Ordonnances travail : bilan partiellement positif pour la liberté des entreprises

Le gouvernement a dévoilé hier ses projets “d’ordonnances travail”. S’agissant des accords d’entreprise et de leur liberté, le bilan est partiellement positif. 

Les ordonnances travail ont probablement fait l’objet d’arbitrages ponctuels jusqu’à la dernière minute. Compte tenu de leur volume et des champs qu’elles couvrent, cette instabilité était inévitable. Elles se présentent sous la forme de quatre textes différents, dont le principal, consacré à la négociation collective, réserve des surprises globalement positives. 

Un texte qui reste complexe et renforce les contraintes

On notera toutefois, en premier lieu, que le texte ne participe ni d’une simplification ni d’un allègement des contraintes, bien au contraire. À de nombreux égards, il renforce même les obligations qui pèsent sur les entreprises et sur les branches en matière de négociation collective.  

Les accusations du libéralisme sont donc ici mal fondées, dans la mesure où le texte ne produit pas d’allègement de normes, et où il ne diminue pas le poids des branches professionnelles. Simplement, il déplace vers l’entreprise la faculté de négocier des thèmes sans forcément améliorer les accords de branche. 

Un toilettage minutieux de la loi El-Khomri

Les spécialistes du sujet s’amuseront pendant longtemps encore à suivre les allers-retours entre les ordonnances et la loi El-Khomri, dont les rédacteurs sont en partie les mêmes. Une étude minutieuse du texte permettrait probablement d’identifier tous les moments où les ordonnances parachèvent l’ambition de la loi adoptée sous le quinquennat précédent en toilettant des rédactions qui avaient été biaisées par des arbitrages politiques. 

Cette continuité entre la loi El-Khomri et les ordonnances expliquent la complexité et la lourdeur du texte. Macron ne produit pas de rupture, mais seulement un parachèvement. D’où l’aspect complexe du texte, que certains appelleront même un manque de clarté. 

 

Le poids des branches globalement renforcé

Contrairement aux promesses initiales, la négociation de branche n’a pas été “vidée” au profit de la négociation d’entreprise. Les branches se voient même, au moins en affichage, confier de nouvelles compétences.  

On notera en particulier que l’article 1er des ordonnances prévoit, pour les branches, la possibilité de s’emparer de 11 thèmes différents de négociation. Dans la réalité, il s’agit d’un affichage, puisque le texte présente comme nouveaux des thèmes anciens mais disparates (comme les conditions de renouvellement des périodes d’essai).  

C’est toute l’habilité de ce texte, qui donne l’illusion d’une nouveauté là où, assez souvent, il s’agit simplement de reformuler ce qui existe déjà, ne serait-ce que par la coutume. Cet effort d’empaquetage permet aux organisations syndicales de prétendre qu’elles ont obtenu des contreparties. 

De ce point de vue, la posture de “renouvellement” est utile. 

 

Un statu quo sur les questions de protection sociale complémentaire

Dans la version qui avait circulé début juillet, le gouvernement avait donné le sentiment de vouloir élargir les compétences des branches en matière de protection sociale complémentaire. Celle-ci, on le sait, est grande pourvoyeuse de financement occulte des organisations syndicales dans les branches. 

Finalement, le gouvernement fait machine arrière sur ce point, et maintien les dispositions contenues dans la loi El-Khomri. Les seules compétences nouvelles des branches (là encore en apparence, puisque le sujet est déjà traité) porteront sur la mutualisation du financement du paritarisme. 

Les craintes de certains pourront être apaisées. Toutefois, le texte maintient en l’état les dispositifs complexes de “prestations non contributives” rendues possibles par le code de la sécurité sociale dans les branches. Ce mécanisme vise clairement à limiter la concurrence faite par les “assureurs privés” aux groupes paritaires de protection sociale qui se partagent le fromage des branches. 

 

Une remise en forme des négociations d’entreprise

S’agissant des négociations d’entreprise, le texte s’évertue à les organiser et à les rationaliser sans les alléger. Le point vaut d’être noté là encore. Les ordonnances ne diminuent pas les obligations de négocier qui pèsent sur les entreprises. Elles les renforcent et formalisent certaines règles d’ordre public comme l’interdiction d’interrompre des négociations qui n’ont pas capoté en prenant une décision unilatérale.  

Dans une certaine limite, le texte apporte ici des complexités nouvelles et des obligations fortes pour les entreprises, en confirmant systématiquement et de façon très formelle des sujets comme l’égalité hommes-femmes. 

 

La fin du monopole syndical dans les TPE

S’il est une révolution majeure dans les ordonnances, dont il faut souligner l’importance capitale, c’est la fin du monopole syndical dans la négociation collective et la création d’un droit à la négociation collective dans les entreprises de moins de 11 salariés.  

L’article L 2232-21 du Code du Travail crée la possibilité, dans celles-ci, de proposer des accords aux salariés sur l’ensemble des thèmes ouverts aux grandes entreprises. Les employeurs, et spécialement les start-upers apprécieront l’importance de cette évolution.  

Pour les moins de 11 salariés, la négociation procède par ratification à la majorité des deux tiers des salariés. Le gouvernement, et il faut lui en savoir gré, a fait ici le choix courageux d’ouvrir aux très petites entreprises la possibilité de négocier des accords sans intermédiation syndicale.  

C’est probablement le point le plus positif qu’on retiendra des ordonnances. 

 

L’élargissement du mandatement dans les PME

Entre 11 et 50 salariés, les entreprises disposeront de la faculté de négocier des accords avec un accès facilité au mandatement. Là aussi, l’innovation vaut d’être relevée, dans la mesure où elle conforte un système dont il avait été dit qu’il serait menacé par le texte. 

Là encore, on soulignera l’importance de ce choix qui permettra de débloquer la dynamique de négociation dans de nombreuses entreprises. 

 

Des évolutions importantes

Au total, le gouvernement n’a donc pas pratiqué la rupture qu’on aurait pu espérer. En revanche, il “pousse” les acquis de la loi El-Khomri et on en appréciera les bienfaits.  

On avait un moment craint le pire. Celui-ci n’est donc jamais sûr. Il faudra encore du temps pour bien prendre la mesure de la totalité du texte. D’ici là, on ne boudera pas son plaisir : il apporte de vraies avancées dans les TPE et les PME qu’on peut savourer sans modération. 

 

 

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