Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT
L’entretien préalable au licenciement vise à ce que l’employeur (ou son représentant) et le salarié dont le licenciement est envisagé disposent, avant qu’une décision ne soit définitivement arrêtée, d’un espace-temps normalement dédié aux échanges et au dialogue. Pour qu’il en soit ainsi, encore faut-il que chacune des deux parties dispose d’un droit aussi comparable que possible à l’assistance. C’est notamment ce à quoi veille, depuis de très nombreuses années, la Cour de cassation. En l’occurence, le fait pour un employeur de se faire assister par deux salariés revient à détourner l’entretien préalable de son objet. Cass. soc. 20.01.16, n° 14-21.346.
Droit à l’assistance : pour l’employeur aussi
Assez curieusement, le Code de travail n’a jamais songé à aborder la question de l’assistance de l’employeur lors d’un entretien préalable au licenciement, pas plus, d’ailleurs, que celle de son éventuelle représentation. En son article L. 1232-3, il se contente, en effet, de préciser qu’ « au cours de l’entretien, l’employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié ».
En nous cantonnant à la seule lecture de ce texte, nous pourrions être conduits à en tirer d’inexactes conclusions. À savoir que l’entretien doit nécessairement être conduit par l’employeur et ce, sans que ce dernier n’ait la faculté de recourir à une quelconque assistance. Tel n’est pourtant pas l’état actuel du droit, car, face à l’assourdissant silence du législateur, les juges du droit ont réagi en faisant œuvre de création. Ainsi ont-ils admis que l’employeur pouvait non seulement se faire représenter, mais qu’il pouvait aussi, dans une certaine mesure, se faire assister.
Et c’est bel et bien sur ce deuxième aspect des choses que l’arrêt du 20 janvier 2016 est venu nous apporter quelque éclairage. Éclairage qui s’avère, en fait, n’être qu’une simple confirmation jurisprudentielle. Car, à bien y regarder, il apparaît clairement que les décisions de la Haute juridiction avaient déjà, depuis fort longtemps, pris le parti de parer au silence des textes en se calant sur le droit à l’assistance telle que la loi l’a construit au profit du salarié. L’article L. 1 232-4 du Code du travail prend, en effet, le soin de préciser, en son premier alinéa, que « lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise » (1). Aussi, dans un souci de préservation des équilibres des forces en présence, la Cour de cassation déduit de ce texte que l’employeur (ou son représentant) peut, lui aussi, et de la même manière, se faire assister par « par une personne appartenant au personnel de l’entreprise » (2).
Il n’est d’ailleurs pas inutile de préciser que cette exigence, bien qu’étant d’essence purement jurisprudentielle, n’en doit pas moins être comprise comme substantielle puisque, pour la Cour de cassation, le simple fait qu’elle soit mise à mal suffit à rendre incontournable l’indemnisation du salarié et ce, même à supposer que ce dernier ne soit pas en mesure de justifier d’un préjudice spécifique (3).
Ainsi, par le biais du nécessaire respect de cette règle arithmétique, la Cour de cassation entend veiller à ce que l’entretien préalable au licenciement demeure bel et bien centré sur son objet. À savoir, l’ouverture d’un espace-temps où les échanges d’arguments peuvent s’opérer de la manière la plus équilibrée et la plus apaisée possible. Espace-temps où l’employeur a la possibilité d’expliquer au salarié ce qui le pousse à envisager son licenciement et où le salarié a la possibilité de faire valoir ses explications.
Assistance, oui ; intimidation, non
Or, pour avoir la garantie que cet objet ne soit pas détourné, encore faut-il que le salarié ne se trouve pas désarçonné, notamment (4), par le nombre de personnes présentes pour assister l’employeur. Il ne doit en aucun cas avoir l’impression de se trouver déféré devant un tribunal qui ne dirait pas son nom. Ainsi, la Cour de cassation considère-t-elle que, dès lors que l’employeur prend l’initiative de se faire assister par plus d’une personne appartenant à l’entreprise, la procédure doit être considérée comme viciée, car transformant « en enquête l’entretien préalable, le détournant ainsi de son objet ».
Ainsi en a-t-il été décidé, dans les années précédentes, dans des affaires où « l’employeur s’était fait assister du chef comptable et d’un délégué à la qualité » (5), où « le directeur régional de centre s’était fait assister par le chef d’agence et la responsable des ressources humaines » (6) ou bien encore où « l’employeur s’était fait assister de quatre personnes, le directeur, deux vice-présidents et la trésorière de l’association employeuse » (7).
Mêmes débordements, mêmes effets dans l’affaire qui a conduit au rendu de l’arrêt du 20 janvier dernier où l’entretien préalable au licenciement de la salariée concernée s’était déroulé en présence, du côté employeur, de pas moins de trois salariés de l’entreprise : « La responsable de la boutique, le supérieur hiérarchique direct » ainsi que « la secrétaire générale et responsable d’établissement ».
Le constat d’une participation aussi massive de la partie employeur n’avait cependant guère offusqué les juges du fond qui avaient, quant à eux, considéré que « l’employeur avait la faculté de se faire assister par toute personne appartenant à l’entreprise » sous réserve de « ne pas transformer l’entretien préalable en véritable enquête ou procès ». Ce qui, selon eux, n’était pas le cas en l’espèce puisque « le représentant du personnel qui assistait la salariée » avait, lui-même, témoigné au procès pour « affirmer que l’entretien s’était déroulé dans le respect des personnes et du Code du travail » (!). Donnant crédit à cette appréciation (curieusement) livrée par le représentant du personnel, ces mêmes juges du fond avaient donné leur onction à l’entretien ainsi réalisé et avaient, en conséquence, validé la procédure de licenciement telle qu’elle avait été mise en œuvre par l’employeur.
Logique cassation de haute juridiction qui, dans le droit fil d’une jurisprudence désormais bien établie, a pu estimer que le simple fait que la représentante de l’employeur se soit fait assister par deux autres salariés de l’entreprise suffisait, en soi, à établir le détournement d’objet de l’entretien préalable. Sans qu’il y ait lieu de demander à la partie salariée de démontrer l’existence d’un préjudice propre.
Nous ne pouvons, bien entendu, que nous féliciter d’un tel positionnement dans le sens où il est de nature à garantir au salarié le déroulé d’un entretien préalable équilibré et donc potentiellement utile.
(1) Rappelons, ici, toutefois que cette règle est assortie d’une souplesse puisque, en son deuxième alinéa, ce même article L. 1232-4 du Code du travail précise que « lorsqu’il n’y a pas d’institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, le salarié peut se faire assister, soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise, soit par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative ».(2) Cass. soc. 20.06.90, n° 87-41.118.(3) Cass. soc. 20.06.90, n° 87-41.118.(4) Notamment, car, pour que l’entretien préalable ne soit pas détourné de son objet, la Cour de cassation contrôle également d’autres éléments, tels que le lieu et l’heure de sa tenue.(5) Cass. soc. 17.09.08, n° 06-42.195.(6) Cass. soc. 25.03.10, n° 07-43.384.(7) Cass. soc. 11.02.09, n° 07-43.056.