Cette publication a été initialement publiée sur le site du syndicat de salariés CFDT.
En cas d’inaptitude du salarié, l’employeur doit chercher à le reclasser. Lorsqu’il est dans l’impossibilité de lui proposer un autre poste, il doit lui faire connaître par écrit les motifs qui s’opposent au reclassement. En revanche, cette obligation ne joue pas lorsque l’employeur a proposé un poste au salarié que celui-ci a refusé. Voici la précision importante que la Cour de cassation a récemment apportée ! Cass.soc.24.03.21, n°19-21263.
Les faits
Victime d’un accident du travail, le salarié est déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail en février 2017. L’employeur a alors proposé au salarié des offres de reclassement que ce dernier a refusé. 2 mois plus tard, il est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
En octobre 2017, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes en vue de réclamer diverses indemnités. Ce qu’il reproche notamment à l’employeur c’est de ne pas lui avoir notifié par écrit les motifs qui s’opposaient à son reclassement avant de procéder à son licenciement.
Quelles sont les obligations de l’employeur en cas de licenciement pour inaptitude ?
L’obligaiton de reclassement. Lorsqu’un salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre le poste qu’il occupait précédemment, l’employeur est tenu de lui proposer un autre poste adapté à ses capacités. Il doit pour cela tenir compte des conclusions écrites et des indications du médecin du travail et consulter préalablement le CSE. Ce poste doit alors être aussi comparable que possible à son poste précédent (au besoin, en aménageant, transformant ou adaptant des postes existants). C’est ce que prévoit l’article L.1226-10 du Code du travail concernant l’inaptitude professionnelle (1). La même chose est prévue pour l’inaptitude non professionnelle.
Autre obligation de l’employeur. Lorsque l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, et avant d’engager la procédure de licenciement, il doit lui faire connaître par écrit les motifs qui s’opposent à ce reclassement.
Il faut savoir qu’à la base, cette obligation n’était prévue qu’en cas d’inaptitude professionnelle, la loi Travail l’a étendue à l’inaptitude non professionnelle.
L’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie :
- soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10,
- soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions,
- soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi.
Puis la loi Travail est venue préciser que l’obligation de reclassement de l’employeur est réputée satisfaite lorsque celui-ci a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.
C’est ce que prévoit l’article L.1226-12 du Code du travail (2).
Quelles sont les sanctions du non-respect par l’employeur de cette obligation d’information ?Lorsque le licenciement est prononcé alors que l’employeur n’a pas informé le salarié par écrit de l’impossibilité de reclassement, ce dernier peut, si l’inaptitude est d’origine professionnelle demander sa réintégration ou une indemnité(3). L’absence de notification écrite constitue une irrégularité de forme qui ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts(4). Cette indemnité ne peut être inférieure à 6 mois de salaire.
Pour les juges du fond, l’employeur a respecté ses obligations
La cour d’appel va en effet débouter le salarié de sa demande d’indemnité pour défaut d’information des motifs de l’impossibilité de reclassement : selon elle, l’employeur a proposé au salarié des offres de reclassement conformes aux exigences de l’article L.1226-10 du Code du travail. Offres que le médecin du travail a d’ailleurs jugé compatibles avec l’aptitude résiduelle du salarié qui les a refusées.
En réalité, la cour interprète strictement les textes : si, selon le Code du travail, l’employeur est tenu de faire connaître au salarié par écrit les motifs qui s’opposent au reclassement lorsqu’il est dans l’impossibilité de lui proposer un autre emploi, il n’est en revanche pas tenu de le faire lorsqu’à l’inverse, il a bel et bien proposé au salarié, qui l’a refusé, un emploi dans les conditions fixées par la loi.
Le salarié se pourvoit en cassation.
L’obligation de motiver par écrit l’impossibilité de reclassement ne s’applique pas lorsque le salarié a refusé une offre de reclassement
Malheureusement, la Cour de cassation confirme la décision des juges du fond, en faisant la même interprétation littérale des textes. L’obligation de notifier par écrit les motifs justifiant l’impossibilité de reclassement ne s’applique pas lorsque l’employeur a proposé des offres de reclassement au salarié, qui les a refusées.
On considère en effet que dans ce cas, le salarié ne peut pas ignorer les raisons pour lesquelles il n’a pas été possible de le reclasser puisqu’il a lui-même refusé la ou les propositions de poste.
Une décision importante – et loin d’être anodine pour les salariés…
Aussi logique qu’elle puisse paraître (si l’on s’en tient aux termes du Code du travail), cette solution marque un tournant en matière de licenciement pour inaptitude.
Il faut savoir que jusqu’à maintenant, le seul refus du salarié ne suffisait pas à constituer un motif de licenciement pour inaptitude. La Cour de cassation exigeait en plus que l’employeur justifie l’impossibilité de reclasser le salarié, c’est-à-dire qu’il ne disposait d’aucun autre poste compatible avec l’inaptitude du salarié. Il devait alors faire connaître par écrit les motifs qui s’opposaient au reclassement avant de procéder au licenciement (5).
Il a par exemple été jugé que la seule mention dans la lettre de licenciement du refus abusif du salarié d’accepter un reclassement rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse (6) car elle ne suffisait pas à démontrer que le reclassement du salarié était impossible (7). Finalement, le seul motif légitime de licencier un salarié inapte restait l’impossibilité de reclassement. C’est ce qui explique l’action en justice du salarié dans notre affaire.
Seulement, depuis la loi Travail, les juges n’avaient pas encore eu l’occasion de se prononcer sur l’étendue de l’obligation pour l’employeur de motiver par écrit l’impossibilité de reclassement, notamment en cas de refus de poste par le salarié. C’est désormais chose faite…
Et la décision n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les salariés. Pourquoi ?Parce que cette formalité revient à renforcer l’obligation de reclassement qui incombe à l’employeur. En n’exigeant plus de l’employeur qu’il motive cette impossibilité dès lors qu’il a proposé un poste au salarié que celui-ci a refusé, on atténue un peu la portée de son obligation de reclassement. Dans l’absolu, Il suffirait ainsi à l’employeur de faire une proposition, refusée par le salarié, pour pouvoir déclencher la procédure de licenciement !
Ceci dit, on peut tempérer ces propos pour deux raisons.
- D’abord, parce que cette non-information de l’employeur n’est valable que si la recherche a été effectuée selon les instructions du médecin du travail et sur des postes compatibles avec l’état de santé du salarié.
- Ensuite, parce que cette décision est la première rendue en ce sens. Il faut donc attendre les prochains arrêts de la Cour de cassation pour préciser cette position…
(1) Une inaptitude d’origine professionnelle, c’est-à-dire consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle. La même règle est prévue lorsque l’inaptitude a une origine non professionnelle (Art. L.1226-2 C.trav.).
(2) Art L.1226-12 C.trav. La même disposition est prévue pour l’inaptitude non professionnelle (Art L.1226-2-1 C.trav.).
(3) Art L.1226-15 C.trav.
(4) Cass.soc.24.01.01, n°99-40263.
(5) Cass.soc.9.06.10, n°09-40377 : ce motif devait par ailleurs être expressément indiqué dans la lettre de licenciement.
(6) Cass.soc.20.04.14, n°12-28374.
(7) Cass.soc.26.05.16,n°13-24468.