Cet article est initialement paru sur le site du syndicat de salariés FO.
Le gouvernement met en avant la dette de la SNCF pour justifier son projet de réforme du transport ferroviaire. Les cheminots rétorquent que c’est à l’État de la payer. Explications.
Pour la fédération FO des cheminots, la dette de la SNCF (55 millions d’euros) est en réalité une dette d’État. Celui-ci doit donc la reprendre intégralement à son compte et sans contreparties, ni de la part des cheminots au travers de la remise en cause de leur statut, en particulier de leur régime spécial de retraite, ni par les usagers au travers d’une augmentation des prix et d’une dégradation de la qualité du service rendu.
Pourquoi ? La première réponse est que le transport ferroviaire est un service public qui d’ailleurs, en plus de sa vocation première d’assurer les déplacements des voyageurs et des marchandises en toute sécurité et avec ponctualité, permet aussi de désenclaver les territoires, de rapprocher la province de Paris, de rapprocher les petites villes et les villages de leurs préfectures et de contribuer ainsi à l’égalité des citoyens en droits.
Mais les cheminots FO pointent aussi les mauvais choix stratégiques de l’État, et donc des gouvernements successifs.
Un service public qui mérite mieux
De fait, l’État a imposé à la SNCF de développer le réseau à grande vitesse comme nulle part ailleurs en Europe, au détriment des investissements dans le réseau existant, ce qui a engendré une explosion de la dette de la SNCF, comme l’indique d’ailleurs le rapport Spinetta, sur lequel s’appuie le gouvernement pour mener à bien sa réforme du système ferroviaire.
Depuis 1980, en moins de quarante ans donc, la France a construit 2 700 km de lignes à grande vitesse. Entre 2000 et 2015, le trafic TGV a augmenté de 57%. La réalisation simultanée de quatre grands projets de lignes à grande vitesse est responsable d’un quart de l’augmentation de la dette précise le rapport.
Pendant ce temps, le réseau existant est devenu de plus en plus vétuste, et donc de plus en plus coûteux à entretenir, comme le reconnaît là encore le rapport commandé par le gouvernement :
Le réseau ferroviaire français a fait l’objet d’un sous-investissement massif dans la maintenance (entretien et renouvellement), depuis la fin des années 1970, en raison d’arbitrages budgétaires qui ont favorisé le développement du réseau, et en particulier la construction des lignes à grande vitesse, au détriment du réseau existant.
Et plus loin : la dégradation du réseau existant se traduit également par un accroissement des charges d’entretien : l’obsolescence des composants de l’infrastructure rend nécessaire une surveillance renforcée ainsi que des opérations de maintenance corrective pour remplacer au cas par cas les composants défaillants.
Quand les choix de Bruxelles creusent la dette
Autre constat incontournable : la création de Réseau Ferré de France (RFF) en 1997 [1], pour répondre à l’exigence de l’Union européenne d’une séparation comptable entre la gestion de l’infrastructure et la fourniture de services de transports, a largement contribué à creuser la dette, notamment en imposant le paiement de péages qui subsistent aujourd’hui et ont même fortement augmenté entre 2010 et 2016 (+850 millions d’euros).
La relation entre RFF et le gestionnaire d’infrastructure délégué a favorisé à la fois une dérive des coûts de maintenance et d’exploitation, et une forte aggravation de la dette (dont plus de 6 milliards de dette d’exploitation, les ressources de RFF étant restées longtemps inférieures aux coûts de gestion de l’infrastructure), note le rapport Spinetta.
L’État a fait de mauvais choix stratégiques. La solution est-elle pour autant dans le secteur privé ? Au vu de l’expérience passée de la France ou de celle d’aujourd’hui ailleurs qu’en France, la réponse ne fait pas de doute.
Faut-il rappeler que la création de la SNCF découle d’une convention passée en 1937 entre l’État et cinq compagnies privées régionales existantes, toutes endettées depuis 1920 ?
Au Royaume-Uni, 58% de la population pour une renationalisation totale
Au Royaume-Uni, où l’ouverture à la concurrence a été achevée, l’État doit régulièrement intervenir pour renflouer les 26 compagnies privées qui assurent le transport ferroviaire, ce qui lui coûte chaque année 4,6 milliards d’euros, pour éviter des suppressions de lignes.
Et pourtant… D’après une étude du voyagiste allemand GoEuro, la Grande-Bretagne était en 2016, le 2e pays européen le plus cher sur les trajets en train, juste derrière la Suisse. En l’espace de 20 ans (1995-2015), le prix d’un billet de train a grimpé en moyenne de 117%.
De plus, si les trains et les gares relèvent du secteur privé, la gestion et l’entretien des réseaux sont revenus dans le giron du secteur public, à la suite de catastrophes ferroviaires dramatiques qui ont provoqué des dizaines de morts.
Résultat, selon un sondage récent, 58% de britanniques seraient partisans d’une renationalisation totale.
Transformation de la SNCF en Société anonyme ou comment l’État trouve le moyen de se désengager
Revenons en France. Le projet gouvernemental pour un nouveau pacte ferroviaire, dont l’Assemblée Nationale débattra du 9 avril au 12 avril, habilite le gouvernement à prendre des ordonnances pour, entre autres choses, modifier la structure juridique du groupe public ferroviaire.
La transformation de la SNCF en société anonyme à capitaux publics, autre préconisation du rapport Spinetta, affranchirait en effet l’État de son obligation de garantir la dette de la SNCF, obligation découlant de son statut actuel d’Etablissement public industriel et commercial (EPIC) [2].
Lors de la présentation du projet de réforme, le Premier ministre Édouard Philippe a évoqué le règlement de la dette en ces termes : Les efforts devront être partagés. Dès lors que la SNCF y aura contribué, l’État prendra sa part de responsabilités avant la fin du quinquennat pour assurer la viabilité économique du système ferroviaire.
Pour la fédération FO des cheminots, le message est clair : le gouvernement renvoie à la fin du quinquennat sa décision de reprendre -partiellement- la dette en échange d’efforts en matière de productivité qui entraîneront la baisse des effectifs et la remise en cause de la réglementation du travail des cheminots, du statut et de leur régime spécial de retraite. L’État ne reprend pas la dette, il la fait payer par les cheminots, résume la fédération FO.
La privatisation n’est pas forcément brutale …
Et par les usagers. Quand le Premier ministre déclare qu’on ne décide pas la fermeture de 9 000 kilomètres de lignes depuis Paris, on peut légitimement comprendre qu’il ne renonce pas à l’idée qu’il faudra nécessairement en sacrifier sur l’autel de la rentabilité et de la dette, mais qu’il renvoie simplement la responsabilité de la décision aux régions.
Quant à l’assurance que ce n’est pas une réforme qui préparerait la privatisation de la SNCF, rien ne le garantit. Le Premier ministre a expliqué que l’État détiendra des titres non cessibles. A hauteur de combien ? En 1996, France Telécom a été transformée d’EPIC en Société Anonyme à capitaux 100 % publics. En 2004, l’État avait cédé plus de 50% de son capital et en 2018, il ne détient plus que 22,95% des actions dans l’entreprise privée qui s’appelle désormais Orange.
Les cheminots refusent visiblement la duperie et vont l’exprimer massivement ce 22 mars, en faisant grève et en manifestant, à l’appel notamment de la fédération FO des cheminots, pour qui cette mobilisation doit être un point de départ.
Notes
[1] SNCF Réseau lui a succédé en 2015. [2] Pour les EPIC, le Conseil d’État a établi que « la garantie de l’État découle sans disposition législative explicite, de la nature même d’établissement public de l’organisme » (rapport public de 1996).