Bertrand Martinot: “on dépense 3 fois plus par apprenti en France qu’en Allemagne”

Aujourd’hui, BI&T a interrogé Bertrand Martinot, conseiller social à la Présidence de la République de 2007 à 2008, puis délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) de 2008 à 2012, Prix Turgot 2014 pour son ouvrage “Chômage : inverser la courbe”, afin de commenter la note qu’il a produite pour l’Institut Montaigne sur l’apprentissage.

 

BI&T: vous avez travaillé sur l’apprentissage pour l’Institut Montaigne. Vous avez notamment comparé le système allemand et le système français. Selon vous, quelles sont les principales faiblesses du système français ?  

BM: Les faiblesses apparaissent d’autant mieux que l’on mène une analyse comparative avec le système allemand. Pour s’en tenir à l’essentiel, les quatre principales sont les suivantes : 

La première, c’est une organisation globalement défaillante. Pas de véritable pilotage du système, ni au niveau national, ni au niveau régional (plusieurs ministères responsables, recteurs, préfets de région, conseils régionaux). A cela s’ajoute la séparation intenable entre voie scolaire (Education nationale) et apprentissage (régions et partenaires sociaux). Et comme c’est toujours le cas, quand il y a plusieurs responsables, il n’y a pas de responsable. 

La deuxième est la place trop réduite des partenaires sociaux et des entreprises. Certes, ils sont présents via la taxe d’apprentissage qui est collectée par les chambres consulaires ou versées directement par les entreprises aux CFA (fraction qui a été du reste fortement diminuée par une réforme de 2014). Mais les partenaires sociaux sont beaucoup moins impliqués qu’en Allemagne dans la régulation du système, notamment dans l’élaboration des diplômes et le contenu des enseignements. 

La troisième, c’est la place beaucoup trop grande accordée à l’Education nationale (qui, du reste, n’existe pas en Allemagne puisque tout l’enseignement scolaire est du ressort des Länder). L’existence d’une voie scolaire, c’est-à-dire le lycée professionnel (beaucoup plus développée que l’apprentissage et beaucoup moins efficace en termes d’insertion professionnelle) est une spécificité dont nous pourrions nous passer. En Allemagne, la grande majorité des diplômes et titres de niveau bac ne peuvent être préparés que par la voie de l’apprentissage. Ce n’est même pas la « voie d’excellence » que l’on veut promouvoir un peu hypocritement en France, c’est juste la « voie normale » ! Et c’est une voie normale qui tout à la fois assure rapidement un emploi stable pour les jeunes et participe de la compétitivité des entreprises allemandes. 

La quatrième et dernière caractéristique défavorable est la mauvaise orientation des dépenses publiques. Les pouvoirs publics en France dépensent environ 3 fois plus par apprenti et par an qu’en l’Allemagne. Cette situation est due au poids particulièrement important des dépenses de soutien à l’embauche (exonérations totales de charges, crédit d’impôt, etc.). Rien de tel en Allemagne où il n’existe que quelques dispositifs extrêmement ciblés (sur les jeunes en difficultés, faisant face à des problèmes sociaux spécifiques, etc.). Mais dans ces cas, les aides sont massives. 

BI&T: vous proposez un rapprochement de la professionnalisation et de l’apprentissage. Pourquoi ne pas fusionner purement et simplement les deux dispositifs? 

BM: Les contrats de professionnalisation fonctionnent plutôt bien. Ils sont pilotés par les branches, correspondent à peu près aux besoins des entreprises. En outre, ils ne coûtent rien aux finances publiques… ! Donc, les fusionner avec les contrats d’apprentissage demande réflexion… !! En revanche, on peut – et même on doit – envisager un rapprochement des deux systèmes. Le plus important serait d’alléger les enseignements généraux en apprentissage et donner aux jeunes la possibilité de préparer des titres professionnels des branches par la voie de l’apprentissage et plus seulement des diplômes de l’Education nationale. Une fois ce rapprochement réalisé, la question de la fusion des deux dispositifs ne se poserait peut-être plus. 

BI&T: pensez-vous qu’il faille améliorer l’orientation des élèves en amont pour les inciter à suivre des filières d’avenir? 

BM: C’est absolument essentiel. Aujourd’hui, ni les professeurs de collège, ni les conseillers d’orientation ne savent orienter vers l’apprentissage. C’est une terra incognita pour l’Education nationale. Jusqu’à l’année dernière, le système d’orientation électronique en fin de 3e excluait l’apprentissage du choix possible des élèves ! Aucune orientation, aucun accompagnement n’est prévu de manière un peu systématique pour aider les jeunes (qui n’ont souvent qu’entre 16 et 18 ans) à trouver un CFA et un employeur. 

En Allemagne, une fonction d’orientation pour les jeunes est structurée autour de la Bundesagentur für Arbeit (l’équivalent de Pôle emploi), qui collecte d’ailleurs la grande majorité des candidatures. Mais la vérité est que l’Allemagne n’est pas non plus très performante dans cette matière, où elle souffre des mêmes maux que la France (confusion des responsabilités entre strates administratives, intervention de trop nombreux acteurs, absence de pilotage, etc.). 

BI&T: quelles ont été les réactions de l’Education Nationale sur vos propositions, notamment de “régionalisation” du dispositif? 

BM: Aucune jusqu’à présent. Il faut dire qu’ils sont bien occupés par la réforme du collège ! Mais, précisément, il est dommage qu’on ne parle pas d’apprentissage à l’occasion de cette réforme et que le débat s’épuise sur le latin et le grec. Il faudrait parler de filières à partir de la 4e, reconnaître que le collège unique, en mettant l’accent sur une égalité formelle ente tous les élèves, a globalement aggravé les inégalités réelles. Bref, le grand débat (voire le grand déballage) est encore devant nous. Il faudra bien y venir. 

 

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