Cet article provient du site du syndicat CFDT.
Pour la première fois devant un conseil de prud’hommes, un chauffeur de VTC, recourant aux services d’une société de location de voitures et de mise en relation, a obtenu la reconnaissance de sa relation commerciale en contrat de travail. Les sujétions imposées, couplées à l’absence de toute possibilté concrète de développer une clientèle extérieure à cette plateforme, ont conduit les juges prud’hommes à reconnaître le salariat. Il s’agit là du premier dossier d’une longue série qui couve au sein du conseil de Paris. CPH, 20.01.17, n°14-16389.Elle aurait aussi pu venir des livreurs à vélo, mais c’est bien d’un chauffeur de VTC, exerçant sous statut d’auto-entrepreneur via une plateforme, que le premier cas de requalification en contrat de travail a émergé. En l’espèce, il ne s’agit pas de la très emblématique plateforme de mise en relation Uber, par ailleurs objet d’un contentieux initié par l’Urssaf d’Ile de France pour travail dissimulé, mais d’un de ses concurrents.
• Une décision très circonstanciée A la lecture du jugement, il apparaît que la société de transport faisait appel à des chauffeurs (ici sous statut d’auto-entrepreneur) et passait avec eux deux types de contrats commerciaux : un contrat de location de véhicule et un contrat d’adhésion au système informatisé qui gère la mise en relation. Selon la société, le chauffeur restait libre du choix de ses jours travaillés. Il avait le choix de se connecter – ou pas – à la plateforme, d’utiliser le véhicule loué pour son usage professionnel ou personnel, voire même de le sous-traiter. Il pouvait donc travailler pour son compte ou pour un tiers, à la “seule” condition de ne pas passer par un “concurrent exploitant un système de radio pour l’attribution des courses”. En outre, pour la société de transport, les conditions de résiliation du contrat n’induisaient pas l’existence d’un lien de subordination (les modalités de déconnexion en cas d’absence de réponse n’étaient pas applicables au chauffeur en question à l’époque). Pour le chauffeur en revanche, l’existence d’un contrat de travail était caractérisé dans la mesure où il était “intégré dans un service organisé par la société au travers du choix du modèle de véhicule et des outils de téléphonie”. La société de transport contrôlait sa tenue vestimentaire et son comportement et il était de fait dans l’impossibilité de démarcher une clientèle autre que via la plateforme.
• L’interprétation rigoureuse des juges du fondLes juges prud’hommes (en formation de départage) ont commencé par rappeler la compétence et le rôle central du juge du travail, pour qui la dénomination donnée par des parties au contrat ne suffit pas. En l’occurence, le statut d’auto-entrepreneur du chauffeur, ne constituait qu’une présomption simple de non-salariat, la requalification étant toujours possible (ce que les juges ne se sont pas privés de faire, en l’occurence). Ensuite, les juges ont listé les éléments caractérisant la “subordination”, au sens du droit du travail, s’entendant “de l’autorité du pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur sur le salarié à l’occasion de l’exécution de sa prestation de travail”. Faisant application de ces éléments aux faits, les juges en ont logiquement conclu qu’en l’espèce “les obligations mises à la charge du prestataire telles que le demandeur les a répertoriées dépasse notablement les obligations imposées dans le cadre d’une location de véhicule.” Autre argument massue : l’impossibilité, en pratique pour le chauffeur, de pouvoir développer sa clientèle par ailleurs, caractérisant une lien de dépendance économique fort avec la plateforme. Les juges ont en effet relevé que ” le chauffeur est interdit de maraude et de recourir à une société concurrente, si bien qu’il ne dispose pas de la possibilité de trouver une clientèle”. Ce dernier élément, tenant davantage à la dépendance économique du travailleur, est moins “classique” que le lien de subordination juridique généralement utilisé pour la requalification en matière de contrat de travail. Pourtant, ce second critère semble avoir pesé de manière équivalente dans la décision des juges. Ce qui est intéressant quant à l’évolution possible de la jurisprudence en matière de définition du contrat de travail et sur la reconnaissance d’un critère alternatif à celui de la subordination juridique (Lire Action juridique n°225 sur les mutations de l’emploi).Ces deux éléments combinés ont abouti à ce que les juges considèrent que la société de transport ne relevait “pas de la libre entreprise mais du salariat”.
• Une requalification chèrement payéeLa reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail sur l’ensemble de la période concernée (du 13 décembre 2013 au 13 octobre 2014) a pour conséquence l’application du Code et de la convention collective de branche (1) dans tous ses éléments :- l’application des minima salariaux (en comparaison au chiffre d’affaires dégagé) ;- la reconnaissance et le paiement des heures supplémentaires (s’élevant à 509 heures !) ;- les indemnités “jours fériés” et “dimanches”, les indemnités de costume, de repas, etc.Aussi (et surtout) la société de transport a-t-elle été condamnée à de lourdes indemnités pour travail dissimulé.La société de transport a bien essayé de démontrer le caractère non intentionnel du travail dissimulé, en invoquant le fait que le chauffeur avait “adhéré” au statut d’auto-entrepreneur. Une preuve de sa “bonne foi” , vite écartée toutefois par les juges, qui ont constaté que ces contrats avaient été rédigés par la société de transport et qu’en l’occurence le chauffeur n’avait pas eu d’autre choix que d’y “adhérer”. Cette solution, très attendue et fort logique en l’espèce, ne doit pas faire l’objet d’une “surinterprétation”, car en matière de requalification, tout est question de conditions de faits. Tout dépendra donc, pour les autres affaires encore sous le tapis, des circonstances dans lesquelles le travailleur exerce son activité et la lattitude laissée par la plateforme. (1) CCN des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21.12.50.