Cette publication est issue du site du syndicat de salariés CFDT.
Lorsque des CDD successifs sont conclus avec un salarié et qu’en raison du motif de recours figurant au contrat de travail, celui-ci souhaite agir en requalification de ces CDD en CDI, il doit alors saisir le conseil de prud’hommes dans les 2 ans suivant le terme de son dernier contrat. Et si cette action en requalification prospère, il est alors en droit de demander qu’elle « produise ses effets à la date du premier engagement irrégulier ». Cassation sociale, 29.01.20, n° 18-15.359 (publié au bulletin).
20 novembre 2004. La société Audirep interview, qui donne dans les activités sondagières, décide de recruter un salarié afin de lui confier un poste d’enquêteur. Pas en continu, pas non plus sous couvert d’un CDI, mais par le biais de CDD successifs : des CDD dits d’usage, dont le Code du travail autorise le recours, notamment dans ce secteur d’activité.
Presque 10 années se passent. Et voilà que l’on retrouve ce même salarié toujours occupé à exercer en qualité d’enquêteur, toujours au service de cette même société… et toujours en CDD !
Et disons-le, ce « provisoire qui dure » aurait pu durer encore (bien plus) longtemps si, le 4 octobre 2013, la société Audirep interview (devenue entretemps la société Hexacall) n’avait pas due être placée en liquidation judiciaire, laissant ainsi s’envoler tout espoir de nouvelle(s) contractualisation(s) pour notre enquêteur.
- Une requalification CDD / CDI … pour une rupture plus juste
On peut alors assez facilement imaginer le désarroi du salarié, lorsqu’à l’occasion de cette liquidation, il a dû se résigner à constater qu’il serait traité comme un simple salarié en CDD de quelques jours que l’on déciderait finalement de ne pas renouveler… alors même que, du fait même de l’ancienneté acquise, il se vivait à n’en pas douter comme l’un des piliers des équipes en place.
Cruel décalage, dû à son maintien artificiel dans le champ de la précarité…
Aussi il fallait donc tenter quelque chose pour que son départ de la société se fît dans des conditions acceptables pour lui. Et ce « quelque chose » ne pouvait être qu’une action en requalification de ses (nombreux) CDD en CDI.
Et c’est ainsi que, le 7 juillet 2014, les prud’hommes ont été saisis de cette demande.
Et au vu du nombre de contrats successivement conclus et du temps qui s’était écoulé avant son éviction, le salarié n’a pas eu grand mal à convaincre les juges du travail qu’« il avait été engagé » en CDD « pour occuper un emploi participant à l’activité normale de la société ». Ce en flagrante contradiction avec le premier des principes du droit de recourir aux CDD (1) !
- Une requalification CDD / CDI au goût d’inachevé
Pour le salarié, la requalification en CDI était donc acquise. Mais à y regarder de plus près, il s’avérait tout de même que sa « victoire » ne pouvait être considérée comme pleine et entière. Une raison à cela : l’interprétation restrictive qu’avaient fait les juges du fond des règles de prescription figurant au Code du travail, règles selon lesquelles « toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit » (2).
En effet, le salarié avait agi aux prud’hommes le 7 juillet 2014, et la cour d’appel en avait déduit qu’il n’était fondé à faire remonter ses demandes que 2 années en amont de cette date. A l’en croire, il ne pouvait donc pas solliciter « la requalification des contrats conclus à une date antérieure au 7 juillet 2012 ».
- La Cour de cassation corrige le tir !
Mais le 29 janvier dernier, c’est bien cette interprétation pour le moins étriquée de la règle de droit que la Cour de cassation est venue casser.
Pour ce faire, elle a adopté un raisonnement en deux temps :
Premier temps. La Cour de cassation part du principe qu’en cas de requalification d’un CDD en CDI « fondée sur le motif du recours au CDD énoncé au contrat », comme c’est le cas en l’espèce, le salarié dispose de 2 ans pour agir à compter du « terme du contrat » ou « en cas de succession de CDD » du « terme du dernier contrat » (3).
Le dernier contrat ayant en l’espèce pris fin le 4 octobre 2013, le salarié avait donc jusqu’au 4 octobre 2015 pour agir. Ayant saisi les prud’hommes le 7 juillet 2014, il était donc clairement dans les temps.
Second temps. Une fois cette vérification faite, il n’y a plus lieu de se référer aux règles de prescription ! La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire rappelle en effet que, selon sa propre interprétation du Code du travail (4), « par l’effet des CDD successifs, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche dans l’entreprise » (5). Aussi y avait-il ici lieu en l’espèce de requalifier l’ensemble des CDD conclus depuis le 20 novembre 2004, et non pas seulement ceux qui avaient été conclus à compter du 7 juillet 2012.
Conclusion. Le salarié qui agit dans le délai de 2 ans suivant le terme de son dernier contrat peut donc demander la requalification de toute sa relation contractuelle. Celle-ci doit donc produire effet dès le premier jour du premier engagement en CDD.
Le salarié peut donc en toute logique se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier jour du premier contrat. Ce qui n’est pas sans importance surtout que, comme c’était le cas en l’espèce, les CDD successifs étaient souvent séparés les uns des autres par des périodes d’inactivité.
(1) Art. L. 1242-1 C. trav. : « Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».
(2) Art. L. 1471-1 al. 1er C. trav.
(3) Attention, cette règle ne s’applique bien qu’en cas de requalification de CDD en CDI « fondée sur le motif du recours au CDD énoncé au contrat » ! En cas de requalification de CDD en CDI « fondée sur l’absence d’une mention au contrat (…) », le point de départ de la prescription est alors fixé à « la date de conclusion du contrat », cass. soc. 03.05.18, n° 16-26.437.
(4) Et plus précisément de l’art. L. 1245-1 C. trav.
(5) Cass. soc. 26.11.13, n° 12-18.317.