« Permettre de réécrire les règles en matière de temps de travail […] sans remettre en cause la durée légale »: tel était le souhait formulé par le Président F. Hollande[1]. Suivant cette ligne, l’avant-projet de loi de M. El Khomri conserve les fondamentaux, tout en permettant à l’accord d’entreprise d’assouplir les règles.
Une majoration des heures supplémentaires à la baisse ?
A défaut de s’attaquer à la durée légale du travail (constituant, rappelons-le, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires), qui reste fixée à 35 heures par semaine, le texte veut permettre de déroger plus facilement aux taux légaux de majoration des heures supplémentaires[2].
Bien qu’E. Macron avait émis le souhait de pouvoir passer par accord « en deçà de 10% » de majoration pour mettre fin « de facto » aux 35 heures, il n’a pas été entendu. Ce taux minimum est conservé. La nouveauté se situe donc dans le rapport accord d’entreprise – accord de branche. Jusqu’à maintenant, un accord de branche pouvait tout à fait verrouiller le taux de majoration à 25%: impossible pour l’entreprise d’aller plus bas. Désormais, le nouvel article L. 3121-33 permettrait à l’entreprise de négocier par accord un taux de majoration inférieur, qui primerait sur l’accord de branche. On est néanmoins dans un domaine relativement sensible, et il est difficile d’imaginer qu’il y aura souvent consensus entre les partenaires sociaux.
Durées maximales de travail et repos obligatoires: des évolutions à la marge
Certes, le nouvel article L. 3121-18 permet de dépasser la durée quotidienne maximum de travail (10 heures) par accord d’entreprise, ou à défaut, accord de branche « en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise », sans pouvoir excéder douze heures. Néanmoins, cette possibilité est déjà prévue à l’article D. 3121-19, sans aucun besoin de justification ! A noter qu’une dérogation peut également être demandée à l’Inspection du Travail, possibilité reprise dans le projet El Khomri. Ainsi, sauf à alléger les conditions du décret afin d’obtenir cette autorisation administrative, il n’y aura pas de changement notable sur les durées quotidiennes maximum de travail.
La durée de travail maximale hebdomadaire reste par ailleurs fixée à 48 heures, avec des dérogations possibles de l’Inspection du Travail (pouvant aller jusqu’à 60 heures). Par contre, le Code du Travail imposait que « la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives » ne dépasse pas « quarante-quatre heures » (art. L. 3121-36). Cette limite serait désormais calculée sur une période de « seize semaines consécutives » (nouvel art. L. 3121-22), et un accord d’entreprise (à défaut, de branche) pourrait la porter à 46 heures. Il s’agit bien d’une simple retouche des textes existants, qui n’offre que parcimonieusement plus de souplesse aux entreprises.
Concernant les temps de repos, le principe d’un « repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives » posé à l’art. L. 3131-1 serait repris. Une fois encore, le seul apport du texte est de ménager une place plus importante à l’accord d’entreprise pour assouplir les règles: il primerait désormais sur l’accord de branche existant.
Un recours aux forfaits en jours sur l’année simplifié ?
S’il y a bien un domaine au sein duquel le texte se montre un peu plus innovant, c’est celui du temps de travail des salariés « au forfait » (dont le temps de travail est décompté en jours ou heures sur une année). Les dispositions contenues dans l’avant-projet visent à simplifier son utilisation dans les TPE et PME, prenant de fait le contre-pied d’une jurisprudence européenne exigeante en la matière.
Actuellement, l’entreprise qui souhaite recourir aux forfaits doit être couverte par un accord d’entreprise ou de branche. Désormais, l’art. L 3121-65 permettrait aux « entreprises de moins de 50 salariés » de conclure « des conventions individuelles de forfaits en jours et en heures sur l’année », en dehors de tout accord collectif. Cette disposition a fait réagir les syndicats, et le Gouvernement serait déjà prêt à faire un geste sur ce terrain …
Concernant le fonctionnement du forfait jour, l’entretien annuel et l’obligation d’assurer un contrôle de la charge de travail et des jours travaillés restent évidemment en vigueur. La nouveauté réside dans le repos quotidien du cadre au forfait, qui pourrait désormais être fractionné (et pas forcément continu) s’il a recours au télétravail, par accord. Reste que cette disposition parait peu compatible avec les exigences du droit de l’UE[3].
Loin de modifier les règles sur le temps de travail en profondeur, l’avant-projet El Khomri entend conserver les grands principes tout en encourageant les partenaires sociaux à les adapter aux besoins de l’entreprise. Dès lors, comme le souligne Me P.-H. Antonmattei, « construire une culture de la négociation collective devient une priorité ». Aux acteurs « de s’emparer plus fortement des espaces de libertés offerts par le législateur », en abandonnant les « postures, préjugés, et dogmes » : sans quoi ce texte n’aurait strictement aucun impact.
[1]Vœux aux acteurs de l’entreprise et de l’emploi , le 18 janvier 2016.
[2] Art. L. 3121-22 C. Trav. : 25% pour les huit premières heures, 50% au-delà.
[3] Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail : l’art. 3 exige bien une période minimale de repos de onze heures consécutives.