A défaut d’une réelle révolution qui aurait pu consister en l’abandon des « 35 heures », la Loi Travail entendait faciliter la vie des entreprises en leur permettant notamment d’aménager le temps de travail selon les fluctuations de l’activité. L’article 2 du Projet privilégie ainsi l’accord négocié au niveau de l’entreprise pour adapter les règles légales.
Un mouvement encouragé par P. Gattaz (MEDEF), qui a décrit les accords de branche comme des « instruments du XXème siècle », « inadaptés à la mondialisation ». Mais cet article est aussi le symbole, pour les opposants au texte, du fameux « renversement de la hiérarchie des normes », qui participerait à un nivellement vers le bas des droits des salariés.
L’article 2 s’inscrit pourtant dans la continuité des dernières réformes, qui faisaient déjà la part belle aux accords d’entreprise en matière de temps du travail . Sur le fond, il se contente de retouches sans grande envergure, suspendues à la conclusion d’accords entre les partenaires sociaux.
Durées maximales de travail et repos minimum : des avancées minimes
Sur cette thématique, la réforme passe quasiment inaperçue. Actuellement, un salarié ne peut effectuer plus de 44 heures de travail hebdomadaires sur une moyenne de douze semaines. Dans la première version du texte, il était question de porter cette période de référence à seize semaines, afin d’aménager plus de souplesse aux entreprises en cas de pics de commandes. Une idée finalement enterrée. Seule nouveauté: les entreprises pourront, en cas d’accord, porter cette limite à 46 heures de travail en moyenne.
En ce qui concerne la durée maximale quotidienne de travail (fixée par la loi à 10 heures), elle pourra également être portée à 12 heures par accord d’entreprise « en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise ». Par contre, aucun changement n’est à signaler sur la durée maximale de travail d’une semaine isolée (48 heures, sauf circonstances exceptionnelles et autorisation administrative), ni sur le repos quotidien minimum obligatoire (onze heures consécutives). La question du fractionnement de ce repos quotidien pour les salariés en forfait-jours travaillant depuis chez eux a été remise à une consultation ultérieure. Une manière douce de reculer …
Plus de souplesse dans l’aménagement du temps de travail
La durée légale du travail restera fixée à 35 heures par semaine. Cela ne constitue en rien une durée maximale, mais seulement le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Les salariés peuvent donc tout à fait travailler au-delà de cette limite, mais il en découlera des coûts supplémentaires pour l’employeur (majoration des heures supplémentaires et/ou contrepartie en repos).
A défaut de s’attaquer frontalement aux 35 heures, les dernières réformes ont fait en sorte de développer des pistes (dont les forfait jours, le compte épargne temps …) pour contourner cet obstacle dans les entreprises, notamment via la « modulation » du temps de travail. Il s’agit de pratiquer un lissage sur une période donnée, ce qui fait échec à la règle selon laquelle les heures supplémentaires sont décomptées et payées chaque semaine. On peut ainsi éviter des situations où la même année, un employeur paie de nombreuses heures supplémentaires lors d’un pic d’activité avant de recourir au chômage partiel lors d’un creux (grâce, par exemple, à l’annualisation du temps de travail : seules les heures effectuées au-delà de 1607 heures par an seront des heures supplémentaires).
En principe, l’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine doit être prévu par accord collectif. La limite fixée à un an devait être revue par la Loi Travail. Par accord d’entreprise, il aurait alors été possible d’aménager le temps de travail sur trois années ! Mais cette opportunité de flexibilité a été fermée dans la seconde version du texte. Marche arrière : seul un accord de branche pourra autoriser l’entreprise à dépasser l’année (on rétablit, en l’espèce, le verrou de la branche).Toutefois, notons qu’en l’absence de tout accord, l’employeur pouvait déjà moduler le temps de travail par décision unilatérale, sur quatre semaines maximum. La Loi Travail étend cette possibilité à neuf semaines.
Dès 2008, on avait également donné priorité à l’accord d’entreprise pour fixer le contingent d’heures supplémentaires pouvant être effectué par chaque salarié (à défaut, la loi l’a fixé à 220 heures). La Loi Travail confirme cette position. Elle ajoute qu’au-delà de cette limite, la contrepartie obligatoire en repos qui doit être accordée au salarié variera en fonction des effectifs de l’entreprise (50% du temps en deçà de 20 salariés, 100% une fois le seuil atteint).
Un champ d’intervention large mais des changements mineurs
Sur le temps de travail, la Loi El Khomri est finalement porteuse de peu de changements. Une disposition « choc » visait à autoriser le recours aux forfaits-jours dans les entreprises de moins de 50 salariés en dehors de tout accord collectif, mais elle n’a pas survécu au recul gouvernemental.
En réalité, la principale innovation de la Loi Travail est que les entreprises pourront continuer à négocier sur toutes les thématiques relatives au temps de travail, mais sans craindre le verrou de la branche. Par exemple, seules les branches étaient habilitées à autoriser ou non une marge de négociation sur la majoration des heures supplémentaires jusqu’alors. Désormais, les entreprises pourront négocier directement des accords pour baisser cette majoration (en respectant le plancher fixé à 10%), sans se soucier d’un quelconque accord de branche.D’autres changements restent à la marge, que ce soit en matière de congés payés (possibilité de prendre les congés dès l’embauche, de négocier à la baisse le délai de prévenance pour modifier les dates et ordres de départ en congés …), de travail de nuit (qui pourra s’achever au plus tard à 7h, et non plus à 6h), ou d’astreinte (par exemple, le salarié devra être informé de son astreinte dans un « délai raisonnable », et non plus 15 jours avant).
Ainsi, à l’instar du reste de la Loi, l’article 2 ne modifie pas substantiellement les règles applicables (encore moins après son passage en Commission), mais permet davantage d’adaptations par accord d’entreprise (reste à s’en emparer …). Par ailleurs, alors que le rapporteur C. Sirugue avait envisagé la mise en place d’un nébuleux droit de veto des branches sur les accords conclus, le texte final se contente d’un droit de regard a posteriori, avec la possibilité de formuler chaque année des recommandations. Ce qui est plus en phase avec l’esprit du texte …