Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Par un arrêt du 17 mars 2021, la Cour de cassation a affirmé le droit, pour les salariés mis à disposition d’une entreprise utilisatrice, d’accéder aux communications syndicales des syndicats de l’entreprise d’origine. Charge à cette dernière de permettre cet accès.
Cass.soc. 17.03.21, n°19-21486
Comment une section syndicale peut-elle communiquer vers les salariés qui ne sont pas présents physiquement dans les locaux ? Voilà une question posée à la Cour de cassation en ce qui concerne le cas particulier des salariés mis à disposition d’une entreprise extérieure. Une problématique d’actualité beaucoup plus large dans le contexte de crise sanitaire qui a conduit à un éloignement quasi-permanent, voire permanent, d’un nombre important de salariés de leur lieu de travail habituel…
Rappel des faits et de la procédure
Dans cette affaire, des pilotes d’Air France ont été détachés au sein de l’entreprise Transavia. Jusqu’ici, aucune difficulté. Sauf que ce détachement conduit à une coupure de tout lien entre les syndicats de l’entreprise d’origine et ses salariés mis à disposition. Ces derniers n’ont en effet pas pu prendre connaissance des tracts et communications syndicales émanant des syndicats de leur entreprise d’origine.
Pointant le fait que la communication syndicale par voie électronique n’était pas prévue ni autorisée par l’accord de droit syndical, la société Air France a fait interdiction au syndicat Syndicat des pilotes d’Air France (Spaf) de diffuser par voie électronique les informations syndicales aux salariés mis à disposition de Transavia.
Considérant que ces salariés devaient avoir accès aux communications syndicales émanant des syndicats de leur entreprise d’origine, et que c’était à cette dernière de rendre cet accès possible, le Spaf a alors décidé d’en saisir les juges.
En appel, les juges ont mis hors de cause Air France, entreprise d’origine, au motif que celle-ci ne détenait pas le pouvoir de contraindre l’entreprise d’accueil, Transavia, à procéder à la diffusion des communications syndicales. Pour débouter le Spaf de ses demandes, ils ont également retenu que celui-ci n’avait pas constitué de section syndicale au sein de la société Transavia France et qu’il n’y était pas représentatif.
Un pourvoi en cassation est alors déposé.
Le droit d’accéder aux informations syndicales de l’entreprise d’origine
Au visa des articles L. 2142-3 à L. 2142-7 et de l’article L. 2314-23 du Code du travail, la Cour de cassation rappelle que « les organisations syndicales ayant constitué une section syndicale au sein de l’entreprise peuvent diffuser des communications syndicales aux salariés de l’entreprise. ».
Elle déduit de ce principe que « les salariés mis à disposition d’une entreprise extérieure, qui demeurent rattachés à leur entreprise d’origine, doivent pouvoir accéder à ces informations syndicales. ».
Les salariés mis à disposition qui remplissent les conditions requises peuvent choisir s’ils exercent leur droit de vote dans l’entreprise qui les emploie ou bien dans l’entreprise qui les accueille. Ils ne sont en revanche éligibles que dans la seule entreprise qui les emploie.
Un rôle actif de l’entreprise d’origine pour permettre cet accès
Et concrètement, la Cour de cassation fait peser sur l’entreprise d’origine, mais aussi sur l’entreprise d’accueil, la responsabilité de permettre cet accès. Elle précise en effet que c’est « à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires, en accord avec l’entreprise utilisatrice, pour que la diffusion des communications syndicales puisse être assurée auprès des salariés mis à disposition. »
Peu important la constitution ou non d’une section syndicale dans l’entreprise d’accueil
Enfin, pour la Cour de cassation, cette obligation de permettre l’accès aux communications syndicales existe, que le syndicat de l’entreprise d’origine ait, ou non, constitué une section syndicale dans l’entreprise d’accueil.
Une décision bienvenue, qui fait écho aux difficultés actuelles pour les sections syndicales de communiquer auprès des télétravailleurs
Au final, cette décision de la Cour de cassation, a priori inédite, ne surprend guère. Elle s’inscrit dans la logique énoncée à l’article L. 2142-7 du Code du travail selon laquelle, dans les entreprises de travail temporaire, la responsabilité d’assurer l’accès aux informations syndicales vers les travailleurs temporaires repose sur l’employeur. L’article précise en effet que « les communications syndicales portées sur le panneau d’affichage sont remises aux salariés temporaires en mission ou adressées par voie postale, aux frais de l’entrepreneur de travail temporaire, au moins une fois par mois ».
Et surtout, cette décision fait amèrement écho à la difficulté que dénonce la CFDT depuis maintenant plus d’1 an, de savoir comment les sections syndicales peuvent communiquer avec les salariés lorsque ces derniers ne sont pas présents physiquement dans l’entreprise.
Difficulté révélée en période de confinement et de télétravail massif. En effet, en l’absence d’accord d’entreprise sur le sujet, les sections syndicales ont la possibilité d’utiliser l’intranet de l’entreprise, mais pas les messageries électroniques.
L’article L. 2142-6 du Code du travail prévoit qu’un accord d’entreprise peut définir les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise. A défaut d’accord, les organisations syndicales présentes dans l’entreprise peuvent mettre à disposition des publications et tracts sur un site syndical accessible à partir de l’intranet de l’entreprise, lorsqu’il existe. L’utilisation par les organisations syndicales des outils numériques mis à leur disposition doit satisfaire l’ensemble des conditions suivantes : 1) être compatibles avec les exigences de bon fonctionnement et de sécurité du réseau informatique de l’entreprise ; 2) ne pas avoir des conséquences préjudiciables à la bonne marche de l’entreprise ; 3) préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message.
De droit, les sections syndicales ne peuvent donc user des outils numériques dans l’entreprise pour diffuser des informations aux salariés puisqu’un accord collectif d’entreprise l’autorisant s’avère être indispensable. Pour justifier l’existence d’une telle conditionnalité, le ministère du travail s’en réfère au dialogue social dans l’entreprise. Ce n’est certes pas la CFDT qui va nier le caractère indispensable d’un tel dialogue ! Mais force est de constater que l’argument est ici utilisé à mauvais escient. Le droit des organisations syndicales à communiquer est en effet un élément fondamental de leur capacité à s’organiser dans l’entreprise. C’est d’ailleurs en ce sens que le droit des sections syndicales à disposer d’un panneau d’affichage et celui à distribuer des tracts n’ont jamais été soumis à aucun préalable conventionnel… Or, dans le monde d’aujourd’hui, le recours aux outils numériques ont autant d’importance que le tractage et l’affichage en avaient en 1968, lorsqu’ils ont été consacrés par la loi. Il devrait donc de la même manière de droit pouvoir y être recouru.