Pressé par sa base, Laurent Berger (CFDT) peut-il éviter une issue à la Mailly ?

Hier, devant “plus de 10000” représentants CFDT du personnel de diverses entreprises, Laurent Berger, le secrétaire général de la centrale, a réaffirmé qu’il n’entendait pas l’engager dans le combat contre les ordonnances Travail. Une détermination qui, si elle semble sans faille, pourrait toutefois rapidement se heurter à la dure réalité des souhaits exprimés par la base cédétiste. 

Richelieu contre baskets

Assumant plus que jamais sa préférence pour le syndicalisme modéré, Laurent Berger a appelé ses troupes à ne pas battre le pavé aux côtés de la CGT, de Solidaires et de la CFE-CGC afin de protester contre la réforme du Code du Travail. Il a en effet estimé que cette méthode d’action était contre-productive : “Je comprends l’envie de certains d’enfiler les baskets, mais pour quelle efficacité ? Ne donnons pas d’arguments au gouvernement pour nous ranger sur les rayons du vieux monde”. La question demeure, certes, posée de savoir si, pour un dirigeant syndical, les richelieu sont toujours plus efficaces que les baskets… 

Quoi qu’il en soit, dans une interview donnée à Challenges, M. Berger a précisé sa pensée, jugeant que les manifestations de rues peuvent affaiblir le mouvement syndical : “Je suis persuadé que faire des manifestations où il n’y a pas grand monde, c’est un aveu de faiblesse. Et à mon sens, c’est faire un trop grand cadeau à ceux qui veulent ringardiser le syndicalisme”. Il estime que les syndicalistes doivent plutôt être présents “dans les entreprises et au plus près des salariés”, afin de faire valoir leurs revendications. 

Des militants pas contents

Cette petite leçon de théorie syndicale n’a sans doute pas convaincu l’ensemble des militants et des représentants de la CFDT. Interrogés par Reuters, certains participants au grand raout cédétiste d’hier n’ont, en tout cas, pas donné le sentiment d’avoir reçu la bonne parole cinq sur cinq.  

S’adressant au secrétaure général de son organisation, Pascale Meunier, délégué syndicale centrale du groupe Orange, s’est ainsi emportée : “Vous ne dites pas que c’est inadmissible. Vous employez trop des mots modérés. Je suis désolée, ce qui se passe là est inadmissible. Il faut vraiment qu’on ait une position plus ferme”. De la même manière, Jean-Luc Kirschving, qui compte parmi les dirigeants du Bétor-Pub, le syndicat CFDT de la publicité, a déploré l’attitude conciliante de la confédération à l’égard du gouvernement : “Mon syndicat a beaucoup attendu une action vigoureuse de la confédération pour contrer ces ordonnances. Nous ne l’avons pas vue venir”. Indiscipliné et fier de l’être, M. Kirschving s’est vanté d’avoir manifesté les 12 et 21 septembre. 

Puisque les oreilles de Laurent Berger devaient décidément tout entendre, c’est Norbert Raffolt, le secrétaire général du Symnes, un important syndicat CFDT de la métallurgie francilienne, qui a carrément appelé le chef de la centrale à reconsidérer tout à fait sa politique. “On demande de sortir de cet autisme qui consiste à dire : “on a pris la bonne décision et on l’assume jusqu’au bout”. Aujourd’hui, vous entendez dans la salle que la base vous dit : “il faut bouger, il faut apporter une réponse qui est différente”. Laurent Berger encaissait le coup. 

Le précédent Mailly

A ce stade de l’analyse, il est difficile de résister à l’invocation du cas Jean-Claude Mailly. Bien droit dans ses bottes il y a un mois à peine, le secrétaire général de Force Ouvrière a dû réécrire entièrement sa copie depuis. 

Les deux journées de mobilisation organisées en septembre par la CGT et Solidaires – entre autres – ont, dans un premier temps, largement séduit dans les rangs de FO. Puis, peu à peu, il ne s’est plus trouvé grand monde, dans les UD et les fédérations, pour défendre la position tiède adoptée par Jean-Claude Mailly vis-à-vis du gouvernement. Les instances dirigeantes de la centrale ont fini par donner tort à M. Mailly, qui n’a plus eu d’autre choix que de changer radicalement son fusil d’épaule, se montrant compréhensif à l’égard des militants FO mobilisés contre les ordonnances et appelant même à une journée d’action contre le texte gouvernemental. 

La CFDT poussée dans la rue ?

Certes, il peut être difficile de concevoir, dans l’état actuel des choses, que Laurent Berger puisse connaître le même sort que son homologue de Force Ouvrière. Bien qu’elle le revendique dans son acronyme, la CFDT a un fonctionnement qui se caractérise moins la démocratie interne que par la centralisation à outrance. Les confédéraux y sont, dans l’ensemble, hors d’atteinte de la base. 

Pourtant, les choses peuvent se gâter plus vite que les hiérarques ne veulent bien l’imaginer. La journée de mobilisation du 10 octobre, à laquelle la CFDT a prévu de participer, pourrait avoir des suites délicates pour le secrétaire général de l’organisation. Si cette journée concerne avant tout la fonction publique, il y a fort à parier que la CGT, Solidaires, la FSU voire même les militants FO, vont en faire une journée de mobilisation bien plus générale contre la politique actuelle du gouvernement. Il est probable qu’une partie des troupes de la CFDT en profite pour prendre date contre les ordonnances Travail. Pour le patron de la CFDT, les choses pourraient alors devenir difficiles à maîtriser. 

Si l’on en croit certaines sorties qu’il s’est autorisé hier, il convient d’ailleurs d’émettre l’hypothèse que Laurent Berger préfère se ménager une porte de sortie contestataire. Il a d’abord explicitement affirmé qu’il “était en désaccord avec le contenu des ordonnances”. En outre, en des termes secs, il s’en est pris à la fois au gouvernement : “il est temps de mettre le gouvernement au pied du mur sur la politique sociale”, et au “patronat” : “le patronat doit rendre des comptes. En clair, il a une responsabilité vis-à-vis des Français pour créer des emplois de qualité. Arborer un pin’s et faire de la communication, ce n’est clairement pas suffisant !”.  

Enfin et surtout, le secrétaire général de la CFDT a rappelé que si les discussions sur le chômage se passaient mal, la CFDT pourrait se retrouver dans la rue : “On sera reçu le 13 octobre. Si sur le volet sécurité, notamment sur l’assurance chômage, l’exécutif n’est pas au rendez-vous, alors la CFDT ne sera pas opposée à la grève et aux manifestations”. Quand Laurent Berger en vient à évoquer les “grèves” et les “manifestations”, c’est mauvais signe pour le climat social général… 

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