Jusqu’où va la loi sur le renseignement ?

Mercredi 24 juin 2015, l’Assemblée nationale a adopté le décrié projet de loi relatif au renseignement. L’élaboration de ce texte a été nettement accélérée avec la survenance des attentats de Paris entre le 7 et le 9 janvier 2015. De nombreuses voix se sont élevées contre cette loi tant du côté des entreprises du numérique que des citoyens. Mais le projet a tout de même été adopté et est désormais suspendu à trois saisines du Conseil constitutionnel. La première par des députés, la seconde par le Président du Sénat, et la troisième par le Président de la République. 

 

Une nouvelle définition étendue du renseignement

La loi commence par garantir le respect de la vie privée tout en ajoutant que l’autorité publique peut y porter atteinte dans les cas de nécessité d’intérêt public prévus par la loi, dans les limites fixées par celle-ci et dans le respect du principe de proportionnalité. Ainsi, les mesures de renseignement autorisées et mises en œuvre dans le respect des dérogations prévues par la loi doivent être justifiées par les menaces, les risques et les enjeux liés aux intérêts fondamentaux de la Nation. 

L’article 1 rappelle que les services spécialisés de renseignement agissent dans le respect de la loi, sous l’autorité du Gouvernement et conformément aux orientations déterminées par le Conseil national du renseignement. 

Les missions des services spécialisés de renseignement sont vastes et incluent notamment : la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ; la prévention du terrorisme ; la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique. Ces catégories sont suffisamment larges pour concerner une grande variété de situations, ce qui a participé à la colère des citoyens français. 

Les techniques de renseignement ne peuvent être mises en œuvre que sur autorisation du Premier ministre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Ladite autorisation n’est valable que pour une durée de 4 mois. 

Le texte de loi précise qu’un parlementaire, un magistrat, un avocat ou un journaliste ne peut être l’objet d’une demande de mise en œuvre, sur le territoire national, d’une technique de recueil de renseignement mentionnée à raison de l’exercice de son mandat ou de sa profession. 

Au regard de la quantité de données qui risquent d’être collectées, il est légitime de se demander ce qu’il en adviendra. L’article 1er de la loi répond à cette interrogation en disposant que les renseignements collectés sont détruits à l’issue d’une durée pouvant varier selon les situations : les délais de conservation sont de 30 jours, 120 jours, voire 4 ans. S’agissant des informations recueillies qui sont chiffrées, le délai court à compter de leur déchiffrement et ne peuvent être conservées plus de 6 ans à compter de leur collecte. 

 

Le pouvoir important laissé à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

Cette Commission est composée de 9 membres : deux députés et deux sénateurs, deux membres du Conseil d’État, deux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, et une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques. A l’exception des députés et des sénateurs, le mandat des membres de la Commission est de 6 ans. 

La loi prévoit par ailleurs que pendant l’exercice de leurs fonctions, les membres de la commission ne reçoivent d’instruction d’aucune autorité. Leur mission est de veiller à ce que les techniques de recueil de renseignement soient mises en œuvre sur le territoire national conformément à la législation. Ainsi tout doit être mis en œuvre pour faciliter l’action de la Commission, le fait d’entraver son activité ou de tenter de le faire est puni par la loi. 

L’une des missions de la commission est d’adresser, à tout moment, au Premier ministre, au ministre responsable de son exécution et au service concerné une recommandation tendant à ce que la mise en œuvre d’une technique soit interrompue et les renseignements collectés détruits lorsqu’elle estime qu’une autorisation a été accordée ; qu’une technique a été mise en œuvre ; ou que la collecte, la transcription, l’extraction, la conservation ou la destruction des renseignements collectés est effectuée en méconnaissance de la loi. 

En plus d’avoir un rôle de conseil, la Commission est donc chargée de veiller à ce que les renseignements soient recueillis dans le cadre de la loi en ayant la possibilité de faire des recommandations. En revanche, s’agissant du contentieux, c’est le Conseil d’Etat qui est désigné comme compétent pour connaître des requêtes concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement. 

 

La loi précise enfin que si un agent a connaissance, dans l’exercice de ses fonctions, de faits susceptibles de constituer une violation manifeste de la loi relative au renseignement, il peut porter ces faits à la connaissance de la seule Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui pourra saisir le Conseil d’État et en informer le Premier ministre. Pour que les agents ne soient pas soumis au silence par peur de représailles, la loi prévoit qu’aucun agent ne peut être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de recrutement, de titularisation, de notation, de discipline, de traitement, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation, d’interruption ou de renouvellement de contrat, pour avoir porté, de bonne foi, des faits susceptibles de constituer une violation manifeste de la loi relative au renseignement à la connaissance de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. 

 

 

Des techniques de renseignement de plus en plus variées

L’article 5 de la loi relative au renseignement prévoit qu’en cas de menace peut être individuellement autorisé le recueil en temps réel, sur les réseaux des opérateurs, des informations ou documents relatifs à une personne préalablement identifiée comme présentant une menace terroriste. Tout le sel du texte réside dans l’appréciation de la menace terroriste que peut présenter un individu. 

Mais tous les citoyens sont concernés car toute personne peut faire l’objet d’une demande d’identification des numéros d’abonnement ou de connexion à des services de communications électroniques, ou d’une demande de recensement de l’ensemble des numéros d’abonnement ou de connexion. 

Pour les besoins des renseignements, l’article 6 fixe les conditions de recours à des dispositifs techniques permettant de capter, fixer, transmettre et enregistrer les paroles prononcées par des individus dans un cadre privé ou confidentiel, ou des images dans un lieu privé. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement doit être maintenue au courant de toute opération de cette nature afin de lui permettre d’être vigilante et de formuler une recommandation tendant à ce que cette opération soit interrompue et que les renseignements collectés soient détruits. 

La loi relative au renseignement encadre également, à l’article 16, le recueil par la cellule de renseignement financier (Tracfin), auprès des entreprises de transport ou des opérateurs de voyage et de séjour, des données identifiant leurs clients ou concernant les prestations qu’ils leur ont fournies. 

 

La loi entrera en vigueur, à l’exception de certains articles, le lendemain de la publication au Journal officiel du décret nommant le président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. 

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