Les primes exceptionnelles annoncées dès la mi-avril pour les soignants viennent seulement d’être officialisées par décret. Le texte qui vient de paraître au Journal officiel accompagne les médailles qui commencent à être fièrement distribuées par le gouvernement. Mais alors que l’Etat se contente de primes dans le public, il réfléchit à imposer au privé une revalorisation générale des petits salaires.
La mise en place des primes exceptionnelles pour le personnel des établissements de santé était attendue depuis plusieurs semaines, son officialisation est donc forcément un soulagement pour tous les travailleurs qui s’échinent à maintenir la cadence infernale imposée par l’épidémie. Les conditions permettant de bénéficier de la prime sont strictement définies par le décret et méritent d’être détaillées dans un premier temps. Ce qui agace, c’est surtout l’impression du “deux poids, deux mesures” qu’il est difficile de ne pas éprouver en constatant que le gouvernement se contente de créer une prime (quand le personnel hospitalier réclame avant tout des hausses de salaires) tout en envisageant d’exiger une revalorisation généralisée des petits salaires dans le privé.
Primes aux soignants : combien ? pour qui ? pour quand ?
Des primes variables en fonction de plusieurs critères
Le lieu d’exercice : le montant des primes annoncées par le gouvernement varie entre 500 € et 1 500 € en fonction du lieu d’exercice du professionnel pendant l’épidémie de coronavirus dont la période de référence est fixée du 1er mars au 30 avril 2020 (à l’exception des militaires pour lesquels la période commence au 24 mars 2020).
Ainsi, tous les professionnels ayant exercé dans les 40 départements les plus touchés, la prime sera de 1 500 €, pour tous les autres la prime sera de 500 € (la liste complète des départements concernés est donnée en annexe du décret). Une exception est toutefois possible pour les professionnels ayant exercé dans les départements les moins touchés : le chef d’établissement peut relever la prime à 1 500 € dans le cas où le personnel a été mobilisé dans des circonstances exceptionnelles pour aider à la gestion sanitaire de l’épidémie. La liste complète des établissements pouvant proposer une telle prime est donnée en annexe II du décret.
Le cas des affectations dans d’autres départements : le décret tient compte du fait que bon nombre de personnels se sont déplacés pour prêter main-forte dans les services de santé qui en avaient besoin. Ainsi, tous les personnels normalement affectés à un établissement situé dans un département moins touché et qui ont été mis à disposition dans un établissement situé dans l’un des 40 départements les plus touchés ont droit à la prime de 1 500 euros.
Les absences pendant l’épidémie : le décret est sans ambiguïté sur les conséquences des absences, les primes seront réduites. Ainsi, toute personne ayant été absente au moins 15 jours calendaires pendant la crise verra le montant de sa prime réduit de 50%. Toute personne absente plus de 30 jours calendaires ne recevra aucune prime. Cependant, certaines absences ne sont pas pénalisantes, c’est le cas de :
– l’absence (congé maladie, accident du travail, maladie professionnelle) dont la cause présumée est imputable au coronavirus.
– l’absence du personnel militaire en raison de sa mobilisation pour participer à une opération militaire liée au coronavirus.
– l’absence pour congés annuels et congés au titre de la réduction du temps de travail.
Des bénéficiaires de la prime définis strictement
Plusieurs statuts possibles : les primes ne seront pas versées qu’au personnel soignant. Effectivement, le décret vise :
– tous les agents publics et apprentis en service effectif dans les établissements de santé.
– tous les étudiants en médecine de 3e cycle (à condition d’exercer dans les lieux de stage agréés) et de 2e cycle (à condition avoir accompli sur la période un stage ambulatoire).
– tous les agents publics civils en service effectif et les militaires dès lors qu’ils sont affectés aux hôpitaux des armées ou à l’Institution nationale des invalides.
– tous les agents civils et les militaires mis à disposition dans le cadre de la lutte contre le coronavirus.
– tous les militaires appelés temporairement dans un hôpital des armées, ou désignés pour armer un élément mobile du service de santé des armées dédié à la lutte contre le coronavirus.
Un temps de travail à respecter : selon le statut des bénéficiaires des primes, des conditions de temps de travail doivent être strictement respectées. Il est important de signaler que l’exercice des fonctions en télétravail n’est pas un motif de refus de prime. Les conditions spécifiques de temps de travail sont les suivantes :
– les agents civils contractuels doivent avoir exercé pendant la période prise en compte pendant une durée d’au moins 30 jours calendaires équivalents à un temps plein ou complet. Cela s’applique aussi aux élèves officiers des écoles du service de santé des armées qui n’ont pas encore été admis dans le 2e cycle de leur discipline ainsi qu’aux élèves des écoles du personnel paramédical des armées. Pour ceux qui ont exercé dans plusieurs établissements à la fois sans remplir les conditions de temps de travail dans chacun d’entre eux, le droit à la prime est soumis à une condition supplémentaire. Ils doivent attester auprès de leur employeur principal avoir exercé dans ces établissements pendant une durée cumulée d’au moins 30 jours calendaires équivalents à un temps plein ou complet.
– des conditions propres notamment aux étudiants et internes exigent qu’ils aient exercé pendant au moins 5 demi-journées par semaine en moyenne au cours de la période de référence. Pour ceux qui ont exercé dans plusieurs établissements à la fois sans remplir les conditions de temps de travail dans chacun d’entre eux, une condition spécifique est à signaler. Ils doivent attester auprès de leur établissement d’affectation avoir exercé dans ces établissements pendant une durée cumulée d’au moins 5 demi-journées par semaine en moyenne pendant la période de référence.
Des petites primes dans le public face à une revalorisation des salaires dans le privé
L’officialisation des primes pour tous les personnels hospitaliers, depuis les aides-soignants jusqu’aux médecins en passant par les infirmières, n’est que le minimum face à l’engagement intense de ces dernières semaines. Mais c’est encore bien loin de répondre aux véritables attentes de tout un secteur qui réclame surtout une revalorisation générale de tous les salaires. En effet, le manque d’attractivité du service public hospitalier est directement lié à la faiblesse des rémunérations qu’il propose. A titre d’exemple, le salaire des infirmières françaises est inférieur de 6% au salaire moyen en France. En comparaison, en Allemagne, le salaire des infirmières est 13% supérieur au salaire moyen du pays. Il en découle une difficulté à recruter et un nombre de places vacantes de plus en plus problématique. La situation n’est pas près de s’arranger car, avec la crise, les personnels hospitaliers sont épuisés et réfléchiraient sérieusement à partir.
La réponse du gouvernement est donc en total décalage avec la situation alarmante dans les hôpitaux. Pourtant, les primes sont, à ce jour, le seul geste sonnant et trébuchant annoncé par l’Etat. Il est donc facile de s’étouffer quand on apprend dans le même temps que Muriel Pénicaud envisage sérieusement de demander au secteur privé d’augmenter les salaires… Effectivement, elle a annoncé qu’elle convoquait les branches professionnelles pour faire évoluer les petits salaires des métiers qui ont rappelé toute leur importance pendant la crise (éboueurs, caissiers, livreurs…).
Cette intention de demander une revalorisation n’est pas une mauvaise idée en soi, charge à chaque branche professionnelle de négocier pour trouver une issue acceptable par toutes les parties. En revanche, la méthode qui consiste à demander au secteur privé de faire un tel geste (avec des conséquences durables et lourdes pour les entreprises) alors que l’Etat se contente de simples primes ponctuelles pour le personnel soignant, réduit à néant la crédibilité du gouvernement. Crédibilité qui est déjà bien entamée par les fameuses médailles offertes aux soignants. Une fois de plus, les autorités tentent de rejouer la ritournelle du “faites ce que je dis, pas ce que je fais”.