Remis hier au premier Ministre, le rapport Badinter a rapidement été commenté par les trois principales organisations patronales et par plusieurs syndicats de salariés. Seule la CFDT semble se satisfaire des 61 “principes essentiels” formulés dans le rapport, les autres réactions oscillant entre critiques appuyées et circonspection quelque peu désabusée.
Des mécontents très mécontents
La CGT n’ayant pas encore pris position sur le rapport Badinter, c’est l’Union syndicale Solidaires qui s’est chargée de tirer sur lui à boulets très rouges. “Ceux qui se plaignent de la lourdeur de la réglementation actuelle seront contents : le rapport tient en 12 pages et raye 100 ans d’histoire et de luttes” n’hésite-t-elle pas à dénoncer, avant d’accuser l’ancien garde des Sceaux de François Mitterrand d’être un “liquidateur du Code du travail”. La confédération Solidaires est convaincue que le rapport sera suivi d’effets : “derrière les 61 articles de ce rapport, de nombreux renoncements sont annoncés : fusion des conventions collectives avec la menace sur les droits des salarié-es des différentes branches, accords dérogatoires sur les 35 heures, conditions d’extension possible des CDD et autres contrats, remise en cause des droits des IRP”. A n’en pas douter, le Medef jubile !
Eh bien, non, pas du tout même. Pour le Medef, le rapport constitue “une grande déception pour les entreprises, car ce n’est pas d’une reformulation dont notre droit du travail a besoin, mais d’une évolution profonde”. Pire, Pierre Gattaz craint que le rapport Badinter ne vienne ajouter une “couche normative supplémentaire” à la réglementation actuelle du travail. Au final, le gouvernement est même accusé de vouloir cacher son immobilisme en s’agitant en communication : “Face à un projet de loi porté par Mme El Khomri qui ne semble pas répondre à l’ambition et à l’urgence de la situation et à un profond questionnement quant à la portée du rapport Badinter, le Medef s’inquiète d’un décalage grandissant entre l’affichage réel d’une ambition de réformes et des textes très loin de traduire cette ambition.” Solidaires et le Medef ont-ils bien lu le même rapport ?
Les vieux sages circonspects
Pour un décideur politique, ne vaut-il mieux pas être critiqué que voir la portée de sa parole remise en doute ? Robert Badinter a, en tout cas, eu également le droit à ce second honneur. Du côté des partenaires sociaux, certains sont tellement circonspects sur l’avenir de son rapport qu’ils n’ont pas jugé nécessaire de l’attaquer trop durement.
François Asselin, le président de la CGPME, a ainsi relativisé l’importance du rapport Badinter : en n’exprimant que des “grands principes”, il “enfonce un petit peu des portes ouvertes”. Un rapport pour rien donc, un de plus ? “On saura si c’est une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle (…) au bout du bout à travers le filtre parlementaire si nous arrivons sur des sujets qui peuvent être innovants par rapport soit à la durée légale du temps de travail, soit à une certaine flexibilité, mais tout reste à écrire.” Difficile d’émettre plus de réserves en une seule phrase… François Asselin ne semble définitivement pas attendre grand chose du rapport Badinter. Et il n’est pas le seul à être dubitatif.
L’UPA, l’organisation patronale des artisans reconnaît certes que “les 61 principes généraux du droit du travail mis en exergue dans ce rapport” pourraient potentiellement avoir un mérite : elles “sont de nature à faciliter à terme la compréhension du Code du travail, ce qui constitue une priorité”. Mais enfin, tout ceci demeure encore très hypothétique. Surtout, pour l’UPA, qui veut “simplifier radicalement le droit de travail”, il est dommage que “les membres de la commission Badinter n’aient pas jugé opportun de faire part de leurs propositions d’évolutions”. Il est vrai qu’un rapport sur le code du travail aurait pu en formuler quelques unes…
De l’autre côté de l’échiquier paritaire, Force Ouvrière, qui, d’ordinaire, ne ménage pas ses efforts pour apparaître à peu près aussi radicale que la CGT, ne semble pas très bien savoir ce qu’elle doit penser du rapport Badinter. FO reconnaît ne pas tout à fait saisir quel est le statut de cette “déclaration de bonnes intentions dont l’objectif est plus de guider que de contraindre” : “s’agit-il réellement de principes fondamentaux” ? L’Avenue du Maine regrette à cet égard que le rapport ne tranche pas certaines questions : les “dérogations laissées à la discrétion du législateur” sont floues, “l’ambiguïté demeure” sur le temps de travail et enfin “le principe de faveur et de la hiérarchie des normes (entre la loi et l’accord collectif) n’est pas affirmé clairement”. “Sachant que le gouvernement a d’ores et déjà fait part de son intention de ne pas forcément réformer à droit constant, toutes les craintes sont permises”, conclut FO. Il faut bien hausser le ton !
La CFDT sous le charme du rapport Badinter
Dans ce concert de réactions déplaisantes, Robert Badinter n’a pu compter que sur un seul vrai soutien : celui de la CFDT. Dans un entretien au Monde, Laurent Berger, secrétaire général de la principale confédération réformiste, a jugé “plutôt positif” le rapport remis au premier Ministre. Il considère qu’il “n’y a pas de remise en cause, évidemment de mon point de vue, de ce qu’est le Code du travail aujourd’hui. Cela pose le principe de ce qu’est un code du travail : de la protection individuelle et de la représentation collective”. Selon Laurent Berger, “c’est clairement la définition d’un ordre public social et c’est clairement le rappel que le Code du travail est au service des gens qui exercent ce travail, c’est-à-dire les salariés”. M. Berger se réjouit notamment du rappel des “principes importants”: “Le CDI est la forme normale du contrat, la représentation syndicale, la dignité, le respect des bonnes conditions de travail” mais aussi “le droit de grève”.
Mais tout de même, n’étant pas non plus tombé de la dernière pluie, le secrétaire général de la CFDT juge nécessaire de réaffirmer à plusieurs reprises que le rapport Badinter soulève au moins autant de questions qu’il n’apporte de solutions : “c’est un travail utile mais qui est le tout début d’un processus”, “alors après, évidemment, tout ça, c’est la façon de le mettre en oeuvre qui joue sur la vie des gens”. Le soutien n’empêche pas la prudence.