Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.
On le sait, dès lors qu’un salarié dispose d’une délégation d’autorité lui permettant d’être assimilé à l’employeur, il ne peut ni se présenter aux élections des représentants du personnel, ni y être électeur. Il en est de même pour le salarié qui représente effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel.
Mais qu’en est-il lorsque le salarié représente l’employeur devant les représentants de proximité ? La Cour de cassation répond à cette question. Cass.soc.31.03.21, n°19-25233.
Qui peut se présenter et voter aux élections professionnelles ?
Pour être éligible et électeur aux élections professionnelles, encore faut-il remplir certaines conditions posées par le Code du travail (1). Mais ce n’est pas tout, car les juges ont exclu certains salariés de cette possibilité de voter ou de se présenter aux élections !
- Soit parce qu’ils disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise (2), à condition évidemment que les pouvoirs conférés par cette délégation leur permettent réellement de les assimiler à l’employeur (3).
- Soit parce qu’ils représentent effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel (4).
Pour décider d’assimiler ou non les salariés à l’employeur, et potentiellement les exclure de l’électorat ou de l’éligibilité, les juges se sont donc toujours attachés à examiner finement les pouvoirs et prérogatives exercés par le salarié, mais aussi les termes de la délégation de pouvoirs.
Les juges ont par exemple décidé qu’un salarié représentant l’employeur aux réunions des DP de l’établissement qu’il dirige ne pouvait représenter les salariés au comité d’établissement, quand bien même le périmètre couvert par ce dernier serait plus large que celui au sein duquel il représente l’employeur (5).
Mais alors qu’en est-il du salarié qui représente l’employeur devant les représentants de proximité ? C’est à cette question que répond la Cour de cassation dans cette affaire.
Qu’est ce qu’un représentant de proximité ?
Contrairement au CSE, la mise en place de représentants de proximité n’est pas obligatoire. Elle dépend de la volonté des acteurs de l’entreprise qui, s’ils le souhaitent, peuvent les mettre en place par un accord d’entreprise qui en précisera, entre autres : le nombre, les attributions, les modalités de fonctionnement (heures de délégation par ex).
Ces RP sont soit des membres du CSE, soit des personnes désignées par lui. Ils sont donc une émanation du CSE, mais ne sont pas nécessairement des membres élus. En revanche, ils bénéficient tous du statut protecteur (6).
Crées par les ordonnances Macron de 2017, en pratique, les RP sont souvent mis en place dans les entreprises multi-sites pour assurer un lien entre les représentants du personnel et les salariés au niveau local.
Le contexte
Dans le cadre des élections du CSE d’établissement de la société Carrefour, un syndicat a saisi le tribunal d’instance afin de faire radier 80 salariés des listes électorales. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces salariés sont les directeurs des 80 magasins concernés et que pour les raisons exposées ci-dessus, cela posait un problème…
Condamnée à retirer ces salariés des listes électorales, la société se pourvoit en cassation. Selon elle, il n’y a aucune raison de les exclure. Au contraire, il y a deux raisons de ne pas les exclure !
- D’abord, parce que les directeurs en question ne disposaient pas d’une totale liberté dans l’embauche, la discipine et le licenciement des salariés et devaient même faire valider leurs choix avant de prendre une décision grave et qu’à ce titre, ils ne pouvaient donc pas être assimilés à l’employeur.
- Ensuite, parce que le fait d’exclure des salariés au motif qu’ils ont représenté l’employeur devant les IRP ne vaut que… devant le CSE ! Or ici, en plus d’être dépourvus de prérogatives propres, les directeurs ont simplement été les interlocuteurs de représentants de proximité (et non du CSE) – représentants désignés par le CSE et dont l’existence et les attributions dépendaient d’un accord collectif. En d’autres mots, pour l’entreprise, les représentants de proximité ne peuvent pas être assimilés à une IRP classique, telle que le CSE.
Les représentants de proximité constituent bien une institution représentative du personnel
La Cour de cassation rejette les deux arguments avancés par l’employeur.
Et elle commence par rappeler que les représentants de proximité sont certes mis en place par un accord d’entreprise, mais ils sont des membres du CSE ou sont désignés par celui-ci pour une durée qui prend fin avec celle des mandats des membres élus du comité. Ce faisant, elle les place au même niveau qu’une IRP classique telle que le CSE. Le fait que le salarié ait représenté l’employeur devant des représentants de proximité produit donc les mêmes conséquences en termes d’éligibilité ou d’électorat que s’il s’était agi du CSE.
Les salariés représentent effectivement l’employeur devant les représentants de proximité.
Puis les juges considèrent que même si ces salariés ne disposaient pas d’une pleine liberté dans l’embauche, la discipline et le licenciement des salariés de son magasin, ils représentaient bien l’employeur vis à vis des salariés à ces occasions et en exerçaient tous les attributs (embauche, discipline, licenciement). D’ailleurs, la lettre de convocation et de sanction était établie au nom du directeur du magasin et du responsable des relations sociales.
Les salariés représentent l’employeur vis à vis des salariés.
En bref, ces salariés ne pouvaient pas être inscrits sur les listes électorales !
Cette solution reste dans la lignée des décisions jusqu’ici rendues en matière d’éligibilité et d’électorat aux élections professionnelles. Les IRP ont pour objet la défense des intérêts des salariés de manière constante, objective et subjective. Il serait ambigu pour des directeurs de magasin de représenter tantôt l’employeur, tantôt les salariés.
Si elle n’est pas surprenante, cette décision est néanmoins la bienvenue. En alignant les représentants de proximité sur les membres du CSE, la Cour de cassation reconnaît une véritable place non seulement des représentants de proximité au sein des IRP (et ce, malgré leur caractère facultatif, un champ d’action moindre), mais aussi de la négociation collective dans l’organisation du dialogue social au sein de l’entreprise.
(1)] Art L.2314-18 et art L.2314-19 C.trav.
(2) Cass.soc.6.03.01, n°99-60553, Cass.soc., 6.02.02, n°00-60488.
(3) Cass.soc.29.06.05, n°04-60093.
(4) Cass.soc.12.07.06, n°05-60300.
(5) Cass.soc.29.11.17, n°17-13201.
(6) Art L.2313-2 et L.2313-7 C.trav.