Un attendu récent de la Cour de cassation, rend propice un rappel des conditions d’exercice du droit de grève dans le secteur privé, qui, même s’il est constitutionnellement garanti, demeure soumis à certaines conditions.
La Chambre sociale confirme sa doctrine concernant le droit de grève : « L’exercice normal du droit de grève n’étant soumis à aucun préavis, sauf dispositions législatives le prévoyant, il nécessite seulement l’existence de revendications professionnelles collectives dont l’employeur doit avoir connaissance au moment de l’arrêt de travail, peu important les modalités de cette information » (Soc., 30 juin 2015, n° 14-11.077).
Un droit de grève constitutionnellement reconnu
Véritable faculté de nuire, juridiquement reconnue, le droit de grève fut affirmé solennellement par les Constituants de 1946. Aux termes de l’article 7 du Préambule de la Constitution de 1946, le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Il revient donc au législateur le soin de protéger ce droit tout en l’organisant.
L’exercice licite du droit de grève octroie aux salariés grévistes une protection spéciale contre le pouvoir disciplinaire de l’employeur. Aux termes de l’article L. 2511-1 du code du travail, l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. De même, il ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire et tout licenciement prononcé en absence de faute lourde serait nul de plein droit. Depuis la consécration du droit de grève, qualifié avec d’autres par le Préambule, de « principes particulièrement nécessaires à notre temps », celui-ci ne peut logiquement se concilier avec la rupture du contrat de travail qui résulterait de l’exercice de ce droit (Soc., 28 juin 1951, n° 51-01661).
Cependant, au vue des conséquences parfois lourdes pouvant procéder de l’usage du droit de grève, il apparait logique qu’il soit a minima encadré par des normes, et que les juges en contrôlent son exercice.
Un exercice conditionné du droit de grève
En l’absence de définition légale, définir le droit de grève revient à se tourner vers la jurisprudence. La Cour de cassation l’appréhende comme une « cessation collective et concertée de travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles» (Soc., 21 oct. 2009, n° 08-14490, Synd. CGT Centre nucléaire de production électrique de Paluel c/ EDF). Il se déduit de cette définition prétorienne, plusieurs critères – objectifs et subjectifs – permettant de qualifier juridiquement, un mouvement de grève licite.
Un exercice collectif
Le droit de grève est un droit individuel mais qui s’exerce collectivement. Voici l’une des conditions qui permet de rendre la grève licite ; son exercice collectif. (Cons. const., 16 août 2007, déc. n° 2007-556 DC).
Chacun des salariés est titulaire du droit de grève, qui n’est au demeurant pas subordonné à l’appel d’un syndicat. Toutefois, la grève doit s’exercer dans un cadre collectif, et n’est licite que si plusieurs salariés participent au mouvement, sauf si le gréviste obéit à un mot d’ordre de grève nationale (Soc., 29 mars 1995, n° 93-41863).
Une cessation de travail concertée
La grève implique la cessation totale du travail, exclusive de mouvements visant à ralentir la cadence, tels que des grèves « perlées » ou conduisant en une baisse volontaire de la production, ou encore se traduisant par une exécution volontairement défectueuse de leurs contrats de travail par les salariés.
La durée de l’arrêt de travail n’a en principe pas d’incidence sur la licéité de la grève. Jugé par exemple que la répétition d’arrêts de travail dont l’employeur avait été prévenu à l’avance, même de très courte durée, constitue l’exercice normal du droit de grève, si ce mouvement ne procède pas d’une volonté de désorganiser l’entreprise ou de nuire à sa situation économique (Soc., 25 fév. 1988, n° : 85-43293).
Outre la cessation du travail, la participation à une grève, nécessite également une concertation préalable aux fins de d’organiser la grève pour lui donner la nature d’un réel mouvement revendicatif (durée, localisation, tracts…). Mais cette concertation ne signifie pas que les salariés du secteur privé doivent déposer un préavis, sauf dispositions législatives le prévoyant, comme le rappelle la Cour de cassation. Elle signifie à tout le moins qu’une discussion interne ait eu lieu dans l’entreprise avant le déclenchement du mouvement, pour que l’arrêt de travail constitue l’exercice normal du droit de grève (Soc., 7 juin 1995, n° 93-43895).
Des revendications professionnelles
En présence d’un conflit collectif, il faut bien concilier les intérêts divergeants et permettre aux « antagonistes » de comprendre le sens du mouvement engagé.
C’est la raison pour laquelle les juges considèrent de manière constante qu’une grève nécessite l’existence de revendications professionnelles collectives dont l’employeur doit avoir eu connaissance. Si la faculté de nuire à l’employeur est reconnue juridiquement aux salariés, c’est à la condition que l’employeur puisse être en mesure d’appréhender les raisons de la grève, et de connaître les desiderata de ses salariés au bon moment. On comprend aisément qu’une grève « muette » créerait un grave déséquilibre entre les forces en présence ; les grévistes pouvant bloquer l’activité de l’entreprise sans que l’employeur n’ait de moyen d’engager des négociations en toute connaissance de cause.
Par son arrêt du 30 juin dernier, la Cour de cassation rappelle donc logiquement que l’employeur doit avoir connaissance au moment de l’arrêt de travail de l’existence de revendications professionnelles collectives, peu important les modalités de cette information. Les Hauts magistrats jugent que le salarié initiateur de la grève et qui tient l’employeur dans l’ignorance des motifs de l’arrêt de travail, à savoir le versement d’un acompte sur le treizième mois, ne peut se prévaloir de la protection attachée au droit de grève.
Antérieurement, la Haute Cour avait pu affirmer que l’information de l’employeur devait avoir lieu avant la grève, ce qu’elle semblait délaisser (Soc., 24 mars 1988, n° 85-4360 – Soc., 30 juin 1993, n° 91-44581). Son analyse actuelle tend à étendre jusqu’au déclenchement de la grève, le moment auquel l’employeur doit être informé des revendications professionnelles collectives. Parfois même, la concomitance entre la délivrance de l’information et la cessation du travail est ténue, en effet, les juges ont pu considérer que « des échanges téléphoniques ayant eu lieu entre les salariés et leur dirigeant immédiatement après la cessation du travail » ne remettaient pas en cause la licéité du mouvement (Soc., 22 oct. 2014, n° 13-19858).
En résumé, la définition de la grève reste d’actualité et conserve toute sa pertinence. Ses termes suffisent en effet à caractériser un mouvement licite et permettent d’en fixer les conditions d’exercice.