Rendu public hier, le dernier rapport de l’organisation internationale du travail (OIT) sur la protection sociale dans le monde et ses perspectives pour les deux prochaines années, propose un état des lieux synthétique de la couverture sociale des populations des différentes régions du globe. A cette occasion, l’OIT déplore la dégradation des systèmes européens de protection sociale.
L’efficacité du “modèle social européen”
S’ils reconnaissent “qu’il n’y a pas de “modèle social européen” au sens strict”, les auteurs du rapport recourent toutefois à cette expression afin d’évoquer les “réussites” dudit modèle. Ils insistent, en particulier, sur le fait que les systèmes de protection sociale mis en place dans les différents pays européens à l’issue de la Seconde Guerre mondiale ont “contribué à la croissance économique et au progrès social”. Plus loin, les auteurs enfoncent le clou : d’après eux, ces systèmes ont permis de “réduire la pauvreté de manière spectaculaire et ont favorisé la prosperité économique”.
En d’autres termes : pour l’OIT, historiquement, l’Europe se distingue du reste du monde par sa protection sociale généreuse, gage de bonnes conditions de vie pour les populations et de prosperité économique. En filigrane, ceci signifie que l’OIT tient l’Europe pour un modèle devant servir d’exemple au reste du monde.
Une “crise économique” déstabilisatrice
Hélas pour les auteurs du rapport, la “crise économique” qui a frappé les économies européennes entre la fin de la décennie 2000 et la première moitié de la décennie 2010, a constitué une première remise en cause des modèles européens de protection sociale. La hausse du chômage a d’abord mis à mal leurs équilibres financiers. Surtout, la crise a favorisé “l’émergence de nouvelles formes d’emploi, atypiques et informelles”, également qualifiées de “précaires”, qui contraignent souvent ceux qui les occupent à demeurer en marge des systèmes de protection sociale. De fait, pour l’OIT, la crise économique est indiscutablement un défi pour la “justice et l’intégration sociales”.
Des “politiques d’austérité” inadaptées
Après avoir reconnu que la stagnation économique de ces dernières années expliquait pour partie les difficultés des systèmes européens de protection sociale, l’OIT en vient à dire tout le mal qu’elle pense des “politiques d’austérité” menées par les différents gouvernements continentaux “depuis 2010”. Qualifiées de “réformes d’ajustement de court terme”, jugées “prématurées”, elle ont consisté à “réduire les engagements financiers de long terme” des Etats. Si les systèmes de retraite et de santé ont notamment été visés par ces politiques d’austérité, c’est la protection sociale dans son ensemble qui a été “dépeinte comme trop coûteuse et insoutenable” et que les gouvernements ont donc cherché à remettre en cause.
Bilan de ces réformes d’après l’OIT : la “pauvreté” et les “inégalités sociales” progressent. Ainsi, “la pauvreté” concerne aujourd’hui “86,8 millions de personnes dans l’Union Européenne, soit plus de 17 % de la population, notamment des enfants, des femmes et des personnes handicapées”. Plus encore, “le concept longtemps admis d’accès universel à des conditions de vie décentes pour l’ensemble des citoyens est désormais menacé par un fossé de plus en plus large entre des programmes d’aides de plus en plus ciblés sur les pauvres et un accent mis sur l’épargne individuelle pour les classes moyennes et supérieures”.
Comment l’OIT pouvait-elle dire plus explicitement tout le mal qu’elle pense des politiques d’austérité mises en place en Europe depuis le déclenchement de la crise ?
Un improbable retour en arrière
Dans cette configuration, les auteurs du rapport concèdent que “différents efforts ont été faits afin de développer de nouveaux systèmes et des schémas innovants [de protection sociale, ndlr], à la fois au niveau national et au niveau européen”. Ils ne donnent pourtant aucun exemple de ces évolutions.
En revanche, ils insistent plus longuement sur le fait qu’en réalité, ces évolutions ne remettent pas du tout en cause la soumission des objectifs sociaux aux objectifs économiques. “La politique de coordination européenne […] continue de se focaliser en premier lieu sur la croissance économique et les réformes structurelles, par le biais de mécanismes comme le pacte de stabilité et de croissance de l’UE […], laissant de côté les politiques sociales et considérant le bien-être des populations européennes comme une priorité secondaire, qui peuvent être accomplis au niveau national si les gouvernements ont suffisamment de fonds”. En somme : l’OIT ne voit pas de volontés gouvernementales de consolidation de ce qui reste des systèmes européens de protection sociale.
La commission de Bruxelles et les gouvernements européens apprécieront sans nul doute ce jugement émis par l’OIT. Changeront-ils pour autant leur fusil d’épaule afin de faire à nouveau de l’Europe l’exemple à suivre en matière de protection sociale ? Rien n’est moins sûr.