Inégalités professionnelles : la journée des droits des femmes peut être chômée… par les femmes

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.

 

Voilà une occasion manquée d’associer les hommes à la lutte pour l’égalité entre les sexe. Dans un arrêt récent, qu’elle qualifie elle-même d’important, la Cour de cassation a décidé qu’un accord collectif pouvait prévoir, au seul bénéfice des salariées de sexe féminin, une demi-journée de repos à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes, dès lors que cette mesure visait à établir l’égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes. Cass.soc., 12.07.17, n°15-26262. 

  • Faits et procédure

Un accord collectif d’entreprise accordait une demi-journée de congé aux seules salariées de sexe féminin, le 8 mars de chaque année, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. Un salarié de sexe masculin, à qui cette demi-journée de congé avait été refusée, a estimé subir une inégalité de traitement injustifiée. Il a alors saisi la juridiction prud’homale, puis la cour d’appel. 

Débouté de sa demande de dommages et intérêts par les juges du fond au motif que la différence de traitement était justifiée par « la nécessité de favoriser la lutte des femmes dans leur combat pour une égalité avec les hommes non acquise dans le milieu professionnel », le salarié a formé un pourvoi en cassation sur le fondement du principe d’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes. Il soutenait que le principe d’égalité interdisait « à l’employeur de traiter de manière différente des situations comparables, à moins que la différenciation ne soit objectivement justifiée » et que rien ne justifiait que les hommes soient exclus du combat pour l’égalité hommes/femmes. 

 

  • Egalité professionnelle entre les hommes et les femmes au regard du droit européen

Écartant la question de l’égalité de rémunération, la Cour de cassation se place sur le terrain des conditions de travail, et donc des articles L. 1141-1 et suivants du Code du travail relatifs à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.  

En principe, toute clause d’un accord collectif ou d’un contrat de travail qui réserve un avantage à un ou des salariés en considération du sexe est nulle (à l’exception des mesures relatives à la grossesse, la maternité et la paternité) (1). Toutefois, cela ne fait pas obstacle à ce que le règlement, un accord collectif étendu ou un plan pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes prenne des mesures temporaires au seul bénéfice des femmes, dans la mesure où elles visent à « établir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes » (2). 

Dans sa note explicative, la Haute juridiction précise qu’elle interprète ces dispositions à la lumière du droit de l’Union européenne en prenant en compte « l’évolution résultant tant du droit matériel que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne » de plus en plus ouverts aux discriminations positives en faveur des femmes (3). 

Selon elle, le droit de l’Union européenne permet d’accorder aux femmes des avantages spécifiques afin de prévenir ou de compenser des inégalités dans le déroulement de leur carrière professionnelle (4). 

 

  • Le cas spécifique du 8 mars : journée internationale des droits des femmes

La chambre sociale estime que la journée du 8 mars concerne très directement le périmètre de travail des femmes dans les entreprises en ce que les manifestations organisées ce jour sont l’occasion de mener une « une réflexion sur la situation spécifique des femmes au travail et sur les moyens de l’améliorer ». 

Dès lors, l’avantage réservé aux femmes dans l’accord d’entreprise s’en trouve justifié dans la mesure où il s’agit, selon elle, d’une mesure en faveur de l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. C’est ainsi qu’elle donne raison à la cour d’appel d’avoir rejeté la demande du salarié. 

 

  • La confiance accordée aux partenaires sociaux

En outre, la Cour de cassation indique, dans sa note explicative, que sa décision témoigne également de la « large marge d’appréciation » accordée aux partenaires sociaux dans la définition de la norme collective. En cela, cet arrêt est dans la droite ligne de sa jurisprudence sur la présomption de conformité au principe d’égalité de traitement des accords collectifs (5). 

De la même manière, la réforme du travail engagée par le gouvernement actuel prévoit d’étendre cette jurisprudence en établissant une présomption générale de conformité à la loi des conventions et accords collectifs (6). 

*** 

Si l’on ne peut qu’être favorable aux mesures prises dans le but de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes, ce type de mesure « cache-misère » se contentant d’accorder un avantage anecdotique au personnel féminin sans promouvoir de réelles actions en faveur de l’égalité professionnelle ne nous paraît pas des plus efficaces. 

En outre, la validation de cet avantage réservé aux femmes vient conforter l’idée selon laquelle il est de leur seule responsabilité de lutter contre les inégalités de genre. Dans son communiqué de presse, la Haute juridiction affirmait que la journée du 8 mars était « l’occasion, par toute manifestation, de revendiquer l’égalité entre les sexes et d’éveiller les consciences, notamment, quant à la nécessité d’améliorer la place des femmes dans le monde de l’entreprise ». C’est regrettable que la Cour de cassation n’ait pas saisi l’occasion d’y associer les hommes. 

 

(1) Art. L.1142-3 C.trav. 

(2) Art. L.1142-4 C.trav. 

(3) Pour plus de details : cf. arrêts Marschall, 11.11.97, aff. C-409/95 et arrêts Badeck, 28.03.00, aff. C-158/97, art. 157 §4 FUE : « Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ». 

(4) Communiqué de presse relatif à l’arrêt n° 2015 du 12.07.17. 

(5) Cass. soc. 27.01.15, n° 13-22179, n° 13-14773 et n° 13-25437. 

(6) Projet d’ordonnance relative au renforcement de la négociation collective, art. 4.  

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