Utilisation d’un véhicule de service par un représentant des salariés : la Cour de cassation tolérante

Cet article a été publié sur le site du syndicat CFDT.

 

 

Certains salariés bénéficient pour l’exercice de leur activité professionnelle d’un véhicule mis à leur disposition par l’entreprise. L’utilisation de ce véhicule pose parfois des difficultés. Dans quelle mesure un représentant syndical peut-il se servir de son véhicule de service dans le cadre de ses fonctions représentatives ? Peut-il être sanctionné alors même que cette pratique est constante et bien connue de l’employeur depuis de nombreuses années ? Dans un arrêt récent, la Cour de cassation répond par la négative. Cass.soc. 14.09.16, n° 15-13740. 

  • Faits

Engagé en avril 1981 en qualité d’agent électricien par la société Autoroutes du Sud de la France, le salarié bénéficie d’un véhicule de service. Il est par ailleurs, depuis 1997, investi de mandats électifs et syndicaux. Depuis plusieurs années déjà, le salarié utilise régulièrement son véhicule dans le cadre de ses fonctions représentatives. L’employeur a connaissance de cette pratique, mais ne l’a jamais sanctionnée. 

Mais ça c’était avant… Jusqu’à ce que le salarié commette une infraction au Code de la route avec ledit véhicule. C’est ainsi que, le 18 mai 2011, et pour la première fois, son employeur le sanctionne pour avoir utilisé son véhicule de service dans le cadre de sa mission représentative : 8 jours de mise à pied disciplinaire. 

S’estimant victime de discrimination syndicale et contestant la sanction, le salarié saisit le conseil de prud’hommes.  

La cour d’appel donne raison au salarié et considère que dès lors que la société avait connaissance de cette pratique depuis plusieurs années, sans qu’aucune sanction ne soit jamais prononcée, la sanction infligée ici était injustifiée. 

La société se pourvoit en cassation. 

  • Une utilisation non conforme mais tolérée….

Attention, véhicule de fonction et véhicule de service n’ont pas tout à fait le même objet ! Alors que le véhicule de service est un véhicule d’entreprise utilisé par le salarié à des fins exclusivement professionnelles, le véhicule de fonction, lui, peut être utilisé par le salarié à la fois à des fins professionnelles et personnelles. On dit que son usage est mixte. 

Les conditions d’utilisation d’un véhicule de service sont en principe définies dans le règlement intérieur de l’entreprise et une clause du contrat de travail peut également renvoyer à ces dispositions. 

Dans la présente affaire, trois textes fixent les conditions d’utilisation des véhicules de service : 

le règlement intérieur, qui réserve l’utilisation des véhicules à des fins exclusivement professionnelles ; 

une convention d’entreprise relative au droit syndical, qui interdit expressément aux représentants du personnel d’utiliser ces véhicules dans le cadre de leurs fonctions représentatives, sauf s’ils ont été convoqués par l’employeur ; 

– et le contrat de travail du salarié, qui prévoit une dérogation expresse à l’interdiction d’utiliser le véhicule à des fins personnelles en autorisant les trajets domicile-lieu de travail. 

Il ressort de l’ensemble de ces dispositions qu’en dehors de l’hypothèse où c’est l’employeur qui convoque le représentant, rien n’autorisait ce dernier à utiliser le véhicule dans le cadre de son mandat syndical. 

Pour autant, et malgré cette interdiction, cette pratique était courante au sein de l’entreprise. Il est en effet établi que l’employeur savait depuis de nombreuses années (15 ans environ) que le salarié utilisait son véhicule dans le cadre de son mandat et en dehors de toute convocation de l’employeur. Preuve en est que le salarié avait même été jusqu’à demander l’officialisation de cette pratique en 1998, ce à quoi lui a été rappelé les règles applicables et les conséquences encourues en cas de récidive. 

En l’espèce, il est donc manifeste que le salarié, bien que contrevenant aux règles applicables à l’entreprise au vu et au su de l’employeur, n’avait jusqu’ici jamais été sanctionné. 

Cela signifie-t-il pour autant que l’employeur ne pourra plus, par la suite, sanctionner le manquement du salarié ? Cette tolérance prive-t-elle l’employeur de son pouvoir de condamner un comportement fautif ? 

  • … peut-elle être sanctionnée ?

Pour la cour d’appel, le fait que l’employeur ait, pendant plus de 10 ans, fermé les yeux sur cette pratique sans jamais prendre la peine de la sanctionner constitue une tolérance de sa part, qui l’empêche finalement de la sanctionner ultérieurement (1). La cour déclare la sanction injustifiée. 

La société conteste. D’une part, elle considère que l’absence de sanctions antérieures ne justifie pas l’impossibilité de sanctionner par la suite. En effet, une prétendue tolérance n’emporte pas renonciation à un droit (notamment celui de sanctionner) comme elle ne fait pas plus disparaître la faute du salarié. Cette tolérance ne doit donc pas le priver de son pouvoir de sanctionner laréitération du même comportement fautif du salarié.  

D’autre part, elle ajoute qu’elle avait à plusieurs reprises reproché au salarié l’utilisation abusive du véhicule de service et lui avait par la même occasion régulièrement rappelé les règles d’utilisation et les sanctions encourues en cas de récidive. A son sens, ces divers rappels écrits adressés au salarié l’invitant impérativement à se conformer pour l’avenir aux règles applicables dans l’entreprise constituaient bien des sanctions. 

Pourtant, la Cour de cassation va rejeter sur ce point les arguments de la société. Elle approuve « la cour d’appel qui constatant que la société avait connaissance depuis plusieurs années des conditions de l’utilisation par M.X du véhicule de service pour l’exercice de ses fonctions de représentation syndicale, sans qu’aucune sanction ne soit jamais prononcée, a estimé que la sanction était injustifiée ; que le moyen n’est pas fondé ». 

Les Hauts magistrats confirment ainsi que le fait que l’employeur ait toléré pendant des années une pratique non conforme aux règles applicables à l’entreprise ne lui permet pas par la suite de sanctionner le comportement fautif. 

Cette solution n’est pas surprenante, car la jurisprudence a régulièrement invalidé des licenciements pour faute fondés sur un usage abusif des véhicules de fonction, au motif que l’employeur avait connaissance mais fermait les yeux sur cette pratique (2). 

La tolérance des juges va plus loin, puisqu’ils ont également souvent exclu la faute grave et retenu la seule cause réelle et sérieuse de licenciement pour une utilisation d’un véhicule professionnel à des fins personnelles (3). 

Attention toutefois, car la Cour de cassation a néanmoins considéré que le fait que l’employeur tolère l’usage privé du véhicule n’en fait pas un avantage en nature ni un droit acquis.  

On conçoit que l’utilisation d’un véhicule de service soit limitée à un usage strictement professionnel et qu’elle exclue tout usage personnel, mais en quoi l’exercice de fonctions de représentant du personnel sont-elles si différentes de celles de salarié au sein de l’entreprise, dans la mesure où elles sont liées à l’existence d’un contrat de travail ?  

 

Ajouter aux articles favoris
Please login to bookmarkClose
0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer

Retraites : décision en juillet pour l’abattement fiscal des retraités

Alors que les dirigeants de l'Etat sont à la recherche d'une quarantaine de milliards d'euros pour établir le budget de l'an prochain et qu'en parallèle - et non sans lien - le débat public sur l'avenir des retraites continue de donner lieu à des positionnements divers et variés, le ministre de l'Economie et des Finances Eric Lombard vient de donner quelques précisions quant au calendrier de la décision qui doit être prise au sujet, relatif à ces deux enjeux publics majeurs, du sort de l'abattement fiscal des...

La production agricole et CUMA révisent sa grille des salaires

L’avenant n°9 du 12 mars 2025 à la convention collective nationale (CCN) de la production agricole et des coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) (IDCC 7024) actualise les salaires minima applicables au sein de la CCN. Ce texte prend en compte l’évolution du SMIC intervenue au 1er novembre 2024. Le texte entrera en vigueur le premier...

Les caves coopératives vinicoles actualisent leur grille salariale

L’avenant n°98 du 12 février 2025 à la convention collective nationale des caves coopératives vinicoles (IDCC 7005) actualise la grille des salaires minima conventionnels. Ce texte remplace l’avenant n°97 du 17 janvier 2024. Le texte s'applique depuis le 1er janvier 2025. Il n'a pas encore reçu d'avis d'extension. ...

Nouvelle présidence pour le conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine

Un décret du 28 avril 2025, publié au Journal officiel du 30 avril, pris par le Président de la République sur proposition du Premier ministre et de la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, désigne le nouveau président du conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine. Il s’agit de Jacques-Olivier Bay, dont la nomination intervient après son audition devant les commissions des affaires sociales du Sénat et de...

Un nouveau membre suppléant au conseil d’administration de la CANSSM

Un arrêté du 25 mars 2025, publié au Journal officiel du 30 avril, acte une nomination au sein du conseil d’administration de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM). Anne Thauvin est nommée membre suppléant en tant que représentante des exploitants et anciens exploitants. Elle succède à François Baudet, qu’elle remplace dans cette fonction. Retrouvez l'arrêté complet en suivant ...