Le report de congés payés en cas de maladie n’est pas limité !

Cette publication est issue du site du syndicat de salariés CFDT.

 

Dans un arrêt du 21 septembre dernier, la Cour de cassation est venue préciser la règle du report des congés payés non pris pour cause de maladie. En s’alignant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle, en cas de maladie, le salarié doit pouvoir reporter ses congés durant une période supérieure à celle de la période de référence, la Cour de cassation a considèré que le droit de l’Union européenne n’imposait pas la limitation dans le temps d’un tel report. Cass.soc. 21.09.17, n°16-24022. 

  • Faits

Dans l’affaire en cause, une instruction générale interne à la RATP limite à 1 an la durée pendant laquelle un agent peut reporter ses congés payés dans le cas où il n’aurait pas pu les prendre pour cause de maladie.  

Le syndicat SAT RATP a assigné la RATP devant le tribunal de grande instance pour faire juger cette réglementation interne à la RATP inopposable aux salariés, car discriminatoire et contraire à la directive de 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (1). Le syndicat demande en ce sens à la RATP de régulariser, depuis le 4 novembre 2003, la situation de l’ensemble des agents concernés en leur octroyant des jours de congés écrêtés à tort à l’occasion de leurs maladies, accidents du travail et maladies professionnelles.  

Saisis en appel, les juges du fond ont donné gain de cause au syndicat en estimant la limite d’1 an de report des congés payés contraire à la directive de 2003. En conséquence, la cour d’appel a prononcé la régularisation de l’ensemble des agents n’ayant pu prendre leurs congés, ceci sans fixer de limite de report. 

La RATP a alors formé un pourvoi en cassation pour contester cette analyse. Elle reproche à la cour d’appel d’avoir violé l’article 7 de la directive de 2003 en ne limitant pas elle-même la période durant laquelle un salarié peut reporter ses congés payés. 

 

La question dès lors qui est posée à la Cour de cassation est de savoir si les congés payés non pris pour cause de maladie peuvent être reportés de façon illimitée dans le temps  

  • Une limitation du délai de report potentiellement admise

Pour appuyer sa demande devant la Cour de cassation, la RATP se fonde sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui admet la possibilité de limiter le délai de report et qui estime qu’une période de report de 15 mois est conforme à la directive (2).  

L’employeur ajoute que, selon cette jurisprudence européenne, le report des congés payés acquis et non pris ne peut être illimité dans le temps, mais doit correspondre à une durée raisonnable dépassant substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle les congés sont accordés, en l’occurrence 1 an. Pour l’employeur, il appartenait alors au juge de fixer une limite à ce report.  

  • Mais aussi une limitation non imposée par le droit de l’Union européenne

La Cour de cassation ne retient finalement pas les arguments de la RATP. Elle rejette ainsi le pourvoi en considérant dans un premier temps que «si des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé d’un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives au moyen d’une période de report à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint, dès lors que cette période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence, la directive 2003/88 ne fait pas obligation aux Etats membres de prévoir une telle limitation». 

Dans un second temps, la Cour de cassation précise, dans une note explicative accompagnant sa décision, la règle à appliquer. Ainsi, dès lors que la règlementation interne à l’entreprise est écartée du fait de sa contrariété avec la directive, la cour d’appel ne pouvait que constater l’absence d’un tel délai de report. De plus, «en l’absence de toute base légale donnant [au juge judiciaire français] le pouvoir de fixer lui-même une telle limite dans des rapports entre salarié et employeur», la Cour d’appel ne pouvait que faire l’exacte application de la loi et ordonner le report illimité dans le temps. En d’autres termes, le droit français ne fixant aucune limite au report des congés, la cour d’appel ne pouvait pas d’elle-même en déterminer une. 

Par conséquent, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail, et ce sans limite dans le temps, ou, en cas de rupture du contrat de travail, être indemnisés.  

  • Finalement, quel délai de report peut être fixé ?

Dans sa note explicative, la Cour de cassation indique qu’à défaut de précision de la directive, «la définition du délai de report des congés payés relève de la marge de manœuvre des Etats membres, sous réserve de respecter le seuil minimal défini par la Cour de justice, à savoir dépasser substantiellement la période de référence», c’est-à-dire, dépasser 1 an. Le délai de report peut alors être fixé à 15 mois, tel que l’a déjà admis la Cour de justice, mais selon la Cour de cassation, «un délai supérieur comme par exemple 16 ou 18 mois pourrait également répondre aux critères posés par la CJUE». 

En droit français, le Code du travail ne prévoit aucun délai maximal de report des congés payés qui n’ont pu être pris pour cause de maladie. La Cour de cassation précise qu’ «en pratique seul peut être invoqué le délai de prescription de trois ans à compter de l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris (Soc., 4 décembre 1996, n° 93-46.418), sous réserve des causes d’interruption ou de suspension».  

  • Une solution conforme au droit de l’Union européenne ?

Pour la CFDT, une telle solution a le mérite de respecter l’objectif visé par le droit de l’Union européenne en matière de temps de travail et de congés, à savoir celui de protéger la santé et la sécurité du travailleur en lui permettant de se reposer. Toutefois, le droit français n’est toujours pas en conformité avec le droit de l’Union sur certains points, plus particulièrement dans deux cas. 

Le premier cas concerne celui où la maladie survient au cours des congés payés. Si la jurisprudence de la CJUE considère que le salarié arrêté pour maladie durant ses congés payés ne perd pas, le jour de sa reprise, le bénéfice de son droit à congé et peut en demander le report (3), la jurisprudence française opère une distinction entre la maladie qui survient avant ou pendant les congés payés. En ce sens, le salarié conserve son droit à congés lorsque la maladie intervient avant (4) le départ en congé, mais il le perd lorsque la maladie intervient durant ses congés payés (5), ce qui est en contradiction avec le droit de l’Union. 

Dans cet arrêt, il est possible de se demander si la Cour de cassation n’amorce pas de manière implicite une mise en conformité en considérant que le salarié peut reporter ses droits au congé, sans distinguer selon que la maladie arrive avant ou pendant les congés payés. Elle reconnaît en effet que « lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année prévue par le code du travail ou une convention collective en raison d’absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail ou, en cas de rupture, être indemnisés ». Un arrêt confirmant cette mise en conformité serait le bienvenu! 

Le second cas concerne l’acquisition des droits au congé en cas d’absence du salarié pour cause de maladie non professionnelle. En effet, en droit français, les congés payés s’acquierent par l’exécution d’un travail effectif, mais certains temps, assimilés à du temps de travail effectif, permettent également d’ouvrir des droits au congé. Contrairement à la maladie professionnelle ou à l’accident du travail, l’absence pour maladie non-professionnelle n’est pas assimilée à du temps de travail effectif, ce qui est contraire au droit de l’Union européenne (6) et à la jurisprudence de la CJUE (7).  

Dans sa note explicative, la Cour de cassation pointe d’ailleurs cette défaillance du droit français. Ce n’est pas faute, pour elle, d’avoir déjà suggéré dans ses rapports annuels 2013 à 2016 de modifier la loi afin d’assurer une mise en conformité avec le droit de l’Union ! Or, ni la loi Travail de 2016, ni les ordonnances Macron n’ont franchi ce pas, ce qui est regrettable. 

 

 

(1) Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 04.11.03 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. 

(2) CJUE, 22.11.11, Aff. C-214/10, KHS AG c. Winfried Schulte

(3) CJUE, 21.06.12, aff. C-78-11, ANGED c/FASGA

(4) Cass.soc.24.02.09, n°07-44488. 

(5) Cass.soc.08.11.84, n°82-42372 ; Cass.soc. 4.12.96, n°93-44907. 

(6) Art. 7 de la directive 2003/88/CE. 

(7) CJUE, 24.01.12, aff. C-282/10, Dominguez 

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