’une pratique discriminatoire ?
Force est de constater que procédure judiciaire il y eut bien, au civil. Le candidat éconduit décida, en effet, de solliciter, auprès du conseil de prud’hommes territorialement compétent, la condamnation de l’association à 3 300 € de dommages-intérêts pour discrimination à l’embauche « en raison du sexe ».
Pour ce faire, il prit appui sur l’article L. 1 132-1 du Code du travail, selon lequel « aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement (…) en raison de son sexe » et sur l’article L. 1134-1 de ce même Code qui, en la matière, aménage la charge de la preuve en précisant que le candidat doit simplement « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination (…) » et « qu’au vu de ces éléments, il incombe » ensuite « à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination ».
En l’espèce, le candidat disposait du message laissé par l’association, qui, elle, ne semblait pas être à même de prouver que sa décision était justifiée par des « éléments étrangers à toute discrimination ».
Non, pour les prud’hommes
Les juges du travail ne donnèrent cependant pas gain de cause au salarié. En arguant, notamment, du fait que l’usage de l’adverbe « notamment » ne faisait finalement qu’indiquer une préférence (vis-à-vis des femmes) et non pas une exclusivité. Si on peut parfaitement bien comprendre la nuance ainsi posée, on peut aussi considérer qu’en droit, elle n’était guère susceptible de dédouaner la partie employeur du grief de discrimination. Car, à l’évidence, reconnaître qu’une décision a été arrêtée sur la base d’une préférence adossée à un motif interdit suffit déjà, en soi, à reconnaître l’existence de la discrimination.
Aussi apparaît-il que le conseil de prud’hommes a d’abord voulu juger en équité puisque, à l’évidence, l’association n’avait pas eu d’intention malveillante et qu’au contraire elle avait essayé de pourvoir les emplois dont elle disposait en veillant à faire en sorte que les femmes puissent également y accéder. Il n’en reste pas moins qu’en droit, le jugement prud’homal était exposé à la censure.
Oui, pour la Cour de cassation
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation constata que, nonobstant le recours à l’adverbe « plutôt », il y avait bien lieu de considérer que l’emploi sur lequel avait postulé le demandeur était effectivement « réservé aux femmes ». Une telle pratique devait donc être considérée comme discriminatoire et ce même à supposer que « l’association ait invoqué d’autres motifs à l’appui de sa décision ».
La morale de cette histoire est assez simple : aucun emploi, quelle qu’en soit la nature, ne peut être réservé à des candidats de l’un ou l’autre sexe. Et ce même à supposer qu’une telle orientation soit dictée par de nobles considérations.