Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.
Le fait, pour un employeur de demander des explications à l’un de ses salariés peut, dans certaines circonstances bien précises, être vu comme une sanction disciplinaire. Et lorsque tel sera le cas, le licenciement prononcé à l’appui des mêmes motifs ne pourra qu’être considéré que comme étant sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc.19.05.15, n° 13-26.916)
Le spectre particulièrement large de la sanction disciplinaire
Le Code du travail donne de la sanction disciplinaire une définition particulièrement large puisque, pour son article L. 1331-1, il s’agit de « toute mesure autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif »et ce que « cette mesure soit de nature à affecter ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».
Ainsi la sanction disciplinaire peut-elle se matérialiser par le recours patronal à n’importe quel type de mesure (à la seule exception, toutefois, des observations verbales). Afin de savoir si, oui ou non, la « mesure » prise doit être considérée comme une sanction, il conviendra de se référer à la seule intention de l’employeur. Dès lors que ce qu’il vise c’est la sanction du salarié, alors, la « mesure » à laquelle il recourt devra être comprise comme étant une sanction disciplinaire. C’est ainsi que la Cour de cassation a déjà pu, par exemple, considérer qu’étaient constitutifs d’une sanction disciplinaire les « mises en garde adressées au salarié par courrier et courriel pour des faits considérés comme fautifs »(1).
L’arrêt ici commenté met, quant à lui, l’accent sur un autre type de mesure qui peut aussi, sous certaines conditions, entrer dans le giron du disciplinaire, à savoir les demandes d’explication adressées à un salarié.
Reproche, demande d’explications, obligation de répondre et inscription au dossier
Dans cette affaire, un salarié, « opérateur colis » de son état et exerçant au service de La Poste s’est vu reproché, dans l’exercice de son travail, un certain nombre de « manquements aux règles de procédure ». De ce fait, et en application du règlement interne propre à La Poste, une « enquête interne » fut ouverte. À cette occasion, des « explications écrites » furent demandées au salarié étant précisé qu’au vu de ce fameux règlement interne, le salarié se devait « de répondre seul et immédiatement aux questions qui lui étaient posées », que « tout refus de s’exécuter intervenant après une mise en demeure » aurait été tout à la fois constitutif « d’un grief supplémentaire et (…) d’une sanction propre » et que « le procès-verbal consignant les demandes formulées par l’employeur et les réponses écrites du salarié » devait être « conservé dans le dossier individuel » du salarié.
Licenciement et contentieux
Au terme de cette procédure spécifique, le salarié fut finalement licencié pour faute grave.
Par la suite, la cause réelle et sérieuse du licenciement fut, elle, contestée devant le conseil de prud’hommes. Le salarié reprochait à son employeur, de l’avoir sanctionné deux fois pour les mêmes faits. Il considérait, en effet, eu égard à la définition de la sanction disciplinaire telle que posée par l’article L. 1331-1 du Code du travail, que la demande d’explication qui lui avait été initialement adressée devait, en tant que telle, être considérée comme une sanction disciplinaire. Ce que l’employeur réfutait catégoriquement puisque, pour lui, au contraire, cette même demande d’explication devait être vue comme une simple étape de procédure, se surajoutant au traditionnel entretien préalable, et permettant de déterminer si, in fine, il devait, ou non, y avoir sanction. Selon lui, donc, le licenciement pour faute grave n’était venu, en l’espèce, que parachever le déroulé de cette procédure.
Les juges du fond suivirent la thèse patronale et déboutèrent le salarié de ses prétentions. Pour eux, en effet, les demandes d’explication ainsi que le procès-verbal final ne devaient pas s’analyser en une sanction disciplinaire mais, plus exactement, en une « mesure d’instruction » préalable.
L’absence de cause réelle et sérieuse reconnue en cassation
Saisie par le salarié, la Cour de cassation considéra, à l’inverse que la demande d’explication ainsi que le procès-verbal final étaient, en eux-mêmes, constitutifs d’une sanction disciplinaire. Il faut dire que le caractère particulièrement abrupt du règlement interne sur lequel la Poste s’était appuyée pour mener à bien son « enquête interne », ne pouvait, au bout du compte, qu’amener à une telle solution. Ce d’autant plus que la cour d’appel avait par ailleurs, et bien maladroitement, précisé qu’il n’y avait pas ici sanction disciplinaire dans le sens où de telles mesures n’étaient pas « de nature à affecter le contrat de travail du salarié ». Alors même qu’un tel impact n’est nullement nécessaire pour qu’une « mesure » soit reconnue comme ayant la nature de sanction disciplinaire.
La cassation s’imposait donc et l’employeur devait bel et bien être considéré comme ayant épuisé son pouvoir de sanction. Le licenciement pour faute grave prononcée à l’encontre du salarié ne pouvait, quant à lui, qu’être reconnu sans cause réelle et sérieuse.
La confirmation d’une jurisprudence éclose il y a plusieurs années de cela
Il est à noter que, dès 2013, l’application du règlement interne propre à La Poste avait déjà pu attirer les foudres de la Cour de cassation. Dans une affaire où, cette fois, l’un de ses salariés, à qui il était reproché un « refus d’obéissance », avait été pareillement soumis à une demande d’explication (2). D’un tel courant jurisprudentiel, il ne faut cependant pas tirer de conclusions trop hâtives. Toute demande d’explication ne peut être ipso facto assimilée à une sanction disciplinaire (3). C’est bien en l’espèce l’aspect contraignant des questions posées, associé au fait que ces dernières, assorties des réponses du salarié, devaient figurer au dossier du salarié qui a conduit la Cour de cassation à confirmer, il y a quelque semaine de cela, son positionnement de 2013.
(1) Cass. soc. 06.03.07, n° 05-43.698.
(2) Cass. soc. 30.01.13, n° 11-23.891.
(3) Cass ; soc. 07.06.11, n° 10-14.444.