Pour la CFDT : La motivation du licenciement doit demeurer une chose sérieuse

Cet article a été initialement publié sur le site de la CFDT

 

Décidemment, entre les dispositions issues de l’article 30 du projet de loi El Khomri, deux questions prioritaires de constitutionnalité et une décision récente de la Chambre sociale de la Cour de cassation, une partie des règles du droit du licenciement pourrait être emportée dans la tourmente ! Cass.soc.3.05.16, n°15-11046 ; CPH Amiens, 28.04.16. 

 

  • Une victoire de la CFDT en demi-teinte sur l’article 30 du projet de loi El Khomri

L’article 30 est apparu de manière impromptue dans le projet de loi El KHomri, sans concertation. L’objectif du législateur est de “sécuriser” la définition du motif économique de licenciement en en donnant une définition mécanique, privant le juge d’une bonne partie de son pouvoir d’appréciation sur la cause réelle et sérieuse de licenciement. Au-delà de l’inscription dans le texte de loi de deux motifs reconnus depuis longtemps en jurisprudence, la cessation d’activité et la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité (1), deux voies ont été empruntées pour arriver à cette fin de sécurisation. 

Tout d’abord, une définition du motif des « difficultés économiques » par le biais d’indicateurs tels que la baisse du chiffre d’affaire, la baisse des commandes, la dégradation de la trésorerie, les pertes d’exploitation, voire l’excédent brut d’exploitation sur un certain nombre de mois (par rapport à la même période l’année précédente). 

Dans les premières versions du texte, ces critères interdisaient toute appréciation du juge dont le rôle se serait limité à constater la baisse (par exemple) sur le nombre de mois requis. Puis, à la faveur d’une réécriture par la Commission des affaires sociales, cette rigueur, pour ne pas dire cette rigidité, a été atténuée par la notion d’ « évolution significative » de l’indicateur. Toutefois, ce retour du juge s’est fait par la petite porte, puisque cette marge d’appréciation lui était retirée de l’autre main s’agissant de la « baisse significative du chiffre d’affaires ou des commandes », laquelle est (et est toujours, dans la version du texte adoptée via l’utilisation de l’article 49.3) considérée comme constituée, dès lors que cette baisse est constatée sur une durée variant selon la taille de l’entreprise. 

Ensuite, le législateur a entendu restreindre le périmètre d’appréciation de la situation économique aux entreprises « implantées » en France et contredire une jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis plus de vingt ans, selon laquelle lorsque l’entreprise appartient à un groupe, la situation économique s’apprécie au regard du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient (Cass.soc.5.04.1995, Vidéocolor/TRWA). A peine avait-il introduit la réserve de la fraude, du bout des lèvres… 

C’est pourquoi, depuis l’origine, la CFDT plaide pour le retrait de cet article du texte ou, au minimum, sa réécriture substantielle. Notre première victoire sur cet article (aussitôt atténuée, comme on l’a dit plus haut) fut l’obtention de la notion d’ « évolution significative » de l’indicateur permettant d’apprécier les difficultés économiques. La dernière en date est plus substantielle : il s’agit du retrait du texte de loi de la limitation au territoire national du périmètre d’appréciation de la situation économique. Toutefois, nous n’ignorons pas que, si des arguments plaident pour le maintien de la jurisprudence antérieure et donc le retour de l’appréciation dans le cadre du secteur d’activité du groupe lorsque l’entreprise appartient à un groupe, d’autres arguments en sens inverse ne manqueront pas d’être soulevés par les employeurs. C’est pourquoi nous continuerons de demander (aux côtés de la CFTC, de la CGC et de l’Unsa) l’inscription claire dans le texte de loi de cette règle jurisprudentielle relative au périmètre d’appréciation de la situation économique. 

C’est dans ce contexte que les juges se sont, eux aussi, emparé de ces questions. 

 

  • Une décision de la Cour de cassation et deux QPC

Une décision de la Cour de cassation et la transmission par le conseil de prud’hommes d’Amiens de deux questions prioritaires de constitutionnalité semblent s’immiscer dans les débats, déjà fort embrouillés, autour du droit du licenciement. 

Dans un arrêt du 3 mai, publié au bulletin, la Cour de cassation apporte une précision importante sur l’obligation d’énoncer le motif de licenciement dans la lettre en cas de licenciement pour motif économique (2).  

Dans un attendu de principe, la Haute juridiction rappelle que la lettre de licenciement doit énoncer les motifs afin de permettre au salarié de les discuter et de fixer les limites du litige, ce qui implique, en matière de licenciement économique, de faire référence à la fois à une suppression d’emploi et à la cause originelle (sauvegarde, difficultés…). Puis, la Cour de cassation ajoute : « sans qu’il soit nécessaire qu’elle [la lettre] précise le niveau d’appréciation de la cause économique quand l’entreprise appartient à un groupe » puisque, selon elle, « c’est seulement en cas de litige qu’il appartient à l’employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué. » 

La solution peut convaincre sur ce point puisqu’en effet ce n’est pas à l’employeur de décider du périmètre pertinent, en l’inscrivant d’emblée dans la lettre, mais au juge de vérifier que la situation économique justifie la suppression d’emploi dans le périmètre du secteur d’activité du groupe. 

On peut, en revanche, être plus dubitatif sur la possibilité, qui paraît ici admise par la Haute juridiction, d’invoquer deux motifs économiques à la fois : en l’espèce la lettre évoquait à la fois les difficultés et la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, ce qui ne semble pas gêner la Cour de cassation. Il n’est jamais bienvenu, à notre sens, de permettre aux employeurs de jongler entre les motifs. La motivation du licenciement est une chose sérieuse, qui ne doit pas s’accommoder de tours de passe-passe ! 

Comme si cela n’était pas suffisant pour charger l’actualité en la matière, voilà que nous apprenons que le conseil de prud’hommes d’Amiens a transmis deux QPC à la Cour de cassation (3), dont une au moins s’invite avec beaucoup de sans gêne dans le débat législatif (sauf que la décision pourrait n’être connue qu’après la promulgation de la loi). 

En bref, une première question percute directement les débats législatifs puisqu’elle porte sur la conformité à la liberté d’entreprise de l’appréciation du motif économique de licenciement au regard du secteur d’activité. 

Quant à la seconde, elle porte sur la conformité à la Constitution (liberté d’entreprendre et principe d’égalité) de l’article L.1235-3, alinéa 2, du Code du travail. Article qui pose un plancher d’indemnisation à 6 mois pour les salariés appartenant à une entreprise d’au moins 11 salariés et ayant au moins 2 ans d’ancienneté. 

Question redoutable, quand on songe que le plafonnement des indemnités prud’homales, initialement prévu dans la loi Macron, a été retoqué justement parce que le Conseil constitutionnel (4) a estimé que le critère des effectifs n’était pas pertinent pour fonder une différence de traitement entre les salariés en matière de réparation du préjudice subi… 

Le droit du licenciement n’en a manifestement pas fini d’être dans l’œil du cyclone ! 

 

 

(1) Cass.soc.16.01.2001, pour la cessation d’activité et Cass.soc.5.04.1995, Vidéaocolor/TRWA, s’agissant de la sauvegarde de la compétitivité. 

(2) Cass.soc.3.05.16, n°15-11046. 

(3) CPH Amiens, 28.04.16, QPC n°16-40209. 

(4) Décision n°2015-715 du 5 août 2015. 

 

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