Tôt ou tard, dans la grande et indispensable régénération de la vie publique française, il faudra bien prendre en main de façon carrée et démocratique la question de moins en moins acceptable des connivences qui se développent à l’abri des regards au Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), créé en 1946 par la funeste IVè République. Tout le monde le sait, le palais d’Iéna est le lieu de tous ceux qui se tiennent par la barbichette et continuent à l’envi, au nom de la recherche d’un consensus démocratique, d’un nécessaire rôle des corps intermédiaires (mais nécessaire à quoi?), les combinazioni qui font, au jour le jour, la montée du “populisme”.
L’UPA et l’UNAPL: un mariage blanc au CESE
Un superbe exemple de ces combinazioni est donné par le mariage blanc décidé en urgence par deux organisations patronales dont les présidents se côtoient au jour le jour au CESE.
D’un côté, l’Union des Professions de l’Artisanat (UPA), présidée par Jean-Pierre Crouzet, est, de longue date, à la recherche d’adhérents pour justifier sa représentativité au niveau national. Sur décision historique du gouvernement (ah! la désignation des élus par le pouvoir politique dans la démocratie sociale, ça marche quand même mieux que l’élection!), l’UPA est en effet l’une des trois organisations patronales autorisées à négocier des Accords Nationaux Interprofessionnels (ANI). À ce titre, l’UPA perçoit une part substantielle des fonds du paritarisme. Son problème est qu’elle compte très peu d’adhérents… et qu’elle est marginalisée par le duo MEDEF-CGPME.
De l’autre, l’Union Nationale des Professions Libérales (UNAPL), qui regroupe un patchwork improbable de professions bien connues comme les médecins ou les avocats (mais aussi les géomètres-experts, les experts comptables, etc.). L’UNAPL est présidée par Michel Chassang, ancien président de la CSMF, le principal syndicat de médecins habitué à signer des conventions scélérates avec le gouvernement en échange de généreuses subventions. Problème de l’UNAPL: elle a des adhérents, mais n’est pas reconnue comme représentative, et ne bénéficie donc pas des fonds du paritarisme.
Et bizarrement, ceux qui ont l’argent mais pas d’adhérents viennent de décider de se marier en urgence avec ceux qui ont des adhérents mais pas d’argent.
Un mariage blanc entre deux boîtes noires
Si les gens de bon sens savent que la fusion en urgence de l’UPA et de l’UNAPL ne correspond à aucun autre projet qu’une combinazione en opportunité pour gagner de l’argent et de la représentativité (on se réjouit par avance des discussions plénières entre les psychiatres et les plombiers, entre les avocats et les maçons, dans les assemblées générales de la nouvelle entité), ce mariage blanc ne surprend personne, puisque chacune des composantes est une véritable boîte noire habituée à transgresser allègrement les règles de la République.
Ainsi, l’UNAPL héberge par exemple les avocats, profession traversée par la délicieuse affaire de la CREPA, qui nous vaut une affaire en diffamation lancée par une présidente paritaire, Gisèle Lapouméroulie, soutenue par une nébuleuse parasitaire (dont le cabinet Parlons Social, qui s’était réjoui de cette procédure). Problème: depuis le lancement de cette procédure, l’autorité prudentielle (ACPR) a condamné la CREPA à une amende colossale du fait des agissements de la présidente. Rappelons au passage que le fils de la présidente s’est pris plus de 700.000 euros de commissions dans des dossiers immobiliers confiés par sa mère. Les salariés des cabinets d’avocat seront heureux de savoir à quoi et surtout à qui servent leurs cotisations.
Mais concernant l’UNAPL, on peut aussi mentionner les conditions dans lesquelles les syndicats de médecins signent ou non les conventions fixant les objectifs de dépenses par spécialité. En cas de signature, l’Etat les subventionne. Sinon, couic!
Ce mécanisme explique largement pourquoi la profession de médecin est aujourd’hui accablée par les complexités administratives: les syndicats financés par l’Etat ont consciencieusement signés, en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes, tous les textes fonctionnarisant leurs adhérents.
Un mariage blanc tout à fait illégal
Entre gens habitués à négocier le bout de gras en dehors des règles mais au nom de la démocratie sociale, l’UNAPL et l’UPA ont annoncé leur mariage quelques jours avant le 15 décembre, date fatidique pour demander la reconnaissance de représentativité. Et comme cette date porte sur les effectifs des organisations syndicales de l’année écoulée, l’UNAPL et l’UPA ont décidé d’une fusion à titre rétroactif!
On appréciera la capacité des membres du CESE à respecter les règles de la République dont ils forment l’un des corps constitués. Les contrats rétroactifs conclus in extremis pour bénéficier d’une mesure financière en opportunité, c’est probablement la meilleure publicité qui pouvait être donnée à la démocratie sociale, tant adulée par l’inoubliable François Hollande…
Comment les membres du CESE violent la démocratie
Au passage, ce mariage en urgence constitue une sorte de concentré parfait de toutes les violations qu’un mouvement patronal peut porter aux règles démocratiques. Ainsi, la fusion des deux confédérations s’est faite sans aucune consultation des membres. Formellement, il aurait fallu une assemblée générale extraordinaire de l’UPA et de l’UNAPL, après un vote spécifique de chacune des entités composant ces organisations, pour que la fusion soit valide.
Dans le mariage blanc proposé par les membres du CESE, on s’assied allègrement sur ces petits détails qui empoisonnent la démocratie sociale: vous comprenez bien, mon cher Monsieur, que si on se met à demander l’avis de tout le monde, on ne s’en sort plus! la démocratie sociale, c’est fait pour rapporter du pognon, mais pour faire participer les adhérents aux décisions collectives.
On se demande bien, d’ailleurs, comment réagiront les médecins qui veulent se libérer de la sécurité sociale (et du RSI), en découvrant qu’ils appartiennent désormais à une organisation qui est présidée par des gens qui administrent consciencieusement le RSI et les URSSAF (l’UPA constituant le principal syndicat patronal ami de ces organismes qui étranglent les entreprises). Personnellement, j’aurais du mal à encaisser un système où je paie des cotisations à un mouvement qui se contredit à ce point…
Violer la démocratie, une habitude artisanale
Précisons que Jean-Pierre Crouzet, président de l’UPA, a de longue date l’habitude de déshonorer le corps constitué auquel il appartient en se livrant à des pratiques totalement ahurissantes au regard de la démocratie.
On en rappellera quelques-unes ici:
Si l’on voulait illustrer la toxicité du CESE pour la République et ses principes, on n’irait donc pas chercher ailleurs que chez Jean-Pierre Crouzet les preuves qui vont bien.