Alors que viennent de débuter les négociations relatives à la réforme des régimes de retraite complémentaires, Pierre Gattaz a tenu à affirmer que le recours à la capitalisation faisait partie des solutions envisageables. Le tonitruant président du Medef entend-il réellement relancer la guerre de religion entre la répartition et la capitalisation ?
Une hache de guerre que l’on croyait enterrée
Interrogé sur l’opportunité ou non de capitaliser une part importante des engagements financiers liés aux retraites de AGIRC-ARRCO, Pierre Gattaz a soufflé sur les braises : “Je n’ai aucun tabou, il faut tout mettre sur la table”. Se référant aux “modèles sociaux qui marchent chez nos voisins”, ainsi qu’au plan d’épargne destiné aux fonctionnaires, la Préfon, il a estimé qu’il était temps pour les partenaires sociaux de prendre leurs “responsabilités” face à un problème plus “mathématique” que “politique”. Que les négociateurs laissent le champ libre aux actuaires !
En entendant M. Gattaz, les observateurs avisés ont sans doute eu le sentiment de rajeunir d’une bonne vingtaine d’années. C’est en effet dans la première moitié des années 1990 que les combats les plus acharnés ont fait rage entre l’ost de la capitalisation et celui de la répartition. Le premier était mené par le bouillonnant intellectuel organique de la FFSA, Denis Kessler, tandis que le second était composé de l’alliance hétéroclite des partenaires sociaux en charge des régimes complémentaires, avec Emile Boursier (UIMM), Pierre Guillen (UIMM), Antoine Faesch (FO), Paul Marchelli (CGC) et Vlady Ferrier (CGT) comme principaux porte-drapeau.
La lutte était sans pitié. Aux accusations graves de risque de carence portées contre les régimes AGIRC-ARRCO répondaient les lettres ouvertes de l’AGIRC et de l’ARRCO dénonçant les “mauvais présages” des “faux prophètes” de la retraite. “C’était d’une violence qu’on imagine absolument pas” se souvient un ancien proche de Denis Kessler. Du côté de l’UIMM, on se défend : “Les assureurs n’admettaient pas le principe même de la répartition”. “C’était une guerre de religion” conclut un ancien responsable du secteur social du CNPF/MEDEF. Dans ce contexte, les tensions demeurent très vives jusqu’à la fin des années 1990.
Selon un ancien responsable de l’UIMM, ce n’est qu’au tout début des années 2000 que “la hache de guerre est enterrée”. Tout le monde en vient alors à s’accorder à peu près sur la nécessité de développer l’épargne longue, pour financer l’économie et s’assurer d’une certaine souveraineté financière. Si cela peut par ailleurs permettre de financer des compléments de retraite… L’épargne salariale puis l’épargne retraite en profitent ainsi : le PPESV voit le jour en 2001 puis devient le PERCO en 2003 et le PERP est mis en place en 2003.
Un équilibre fragile
La réforme Fillon a donc permis aux intérêts financiers (assureurs, banquiers et gestionnaires de fonds) de développer un marché. Les encours du PERCO et du PERP représentent un peu plus de vingt milliards d’euros. Pour les responsables de la gestion des régimes complémentaires, ce développement de l’épargne retraite ne s’est pas accompagné d’une remise en cause de leur légitimité et ils s’en sont donc accommodés. Les oppositions ont donc cessé, chacun s’en allant cultiver son jardin.
Bien entendu, il suffit de gratter un peu pour se rendre compte que les esprits ne sont toujours pas tout à fait apaisés. Un responsable de l’UIMM moque ainsi la solution qui consisterait à recourir à la capitalisation : “Ça, c’est bien, dans une discussion de café, ça permet de s’enflammer, mais il faut ne rien y connaître [pour évoquer cette solution]”. Un autre évacue la question d’un revers de la main : “la capi avait l’air vachement sûre ! Il n’y avait pas eu les effondrements boursiers… (rires)”. Ces deux dirigeants de caisses complémentaires ne sont pas opposés par principe à l’existence d’une épargne en vue de la retraite, mais considèrent qu’elle doit rester très marginale et ne pas constituer plus de 5 à 10 % des pensions.
Du côté des professions financières, il semble bien que certains ne soient pas satisfaits de l’équilibre des forces actuel entre répartition et capitalisation. Un lobbyiste de l’épargne retraite se montre très angoissé pour les “générations futures” : “Je leur dis quoi, moi, à mes enfants ? Qu’ils ont travaillé mais qu’ils crèveront miséreux ???”. Tout en reprenant cet argument, un responsable de la gestion de fonds s’indigne quant au caractère injuste de la répartition : “Si on faisait du vrai socialisme d’ailleurs, on ferait sûrement cela : une retraite de base pour tout le monde à un niveau qui permette le minimum vital et puis après, les riches peuvent cotiser pour eux s’ils le veulent”.
En somme, ne creusons donc pas trop, la hache de guerre n’est jamais loin… Le compromis entre les deux clans tient tant que l’avenir des régimes par répartition n’est pas questionné par des discours publics trop alarmistes. Mais dès lors qu’une possibilité de remise en cause globale de ces régimes vient à s’esquisser, les oppositions se font à nouveau jour. En l’occurrence, les perspectives financières dégradées auxquelles font face l’AGIRC et l’ARRCO, vont donner du grain à moudre aux professions financières.
Une réelle opportunité pour la capitalisation ?
Pour autant, tout indique qu’il ne faut pas prendre les déclarations de Pierre Gattaz au pied de la lettre. Personne, aujourd’hui, au sein du petit monde des décideurs de la politique de la retraite, ne considère sérieusement la capitalisation comme une solution au financement des pensions. Un haut fonctionnaire de Bercy ne comprend pas que le sujet puisse être évoqué : “Il n’y a pas de capitalisation en France, c’est tellement epsilonesque que ça ne mérite même pas d’en parler.”
On peut citer au moins trois raisons à cela. D’abord, que le financement se fasse en répartition ou en capitalisation, il faudra faire face dans tous les cas au “choc démographique” : qu’ils paient des cotisations ou qu’ils paient des rentes sur titres financiers, les salariés devront payer dans tous les cas. Et cher ! En outre, le passage d’un système en répartition à un système en capitalisation supposerait une double cotisation, qui serait insoutenable pour les salariés. Enfin, les effondrements boursiers qui se sont multipliés depuis la fin des années 1990 rendent très difficilement envisageable de confier l’argent des retraites aux marchés financiers.
Tous les spécialistes de la retraite ont ces arguments en tête, y compris ceux qui sont issus des professions financières. Ils connaissent d’ailleurs parfaitement les calculs actuariels élémentaires. Pour jouir d’une rente mensuelle de 500 euros à partir de 60 ans, un épargnant doit détenir 150000 euros de réserves ; pour une rente mensuelle de 1000 euros, il faut compter 300000 euros. Les encours par PERCO ou par PERP n’ont rien à voir avec ces chiffres. L’AFG se fécilite certes des six milliards d’encours du PERCO, tout en relativisant : “6000 euros par personne… C’est déjà pas mal mais ce n’est pas avec ça que je vais me faire une retraite”. Les chiffres du PERP sont plus faibles encore…
Le président du MEDEF n’est pas un naïf : il est parfaitement au fait de tous ces débats et il sait très bien que la capitalisation n’est pas envisageable en France. En s’exprimant comme il l’a fait, il cherchait en réalité à mettre la pression sur les syndicats de salariés. Il cherchait peut-être également, en interne, à satisfaire les professions financières. Il n’est pas toutefois pas évident que la FFSA le remercie sur ce coup-là. Le négociateur du MEDEF, Claude Tendil, est en effet attendu au tournant sur cette négociation retraites complémentaires. Il a d’ailleurs dû démentir aussitôt l’éventualité d’un recours à la capitalisation. Pierre Gattaz aurait voulu défendre l’AGIRC et l’ARRCO qu’il ne s’y serait pas mieux pris !