Ordonnances : aux ordres et sans état d’âme, l’Assemblée nationale s’auto-dessaisit

Jeudi dernier, le 13 juillet, en fin d’après-midi, les députés ont voté l’habilitation du gouvernement à prendre des ordonnances afin, officiellement d’oeuvrer au “renforcement du dialogue social” – c’est-à-dire, en réalité, de réformer le Code du Travail. Alors que l’enjeu est de taille, le déroulement des débats laisse la désagréable impression d’une Assemblée nationale aux ordres et satisfaite de l’être. 

Le gouvernement habilité à agir

Sans surprise, c’est à une large majorité que les députés ont adopté leur premier projet de loi, jeudi 13 juillet. Sur les 324 votants – soit près de 250 de moins que n’en compte théoriquement l’Assemblée nationale… – 270 se sont prononcés pour le projet de loi, contre 50 qui l’ont rejeté. Les députés de la majorité LREM et Modem présents dans l’hémicycle, ont voté en faveur du texte gouvernemental. Les députés “nouvelle gauche” (NG), “gauche démocrate et républicaine” (GDR) et “France Insoumise” (FI) ont pour leur part voté contre. Pour le FN, Marine le Pen a elle aussi exprimé son désaccord avec le projet de loi. Enfin, du côté des “Républicains”, si les présidents des deux groupes : “LR” canal historique et “LC”, ont appelé à voter pour, certains députés n’ont pas suivi la consigne, à l’instar de Guillaume Larrivé. 

L’examen du texte s’est avérée particulièrement verrouillé. Personne ne s’étonnera, certes, de ce qu’aucun des nombreux amendements déposés par les députés GDR et FI n’ait été adopté. Ils n’ont notamment pas réussi à revenir sur l’alinéa 5 de l’article 4 du projet de loi, qui prévoit de lier le financement des syndicats patronaux et salariaux à leur audience. A une exception près : un amendement relatif à l’évaluation des effets de la réforme, les amendements proposés par la droite parlementaire ont, eux aussi, été rejetés. Au total, le gouvernement n’a toléré que quelques amendements rédactionnels mineurs à son texte, proposés par son rapporteur, Laurent Pietraszewski. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, en a en outre fait adopter un visant à faire appliquer le Code du Travail à Mayotte. 

La loi de la majorité silencieuse

Pour la plupart des députés LREM, la discussion puis le vote du projet de loi ont constitué un baptême du feu. Ceci explique peut-être l’attitude de suivisme total qu’ils ont adoptée durant les débats. Ceux qui espéraient que les députés de la majorité, auto-proclamés “en marche”, prennent les dossiers à bras-le-corps et s’érigent ainsi en contre-pouvoir de l’exécutif en ont été pour leurs frais : passif, le groupe LREM n’a pas pris part au débat parlementaire. Ce silence n’a été rompu qu’à de rares occasions, dans le cadre de ce qui s’est apparenté à un concours du député le plus fayot. La palme en revient d’ailleurs indiscutablement à Cendra Motin, députée de l’Isère, largement applaudie pour sa brillante prise de parole : “Je profite de ce laps de temps pour préciser que, si nous n’intervenons pas beaucoup, c’est que nous sommes convaincus par les explications de Mme la ministre et de M. le rapporteur”. Amen ! 

Face à cette majorité parlementaire silencieuse ou presque, les députés GDR et, plus encore, France Insoumise, ont assuré le spectacle. Monopolisant la parole, ils ont pu, non sans talent oratoire dans certains cas, dérouler tranquillement leur conception marxiste des rapports sociaux. Ils n’étaient interrompus, de temps en temps, que par les plus joueurs des députés LR. En particulier, le jeune Thibault Bazin, député de Meurthe-et-Moselle, tentait de perdre le plus rarement possible une occasion de démontrer à quel point le libéralisme était une bonne doctrine économique. Préférant ne pas s’aventurer dans ces débats ô combien dangereux, Marine le Pen a attendu la fin de la discussion pour dénoncer “l’esprit profondément mondialiste” du projet de loi gouvernemental. Les minoritaires tenaient décidément le crachoir. 

“En Marche” arrière !

Au-delà de ces observations relatives à la “politique politicienne”, l’examen du premier projet de loi du quinquennant de M. Macron appelle des observations plus fondamentales sur l’exercice du pouvoir que semble promouvoir l’exécutif. Force est, tout d’abord, de constater que la “République en Marche” ne rompt pas du tout avec la tradition monarchique de la Vème République. En inscrivant, dans le projet de loi, un article 9 quelque peu “cavalier”, puisque prévoyant le report d’un an de l’application du prélèvement à la source, et en imposant aux députés, jeudi matin, d’étudier cet article en priorité, le gouvernement leur a clairement signifié qu’ils n’étaient là que pour se taire et obéir. La République en Marche a un goût qui ressemble étrangement à celui de la soupe qui est servie depuis trop longtemps déjà au peuple français. 

Le projet gouvernemental d’une domestication totale des députés LREM a toutes les chances d’être couronné de succès. Très nombreux à être des néophytes, les députés du parti présidentiel ne maîtrisent pas nécessairement le fond des dossiers et ne sont pas au fait des us et coutumes de la Vème République. Surtout, tels qu’ils sont apparus lors du premier débat parlementaire, la simple occupation de leur nouvelle sinécure semble les ravir et représenter, en soi, une satisfaction suffisante. Les attaques proférées par les représentants de la gauche radicale à propos de leur inclination à se ranger du côté du grand patronat, notamment financier, ainsi que les débordements, par la droite, de députés qui versent dans la caricature du “laissez faire, laissez passer”, achèvent de convaincre les députés LREM du bien-fondé de leur position. Dans de telles conditions, le débat parlementaire de la législature risque fort de faire beaucoup de surplace. 

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