Ceci n’a probablement pas échappé à grand monde : samedi, deux manifestations importantes ont eu lieu à Paris, l’une organisée par le collectif “NousToutes” afin de dénoncer les “violences sexistes et sexuelles”, l’autre initiée par les “gilets jaunes”. Le moins que l’on puisse dire est que le traitement politico-médiatique de ces deux évènements s’est avéré quelque peu différent.
Coefficients de marée
Comme d’habitude les chiffres de la participation aux manifestations ont été largement commentés. Or, dans ce domaine, il est apparu que les deux marées, la jaune et la violette – le collectif “NousToutes” appelait à manifester en respectant le code couleur du violet – ont paru avoir des coefficients difficilement comparables.
Du côté des “gilets jaunes”, d’une part, les médias ont repris, sans sourciller, les chiffres avancés par le ministère de l’Intérieur, selon lesquels environ “106 000” personnes ont participé à la mobilisation de samedi – soit un chiffre officiellement en net recul par rapport à celui évoqué pour la mobilisation du lundi 17 novembre, qui s’était établi, là encore d’après l’Etat, à “282 000”. A Paris, là encore, les médias ont repris le chiffre du nombre de manifestants avancé par la place Beauvau : autour de “8000 personnes”. Autrement dit : en matière de décompte des “gilets jaunes”, les estimations ministérielles sont parole d’Evangile.
Heureusement pour la déontologie journalistique, cette règle n’est toutefois pas sacro-sainte. Dans le cas de la manifestation “NousToutes”, les rédactions ne se sont pas contentées de reprendre les chiffres de participation avancés par le ministère de l’Intérieur. En effet, si ce dernier a annoncé que “20 000” personnes avaient défilé en France, dont “12 000” à Paris, contre les violences sexistes et sexuelles, les médias ont systématiquement fait état des chiffres annoncés par les organisateurs des défilés, en l’occurrence “80 000” manifestants dans toute la France dont “30 000” à Paris. Il est vrai que, présenté ainsi, ça a tout de suite l’air plus massif et moins “parisiano-parisien”.
Entre insultes et soutiens
Outre cet enjeu de la détermination du coefficient de marée, il a pu être noté que les réactions gouvernementales vis-à-vis des deux manifestations ont été subtilement nuancées. Là où les uns ont globalement reçu des insultes et des réponses que l’on qualifiera difficilement d’appropriées, les autres ont pu se féliciter du soutien de l’exécutif.
A l’issue de la manifestation parisienne des “gilets jaunes”, le brun était visiblement de sortie du côté du gouvernement. Commentant le défilé jaune, Gérald Darmanin, le ministre des Comptes et de l’Action Publics, qui n’en rate décidément pas une, a parlé de “peste brune”, tandis que Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, a vivement dénoncé les “séditieux” issus selon lui “de l’ultra-droite”. L’analyse gouvernementale de l’exaspération des Français étant ce qu’elle est, on s’étonnera évidemment peu des réponses lointaines apportées par le Président de la République au mouvement populaire – par exemple la création d’un comité bidule sur la transition écologique ou le versement de diverses primes devant favoriser la transition énergétique, mais conditionnées par la réalisation de dépenses que la grande majorité des Français ne peut plus assumer…
En regard de ces réactions officielles très négatives à l’endroit des “gilets jaunes”, les prises de position gouvernementales suscitées par la manifestation “NousToutes” ont été clairement positives. Sur Europe 1, Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat aux droits des femmes, a affirmé “partager le sentiment d’urgence des manifestantes” (sic) tandis que sur Facebook, le Premier ministre a lui aussi soutenu le défilé violet : “En France aussi, cessons de classer ces crimes sous l’étiquette commode du ‘fait divers’, vite emporté par l’actualité”. Aussitôt après la manifestation, diverses mesures coercitives très précises ont été annoncées par l’exécutif afin de répondre aux demandes du collectif “NousToutes”. Il est vrai que pour nos responsables politiques, sanctionner est une seconde nature.
Au terme de cette analyse croisée du traitement politico-médiatique des deux mobilisations, on conclura qu’à l’évidence, le mouvement des gilets jaunes inquiète l’Etablissement, là où la mobilisation “NousToutes” lui permet de légitimer son action.