Cet article provient du site du syndicat CFDT.
Dans le cadre de leurs fonctions, les délégués du personnel ont le droit de consulter certains documents. Dans quelle mesure ce droit les autorise-t-il à produire ceux-ci en justice ? Dans un important arrêt, la Cour de cassation a pour la première fois considéré qu’un syndicat pouvait produire en justice des documents consultés par les DP. Elle a par ailleurs admis la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle des salariés, à condition que cette atteinte soit proportionnée au but poursuivi. Cass.soc. 09.11.16, n° 15-10203.
• Les faits, la procédureFaute d’avoir obtenu les autorisations nécessaires, un grand distributeur de prêt-à-porter et de chaussures est condamné pour ouverture illégale le dimanche. Cette condamnation ne le dissuade pas complètement, puisqu’il va persister à employer des salariés le jour du repos dominical.Le syndicat, à l’origine de la première action, saisit de nouveau le juge des référés afin de faire constater le non-respect de la décision de justice interdisant le travail du dimanche (ordonnance). A l’appui de sa demande, il produit un certain nombre de preuves, et notamment des documents photographiés ou copiés par un délégué du personnel auxquels ce dernier avait eu accès dans le cadre de ses fonctions représentatives : décomptes du temps de travail des salariés, plannings horaires, contrats de travail, bulletins de paie, etc.La cour d’appel écarte ces éléments de preuves qu’elle juge irrecevables. Elle invoque deux arguments. Tout d’abord le droit, pour les DP, de consulter les documents internes à l’entreprise ne les autorise pas à se les approprier par quelque moyen que ce soit (copie ou photographie) et encore moins à les produire en justice. Par ailleurs, les photographies prises contiennent des données personnelles de salariés dont l’accord n’était pas justifié.Un pourvoi est formé par le syndicat. La Cour de cassation doit répondre aux deux questions suivantes:Si les délégués du personnel ont un droit de consultation de documents, peuvent-ils pour autant les reproduire et les utiliser en dehors du cercle de l’entreprise ? Une telle production en justice ne porte-t-elle pas atteinte à la vie personnelle des salariés concernés par les documents mais qui ne sont pas parties au procès ?La Cour de cassation condamne, sur les deux points, le raisonnement de la cour d’appel. A l’inverse des juges du fond, elle considère que la loi qui autorise les délégués du personnel à consulter les documents internes à l’entreprise « n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice ; que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ». • Les copies de documents consultables par les DP: un mode de preuve licite ?L’article L. 3171-2 du Code du travail confère aux délégués du personnel le droit de consulter l’ensemble des documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective pour chacun des salariés concernés. La cour d’appel fait une interprétation littérale de ce texte : le droit des délégués du personnel se limite à la consultation des documents, mais ne leur permet pas de les copier ou photographier. La production en justice de documents obtenus ainsi de manière illicite ne peut être admise.A l’inverse, pour la Cour de cassation, l’article L. 3171-2 du Code du travail, qui autorise un délégué à consulter les documents internes à l’entreprise, n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice. En d’autres termes, les documents de l’entreprise que le délégué du personnel a le droit de consulter peuvent être soumis au juge. Finalement, si la loi n’en prévoit pas cet usage, elle ne l’interdit pas non plus. La Haute Cour considère en effet qu’il faut permettre au syndicat, qui a pour mission de défendre les intérêts des salariés, d’exercer ses droits de façon effective (1).S’il s’agit, en l’espèce, de documents portant sur le contrôle de la durée du travail, on peut se demander dans quelle mesure cette solution pourrait s’appliquer à d’autres documents auxquels les représentants du personnel ont accès, sachant qu’il conviendrait alors d’articuler ce droit avec leur devoir de confidentialité.Mais si la Cour de cassation valide la production en justice de ces documents, celle-ci ne constitue-t-elle pas une atteinte à la vie personnelle des salariés concernés ?
• Une preuve admise en l’absence d’atteinte disproportionnée à la vie privée des salariés Pour rejeter les preuves apportées par le syndicat, la cour d’appel met en avant le fait que certaines d’entre elles ont été obtenues sans l’accord des salariés (qui ne sont par ailleurs pas parties à l’instance) alors même qu’elles comportent des données personnelles.Pour la Cour de cassation, le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié « à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ». En effet, au titre du « droit à la preuve », dégagé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (2) , les juges doivent opérer un contrôle de proportionnalité entre le degré d’atteinte à la vie privée et le droit à la preuve, qui est le corollaire du droit à un procès équitable (3).En l’espèce, la Cour de cassation considère que l’atteinte constituée par la production de documents litigieux était proportionnée au but poursuivi. En effet, les documents litigieux ont été obtenus par un DP dans l’exercice de ses fonctions représentatives en vue de vérifier si la société respectait la règle du repos dominical et se conformait bien à l’ordonnance rendue par le juge lui interdisant de faire travailler ses salariés le dimanche. Elle écarte ainsi toute atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie personnelle des salariés concernés, quand bien même ces derniers n’étaient pas parties au procès.Par cet arrêt, la Cour de cassation admet pour la première fois qu’un syndicat puisse produire en justice la copie de documents internes à l’entreprise auxquels les DP ont accès. Elle pose en outre le principe selon lequel le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée du salarié, dès lors que cette production est nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte est proportionnée au but poursuivi.
________________________________________(1) Communiqué de la Cour de cassation portant sur l’arrêt.(2) CEDH, 27.10.93, Bombo BeheerV c/Pays-Bas : reconnaît « le droit d’une partie à un procès de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves » ; art 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales.(3) Art 6 de la Convention EDH précise que toute partie à un procès doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves.